jeudi 21 juin 2007

REFUGIÉS: L'EXCEPTION VAUDOISE, UN COMBAT PERMANENT?

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Paru le Jeudi 21 Juin 2007
MICHAEL RODRIGUEZ

Suisse Alors que le douloureux dossier des «523» est en passe de trouver une issue, d'autres luttes s'annoncent déjà. Symbole de la résistance contre les renvois forcés, le canton de Vaud sera investi par une nouvelle vague sociale. Les milieux de défense des requérants d'asile lançaient hier un nouveau cri de guerre à l'occasion de la Journée internationale du réfugié.
Le rouleau compresseur des «lex Blocher», acceptées massivement par le peuple suisse en septembre dernier, n'a pas écrasé la mobilisation. Symbole de la fronde contre la machine à exécuter les renvois, le canton de Vaud reste traversé par cet esprit humaniste qui a marqué, en dépit des velléités d'intransigeance du ministre UDC Jean-Claude Mermoud, sa politique d'asile depuis les succès du mouvement «En quatre ans on prend racine», sous la règne du libéral Claude Ruey. Alors que le douloureux dossier des «523» est en passe de trouver une issue, d'autres combats s'annoncent déjà.
Mille cinq cents. C'est le nombre de requérants d'asile dans le canton de Vaud dont la décision de renvoi était exécutoire au 1erjanvier 2007. Parmi eux, 700 sont établis en Suisse depuis cinq ans ou plus. Un scénario qui fait étrangement penser à la situation de l'été 2004, lorsque l'opinion publique découvrait que, derrière le fameux nombre 523, se cachaient des personnes souvent parfaitement intégrées, des familles dont les enfants étaient scolarisés et parlaient avec l'accent vaudois. Pourtant, l'Office fédéral des migrations (ODM) ne les avait pas jugées dignes de bénéficier des possibilités de régularisation au cas par cas ouvertes par la «circulaire Metzler».


Une brèche inattendue


S'achemine-t-on vers une nouvelle crise de l'asile? Pas forcément. Car il existe une brèche, dans laquelle pourraient s'engouffrer nombre de ces nouveaux exclus. Paradoxalement, c'est une disposition de la nouvelle loi sur l'asile qui donne de l'espoir aux défenseurs des requérants. Les cantons peuvent présenter à la Confédération des demandes de permisB pour les cas de rigueur. Conditions: le requérant doit être établi en Suisse depuis cinq ans au moins, à un domicile connu des autorités, et faire preuve d'une bonne intégration.
L'heure n'est certes pas à l'euphorie, loin s'en faut. Les nouvelles mesures de durcissement découlant des lois sur l'asile et les étrangers font planer des menaces sérieuses sur les conditions de survie de centaines de personnes (lire en page 3). Mais il y a aussi des signes encourageants, qui tendent à montrer que la mobilisation exceptionnelle d'une partie importante de la société vaudoise en faveur des «523» a quelque peu ébranlé les automatismes administratifs.
Des demandes de permisB ont déjà été adressées aux autorités, avec des résultats plutôt positifs. Selon Chantal Varrin, directrice du Service d'aide juridique aux exilés (SAJE), le canton n'a écarté jusqu'ici qu'un très petit nombre de dossiers –une dizaine– et la grande majorité des demandes ont été acceptées par l'ODM. Difficile d'avoir des chiffres précis, le Département vaudois des institutions et des relations extérieures renvoyant à une prochaine communication sur ce dossier.


Fermeté ou clémence

On sait cependant que le nouveau régime des cas de rigueur a d'ores et déjà permis à une soixantaine d'Ethiopiens et d'Erythréens d'obtenir un permisB. Mais la suite des opérations pourrait se corser. Avec le temps, les autorités risquent d'être tentées de fermer les vannes, ce d'autant plus que les dossiers envoyés en premier sont en général les plus «exemplaires». Trouveront-elles une résistance, alors que la droite dure ne manquera pas de tirer argument de la «clémence» vis-à-vis des «523» pour exiger davantage de fermeté? Réponse du radical Serge Melly, le fer de lance, à droite, du combat pour les déboutés: «Nous monterons au front, pour autant bien sûr qu'il ne s'agisse pas de délinquants. Les renvoyer serait tout aussi indéfendable.»I

