jeudi 25 mars 2010

Après huit ans à Guantanamo, la liberté dans le Jura

Les frères ouïgours Arkin et Bahtiyar Mahnut ont atterri en Suisse et se sont installés dans le Jura, dans un endroit tenu secret. «Les choses se passent bien», affirme le ministre Charles Juillard. Un article signé Serge Jubin dans le Temps.

Radio Free Asia, à Washington, a donné l’information, relayée par l’AFP et confirmée par le président du gouvernement jurassien, Charles Juillard, à la tribune du parlement: «Les frères ouïgours détenus à Guantanamo sont arrivés mardi dans le Jura. Les choses se passent bien.» Le Grand Conseil, où 45 des 60 députés avaient appuyé l’offre d’accueil en janvier, a applaudi chaudement.

Sept semaines après la décision du Conseil fédéral d’héberger en Suisse deux ex-détenus ouïgours de Guantanamo, suscitant la colère de la Chine qui les considère comme des terroristes, Arkin et Bahtiyar Mahnut, 45 et 33 ans, cordonniers, ont atterri mardi vers 10h à l’aéroport de Zurich, à bord d’un avion de l’US Air Force.

Le vice-directeur de l’Office fédéral de la justice, Rudolf Wyss, est monté à bord pour leur remettre un permis humanitaire B. En bonne santé apparente, ils ont foulé le tarmac puis ont été reçus dans une salle de l’aéroport par une délégation de l’administration fédérale et du canton du Jura. «Ce fut bref, solennel et émouvant», rapporte le porte-parole du gouvernement jurassien, Pierre-Alain Berret, qui était sur place. L’aîné, Arkin, a pris la parole et, par interprète interposé recruté dans la communauté ouïgoure de Suisse – les ex-détenus ne parlent que chinois, à peine quelques mots d’anglais –, a dit son bonheur d’être là et adressé des remerciements à la Suisse et au canton du Jura.

Un baluchon sur l’épaule en guise de bagage, les frères Mahnut ont ensuite été pris en charge par le Jura, qui avait maintenu son offre d’accueil contre vents et marées, «pas être prêt à sacrifier sa tradition humanitaire, d’ouverture et de solidarité sur l’autel d’intérêts diplomatico-économiques», déclarait Charles Juillard.

Entourés du chef du Service jurassien de la population, Jean-Marie Chèvre, du délégué à l’information, d’un représentant de l’Association jurassienne d’accueil des migrants (AJAM) et du traducteur, les frères Mahnut ont été emmenés dans un minibus en direction du Jura. «Ils sont confiés aux bons soins de l’AJAM, explique le ministre, qui ne les a pas encore rencontrés. Ils suivront le cursus habituel d’intégration. Ils ont promis d’apprendre le français, de se conformer au droit, de respecter les us et coutumes et de s’intégrer professionnellement.» Ils bénéficient d’un suivi médico-social et de ressources selon les normes CSIAS de l’aide sociale.

Ils sont logés dans un appartement de l’AJAM, dans un endroit que les autorités tiennent secret «afin de préserver le droit à la vie privée», justifie Charles Juillard, précisant que les frères Mahnut ne sont pas dans un centre de premier accueil de demandeurs d’asile.

«Durant le trajet, raconte Pierre-Alain Berret, ils ont beaucoup parlé avec l’interprète ouïgour. Ils ont multiplié les mercis. Ces deux hommes qui venaient de passer huit ans et demi en détention étaient accueillis ici en hommes libres. Je les ai vus paisibles, souriants.»

L’interprète restera quelque temps aux côtés des frères Mahnut. Un discret dispositif de sécurité est organisé aux alentours de leur nouveau domicile. «Ils ont été informés de la médiatisation qui a précédé leur arrivée, relève Pierre-Alain Berret. Nous les inviterons à se présenter aux médias, vraisemblablement la semaine prochaine.» «Nous voulons favoriser une intégration harmonieuse, sans en faire des bêtes de cirque», renchérit Charles Juillard.

L’accueil des Ouïgours ne coûte rien au Jura. Les frais sont pris en charge par la Confédération et les Etats-Unis, «jusqu’à leur indépendance professionnelle et financière, que nous souhaitons aussi rapide que possible», affirme le ministre.

