vendredi 18 mars 2005

La fin de la Suisse humanitaire

Alors que le préambule à cette révision de la loi sur l'Asile parlait de "modernisation de la loi pour relever les défis de l'époque, sans porter atteinte à la tradition humanitaire de la Suisse." Nous constatons que le Conseil des Etats adopte un projet qui foule aux pieds la constitution helvétique (article 12), les conventions de Genève de 1951 (non refoulement des personnes menacées), et ignore les avertissements des églises des ONG et des organisations Internationales (HCR).

Voici le compte rendu de 24heures
et un résumé des dispositions principales de ce projet:
• Le nouveau statut d'«admission pour raisons humanitaires» a été rejeté. L' actuelle admission provisoire sera remaquillée : le regroupement familial pourrait être autorisé après trois ans.

• Pour lutter contre les abus, les sénateurs se sont montrés plus sévères vis-à-vis des requérants dépourvus de papiers d'identité. Le droit actuel autorise l'entrée en matière sur une demande d'asile si la personne présente des documents de voyage «ou d'autres documents permettant de l'identifier». La version adoptée par les sénateurs parle de «documents de voyage ou pièces d'identité». Dans une expertise de droit, le professeur Walter Kälin souligne pourtant que cette mesure viole la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés.

• Les sénateurs ont également, par 25 voix contre 11, décidé d'étendre la suppression de l'aide sociale à l'ensemble des requérants d'asile déboutés et non plus aux seules personnes frappées de non-entrée en matière (NEM). Ils ont été plus loin que le Conseil fédéral en autorisant également la suppression de l'aide d'urgence, minimum vital garanti par l'article 12 de la Constitution, aux requérants peu coopérants. Cela, alors même que le Tribunal fédéral va trancher sur la question ce vendredi. Les sénateurs de droite sont restés sourds aux arguments des opposants soulignant le risque de voir le nombre de clandestins augmenter considérablement.

• Au chapitre des mesures de contrainte, les sénateurs ont accepté d'étendre à 24 mois la détention administrative des étrangers à expulser. Le Conseil des Etats a d'abord prolongé de trois à six mois la détention dite «de phase préparatoire». Ils ont ensuite étendu de neuf à 18 mois la durée maximale de la détention en vue de l'exécution du renvoi. La Chambre des cantons a surtout introduit la détention pour insoumission, proposition de Christoph Blocher qui n'avait pas obtenu le feu vert du Conseil fédéral. Alors même qu'un rapport commandé par la Commission de gestion du National démontre le manque d'efficacité des mesures de contrainte, Christoph Blocher songe déjà à aller plus loin.

Le bluff en droit suisse

Commentaire de François Nussbaum dans la Liberté (extrait)
L'expression est du radical tessinois Dick Marty, à propos de la révision du droit d'asile, opérée hier par le Conseil des Etats. Une majorité s'est prononcée pour une détention maximale de deux ans pour un requérant d'asile récalcitrant. Deux ans pour «insoumission», alors qu'un citoyen doit pratiquement aller jusqu'au crime pour écoper d'une telle sanction!
Mais surtout, la détention de requérants récalcitrants va rarement jusqu'à un an, la moyenne étant de 23 jours. Un rapport d'experts - tenu secret - constaterait même que ce type de détention (introduit lors des premières «mesures de contrainte» en 1994) est inefficace. D'où la conclusion de Dick Marty: le bluff a durablement pénétré le droit suisse.


Voici l'éditorial de Didier Estoppey dans le Courrier.
A l'opposé de ses confrères, Philippe Barraud se félicite dans Commentaires.com de ce durcissement. Extraits:
On ne peut qu’être choqué, dans ce débat national, par l’ingérence d’une organisation comme le HCR dans les affaires intérieures de la Suisse, qui n’est tout de même pas le Soudan. Que cette organisation s’occupe de protéger les réfugiés là où ils sont réellement en danger, et fasse part de sa «préoccupation» à des pays moins soucieux des droits de l’homme. Elle n’a pas à exercer de pressions sur nos autorités politiques

"Personne ne doit mourir de faim dans ce pays"

LAUSANNE - Les requérants d'asile frappés d'une décision de non-entrée en matière (NEM) ont droit à une aide d'urgence même s'ils ne coopèrent pas en vue de leur renvoi de Suisse. Le Tribunal fédéral (TF) a désavoué les autorités soleuroises.

Les juges fédéraux de la Deuxième cour de droit public ont exprimé des avis très divergents avant d'accepter le recours d'un requérant d'asile d'origine africaine. Deux des cinq juges de la cour étaient favorables à un rejet de la demande.

Pour les trois autres juges fédéraux, le droit au minimum d'existence, qui a été reconnu pour la première fois par le Tribunal fédéral en 1995, avant d'être ancré à l'art. 12 de la Constitution fédérale, ne peut être subordonné à la condition qu'un requérant coopère avec les autorités en vue de son renvoi.

Il s'agit d'une aide réduite à l'essentiel, soit à des prestations minimales. Elle ne peut être baissée ou supprimée. Sinon, ce serait accepter le risque que quelqu'un puisse mourir de faim dans ce pays, a notamment déclaré le nouveau président de la Deuxième cour de droit public, le juge fédéral Thomas Merkli (vert) dont la photo figure sur ce blog.