Les 523: dossier du Courrier

«L'engagement faiblit, l'angoisse grandit»
ANNE-ROMAINE FAVRE ZUPPINGER/

Malgré la douche froide du 24 septembre 2006, l'engagement de la Coordination asile se poursuit avec la même intensité dans le canton de Vaud. L'association se réunit toutes les semaines pour échanger sur certains dossiers et poursuit son travail de soutien aux requérants d'asile. Il n'en va pas de même pour tous. Depuis le début de l'année et l'entrée en vigueur partielle de la Loi sur l'asile, Graziella de Coulon constate certains changements. «Des personnes qui se sont battues aux côtés de requérants d'asile ces dernières années hésitent désormais à poursuivre leur engagement.»
Les esprits s'agitent, même si la révision de la législation – qui prévoit notamment une peine allant jusqu'à deux ans de prison pour toute personne refusant le renvoi de requérants – n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2008. Ces premiers signes laissent présager le climat qui risque de s'instaurer autour de la problématique des demandeurs d'asile en Suisse et des difficultés que commencent à connaître certaines associations. «Avant, on luttait contre la loi sur l'asile et la loi sur les étrangers, maintenant la lutte est devenue plus difficile, déplore Graziella de Coulon, car on nous rétorque que le peuple a choisi et qu'il faut respecter son choix. Mais le problème des requérants d'asile dans le canton de Vaud n'est de loin pas résolu.»
Depuis le début de l'année,le traitement des dossiers en suspens s'accélère et les ordres de départ commencent à tomber», s'inquiète Graziella de Coulon, de Coordination asile Vaud. Plusieurs requérants d'asile du canton ont été informés par un courrier de l'Office des migrations (ODM) qu'ils devaient quitter immédiatement la Suisse, d'autres ont reçu une lettre leur rappelant qu'il existe une aide au retour s'ils se décidaient à rentrer dans leur pays. Face à ces pressions, beaucoup sont angoissés.
«On ne sait pas exactement quand une décision va tomber, ce qui rend l'attente insoutenable» s'attriste E., requérante kurde. Difficile dès lors de reconstruire sa vie en Suisse. D'autres, pour qui l'avis d'expulsion a été prononcé, choisissent la clandestinité, au risque d'être exploités et de vivre dans la peur permanente d'être contrôlés.
Qu'ils s'épuisent à attendre une décision des autorités fédérales ou qu'ils retournent dans un pays où ils ont souffert, certains requérants, comme S., originaire du Kazakhstan, ont le sentiment que leur vie est irrémédiablement brisée, mais qu'ils doivent tenir le coup pour leurs enfants. «Ma famille a depuis des générations connu les douleurs de l'exil. J'espère que mes enfants pourront enfin grandir et faire leur vie ici.»
La scolarisation des enfants entretient souvent cette illusion dans les familles, d'autant qu'elle est, selon l'article 14 de la Loi sur l'asile, une des conditions d'intégration pour l'octroi d'un permis de séjour. Même si les enfants ne sont pas toujours conscients des enjeux liés à leur parcours scolaire, certains d'entre eux, pour conserver leur équilibre dans un environnement souvent perturbé, s'accrochent à l'enseignement qui leur est prodigué à l'école. Mais une fois leur scolarité obligatoire terminée, ces enfants ne sont pas autorisés à poursuivre leur formation et rien n'est prévu pour eux.I
Anne-Romaine Favre Zuppinger et Jeanne Gerster effectuent depuis plus de deux ans des reportages sur les requérants d'asile dans le canton de Vaud. www.g-ecko.ch


Trois questions à: Philippe Leuba, futur ministre de l'asile


Le libéral Philippe Leuba, qui reprendra le dossier de l'asile à partir du 1er juillet, se dit prêt à utiliser la marge de manoeuvre cantonale pour défendre des cas douloureux à Berne. Mais il promet aussi d'appliquer strictement la loi.
Vous héritez d'un dossier qui a donné du fil à retordre à vos prédécesseurs. Comment allez-vous l'empoigner?
J'ai l'intention de respecter et de faire respecter strictement la législation telle qu'elle existe en Suisse, et de ne pas véhiculer de faux espoirs avec des solutions de type cantonal. Les seules solutions sont fédérales.
Outre les «523», il y a dans le canton de Vaud 700 requérants d'asile déboutés établis dans le pays depuis cinq ans au moins. Comment éviter une nouvelle crise de l'asile?
C'est un dossier extrêmement difficile, j'en suis profondément conscient. La nouvelle législation régissant l'asile donne quand même une marge de manoeuvre supplémentaire pour régulariser des cas particulièrement douloureux. J'ai l'intention de plaider auprès des autorités fédérales pour des situations de ce type-là. Il faut déployer tous les efforts possibles, lorsque la situation le justifie, pour donner un statut aux personnes concernées. Le canton doit aller négocier à Berne, c'est un devoir qu'il a.
La mobilisation en faveur des «523» n'a-t-elle pas permis de faire avancer la politique d'asile, en mettant le doigt sur des problèmes réels?
L'attitude de la mobilisation est double. D'un côté, elle a entretenu des espoirs parfaitement vains, mais de l'autre, elle a attiré l'attention sur des cas douloureux. Probablement d'ailleurs que cela a conduit à la porte de sortie ménagée par la nouvelle législation sur l'asile.
PROPOS RECUEILLIS PAR MRZ


«C'EST LA DECHEANCE!»


La date fatidique approche pour les requérants d'asile déboutés. A partir du 1er janvier 2008, ils se verront retirer le droit à l'aide sociale, pour échouer à l'aide d'urgence. Leurs moyens d'existence seront réduits à la portion congrue: de quoi manger, un lit, mais le plus souvent pas d'argent de poche. Le changement s'annonce brutal, en particulier pour ceux qui vivent actuellement dans des appartements. Brigitte Zilocchi, médiatrice Eglise-réfugiés dans le canton de Vaud, ne cache pas son inquiétude: «Depuis 2004, lorsque les NEM ont été mis à l'aide d'urgence, les choses se dégradent terriblement. C'est le désespoir, le no future. Des gens qui avaient toujours été très droits commencent à se débrouiller comme ils peuvent... Certains vendent de la drogue, ils commencent vraiment à péter les plombs. Nous avons peur, c'est la déchéance.» Au Point d'appui, structure oecuménique d'aide aux migrants, une permanence sera ouverte pour les requérants déboutés, comme c'est déjà le cas pour les NEM.
En cas de menace de renvois, les églises seront-elles à nouveau prêtes à ouvrir des refuges? «Cela dépendra des dossiers des personnes», répond Brigitte Zilocchi. Au Service d'aide juridique aux exilés, Chantal Varrin craint aussi que le recours aux mesures de contrainte ne s'intensifie: «Cela va être extrêmement dur.

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