Bahtiyar et Arkin Mahnut ont été arrêtés au mois d’octobre 2001 au Pakistan par les troupes américaines, «vendus» par des villageois pour toucher la récompense de 5000 dollars. «Ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment», déclarait en janvier la députée démocrate-chrétienne Marie-Noëlle Willemin. Ils sont détenus depuis lors à Guantanamo, sans y avoir été accusés ni condamnés. Ils ont été déclarés «sans danger» par les experts de la Confédération.

La Chine proteste après l’asile accordé par la Suisse à deux Ouïghours

La Chine a protesté jeudi contre l'asile accordé par la Suisse à deux anciens détenus ouïghours de la prison américaine de Guantanamo, originaires de la région chinoise du Xinjiang (nord-ouest). "Nous nous opposons résolument à ce que les États-Unis envoient vers un pays tiers ces suspects", a déclaré à la presse le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Qin Gang. "Nous nous opposons résolument à ce que des pays acceptent ces suspects sous quelque prétexte que ce soit. Nous avons déjà émis une protestation formelle" auprès de la Suisse, a-t-il ajouté.

Les deux Ouïghours, des frères âgés de 34 et 45 ans, sont arrivés mardi en Suisse, transférés de Guantanamo. Ils vivront dans le canton du Jura, dans le nord-ouest de la Suisse. La Chine les accuse d'appartenir à une organisation qu'elle qualifie de "terroriste", le "Mouvement islamique du Turkestan oriental".

Discrimination religieuse et culturelle

Au total, 22 Chinois de l'ethnie ouïghoure ont été détenus à Guantanamo, la prison la plus critiquée au monde, ouverte pour les personnes soupçonnées de terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001. Ils ont tous été innocentés et Washington a refusé de les renvoyer en Chine de crainte qu'ils y soient persécutés.

Au Xinjiang, région majoritairement peuplée de musulmans, une partie des Ouïghours - huit millions de personnes - dénonce la discrimination religieuse et culturelle dont elle fait l'objet sous couvert de lutte antiterroriste, et la présence accrue de Hans venus du reste de la Chine dans le cadre de la politique de développement économique. Un premier ex-détenu de Guantanamo, un Ouzbek, avait été accueilli par la Suisse début 2010. Il est installé dans le canton de Genève.

AFP

Apprentissage: l’espoir est-il permis pour les jeunes sans-permis ?

