mardi 21 juin 2011

Réfugiés, migrants : l'Europe va-t-elle enfin se montrer à la hauteur ?

Pourquoi l'Europe a-t-elle cédé à la peur du migrant en pleine révolution dans le monde arabe ? Le moment est peut-être venu de protéger les réfugiés plutôt que de les repousser.

Il y a quelques semaines à peine, 150 cadavres ont été retrouvés en mer au large des îles Kerkennah (Tunisie). Ces corps étaient ceux de personnes ayant fui le conflit violent en Libye afin de trouver la sécurité en Europe. Leur mort vient alourdir le bilan des réfugiés et des migrants qui ont péri en essayant de rejoindre l’Europe en fuyant l’Afrique du Nord – plus de 1 800 depuis le début de l’année.

L'Europe n'assume pas ses responsabilités

Le problème n’est pas nouveau. Cela fait des années que des réfugiés et des migrants désespérés entreprennent ce même voyage périlleux. Des milliers en sont morts. Mais alors que l’Égypte et la Tunisie, elles-mêmes au cœur de bouleversements politiques, ont tranquillement accueilli des centaines de milliers de réfugiés venus de Libye, les États membres de l’Union européenne (UE) n’ont pris aucune mesure crédible pour tenter d'empêcher que les personnes fuyant ce pays ne périssent en mer.

Évoquant le bilan chaque jour plus lourd des personnes qui périssent en mer, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, a déclaré que "l’Europe fait manifestement fausse route lorsqu’elle se préoccupe plus d’empêcher les migrants d’arriver sur ses côtes que de sauver des vies".

Ces États auraient dû renforcer les opérations de surveillance aérienne et de secours en mer afin d’être davantage en mesure d'intervenir pour porter secours aux navires en détresse. Ils disposaient même pour ce faire des moyens de l’OTAN et de Frontex (l’agence de sécurité aux frontières de l’UE). Ils auraient pu également accueillir au titre de la réinstallation des réfugiés vulnérables présents en Tunisie et en Égypte.

Au lieu de quoi, les gouvernements de l’UE se sont polarisés sur les répercussions chez eux et ont déclenché les sirènes d’alarme en voyant arriver en Europe ceux qui avaient survécu à la traversée de la Méditerranée.

Rejeter l'immigration, une attitude devenue monnaie courante

En France, face à nos sollicitations réitérées, le président de la République et le ministre de l’Intérieur restent muets. Les dix dernières années ont vu une érosion progressive de la protection des droits des réfugiés et des migrants en Europe.

Dans un climat d'alarmisme populiste, on a mis en place après le 11 septembre 2001 des politiques sécuritaires au nom desquelles on a bafoué sans vergogne les principes en matière de droits humains et les politiques d’immigration bien pensées.

Le rejet des réfugiés et des migrants est devenu une arme courante dans la bouche de certains responsables politiques et médias, prompts à rendre ces populations responsables de l’augmentation de la criminalité, des risques sanitaires et des problèmes économiques.

Cette Europe qui dans l’histoire a joué un rôle primordial dans la protection des réfugiés, ce continent où la crise provoquée par la Seconde Guerre mondiale a donné naissance au système international de protection des réfugiés, ce continent porte aujourd’hui des coups de boutoir à la protection des réfugiés.

Lampedusa

On n'émigre pas par confort

Les réfugiés sont contraints de quitter leur foyer pour échapper à la persécution et au conflit ; ils risquent leur vie pour trouver la liberté et la sécurité. Ce n’est pas l’appât du gain qui pousse les migrants vers l’Europe. Ces hommes et ces femmes fuient la pauvreté et la misère économique et sont simplement en quête d’une vie meilleure pour eux et pour leur famille.

Ceux qui décrivent les réfugiés et les migrants comme des miséreux cupides, voire criminels, non seulement disent des mensonges, mais de surcroît attisent la haine et la violence. Il n’y a pas lieu de diaboliser la quête de liberté, de sécurité et d’un avenir meilleur de ces hommes et ces femmes, une quête qui trouve forcément un écho en chacun de nous.

Obéissant avant tout à des intérêts politiques et économiques, l’UE n’a fait au fil de ces années que proclamer un attachement de pure forme aux droits fondamentaux des réfugiés et des migrants. Elle a dans le même temps soutenu et financé des politiques abusives de contrôle de l’immigration dans des États comme la Libye, où des réfugiés et des migrants ont été détenus pendant des années dans des conditions inhumaines (et soumis à la torture pour beaucoup d’entre eux), des États qui ont renvoyé des réfugiés dans leur pays d’origine, les exposant ainsi à un risque bien réel de persécution.

Révolutions arabes : l'occasion pour l'Europe de retrouver sa dignité ?

Tout récemment encore – c’était en octobre 2010 –, la Commission européenne signait avec la Libye un "programme de coopération" sur la "gestion des flux migratoires" et le "contrôle aux frontières". Un service payé 50 millions d'euros, jusqu’en 2013. À peine quelques mois plus tard, les gouvernements européens se déclaraient indignés par les violations massives des droits humains et les attaques contre les civils perpétrées par le régime libyen dans le cadre du conflit actuel.

Certes, leur dénonciation est la bienvenue, mais cette attitude met en lumière l’hypocrisie qui sous-tend les politiques de l’UE en matière d’asile et de migration : tout en se posant en défenseure des droits des réfugiés et des migrants, l’UE ferme les yeux sur des pratiques abusives dans le but d’empêcher ces personnes de se rendre en Europe. L’UE, la France et les autres États-membres ont le devoir de protéger les droits des réfugiés et des migrants et de venir à leur secours lorsque leur vie est en danger.

Partout en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, des hommes et des femmes ont eu le courage, souvent en s’exposant à de graves dangers, d’entamer le combat pour le respect de leurs droits. Le temps n’est-il pas venu pour la France et l’Europe de faire honneur à leur courage, simplement en se montrant digne de l’idéal de protection des droits fondamentaux de tous les êtres humains ?

Geneviève Garrigos, Amnesty International, dans le Nouvel Observateur