Lundi soir, la droite modérée s'est montrée assez favorable à l'idée d'ouvrir la formation professionnelle aux sans-papiers. Mais de là à les régulariser... Un article de Michaël Rodriguez dans le Courrier.
Un municipal socialiste, deux syndicalistes, un patron de PME: le plateau d'orateurs qui était à l'affiche d'une conférence-débat lundi soir sur la formation des sans-papiers penchait vers la gauche. Personne, pas même dans la salle, n'a attaqué frontalement le principe d'un accès des sans-papiers à l'apprentissage. C'est que l'UDC brillait par son absence. Quant à la droite modérée, elle a préféré dévier le débat sur le nombre de places d'apprentissage à la Ville (lire ci-dessous).
De la parole aux actes
Devant une bonne soixantaine de personnes, réunies au restaurant Le Vaudois, «stamm» des radicaux à Lausanne, le municipal de la Jeunesse et de l'éducation Oscar Tosato a rappelé les prémices de la décision lausannoise: une motion d'Alain Hubler (A gauche toute!) en faveur de la formation professionnelle des sans-papiers, les efforts infructueux de la Ville pour se faire entendre des autorités fédérales et, après huit ans, la décision de «passer de la parole aux actes».
«Il n'y a pas de raison que les plus doués puissent faire le gymnase et que les autres restent sur le carreau», a appuyé le deuxième orateur, Guy Gaudard. Ce petit patron, élu de LausannEnsemble au législatif communal, fait le calcul suivant: «Un jeune qui travaille, c'est un jeune qui ne coûte pas cher à la société.» Dans la salle, le président du PDC lausannois Claude Mettraux a défendu l'«égalité de traitement», non sans avoir au préalable accusé l'exécutif de donner de l'eau au moulin de l'UDC.
Un excès nécessaire
Deux questions ont dominé le débat: celle de la légalité et de la légitimité, ainsi que celle de la régularisation. Parmi les orateurs, Aristides Pedraza, syndicaliste à SUD et enseignant à l'école professionnelle, a rappelé que tout changement nécessite de déborder du cadre établi. «Il faut toujours un excès d'initiative, de mouvement social, pour qu'un problème de type institutionnel puisse se résoudre. Les radicaux le savent, eux qui ont été les seuls à mener à bien un projet révolutionnaire dans ce canton...»
Dans l'assistance, une juriste a affirmé que la décision lausannoise est défendable du point de vue du droit. La Constitution fédérale prévoit que «les enfants et les jeunes ont droit à une protection particulière de leur intégrité et à l'encouragement de leur développement». Cela n'a pas suffi à rassurer tout le monde. «En engageant des apprentis sans-papiers, on peut se voir infliger une amende ou une peine privative de liberté, a lancé un employé du Contrôle lausannois des habitants. En tant que formateur, c'est moi qui signe le contrat d'apprentissage!» «La municipalité ne fera porter de conséquences pénales sur personne d'autre que sur elle-même», a promis Oscar Tosato.
L'échec du «cas par cas»
Peut-on offrir une formation aux sans-papiers sans parler régularisation? Certains craignent d'ouvrir la boîte de Pandore. Mais pour Aristides Pedraza, on ne fera pas l'économie d'un tel débat: «Il s'agira de se demander au nom de quoi certaines personnes sont maintenues hors du droit commun, alors que d'autres peuvent être régularisées.» A la table des orateurs, Beatriz Rosende, du Syndicat des services publics, a affirmé que la voie des régularisations au cas par cas est un leurre. «En 2009, l'Office fédéral des migrations a reçu quarante demandes des cantons et en a accepté 80%, mais dans le même temps, deux mille huit cents sans-papiers ont été renvoyés», a-t-elle souligné, citant des chiffres publiés par L'Illustré.
Côté public, Mathieu Blanc, vice-président du Parti libéral-radical lausannois, a mis en garde contre le risque de donner «des faux espoirs» aux sans-papiers. Pour lui, il s'agit de continuer à régulariser au cas par cas, «mais avec des critères élargis». Riposte d'Alain Hubler: «Aux vrais faux espoirs, préférez-vous le vrai désespoir?»

Les deux ex-détenus ouïgours sont arrivés dans le Jura

Fatigués mais reconnaissants, les deux anciens prisonniers de Guantánamo ont foulé mardi matin le sol suisse. Un article de Martine Clerc dans 24 Heures.

Charles Juillard

Cernés, mais heureux, débarrassés de leur uniforme orange de prisonniers de Guantánamo, les frères Mahnut ont posé le pied mardi matin sur le tarmac de Zurich. «Ils n’arrêtaient pas de sourire et de remercier la Suisse et le canton du Jura de leur accueil, raconte le porte-parole du gouvernement jurassien, Pierre-Alain Berret. C’était émouvant de leur serrer la main. Chez eux aussi on ressentait de l’émotion.»

Permis B en poche, Bahtiyar et Arkin Mahnut, 34 et 45 ans, sont désormais hébergés dans un appartement et pris en charge par l’Association jurassienne d’aide aux migrants (AJAM). Un interprète est à leur disposition. «Ils s’acclimatent bien, ils vont rapidement prendre des cours de français, poursuit le porte-parole. Ils pourront ensuite se mettre à niveau professionnellement.» L’un des deux frères est cordonnier dans son pays. La Confédération prend en charge l’entier des frais liés à leur séjour jusqu’à leur indépendance financière.

C’est sous les applaudissements des députés de son canton que Charles Juillard, le président du gouvernement jurassien, a annoncé hier la nouvelle. «Nous avons réussi à sortir ces deux hommes de la prison dans laquelle ils ont été détenus à tort pendant huit ans. C’est une satisfaction de voir que notre canton a participé à gommer une injustice.» Le conseiller d’Etat rencontrera les deux hommes aujourd’hui.

Premiers gestes en liberté

Comment se passent leurs premières heures en Suisse? «Ils sont fatigués et dorment beaucoup, indique Francis Charmillot, directeur de l’AJAM. Ils ont été heureux de retrouver une douche et de bons lits, des choses simples.» Pour assurer un peu de calme aux nouveaux venus et ne pas les exhiber comme des «bêtes de foire», le canton donne peu d’informations, notamment sur leur lieu de domicile. Si l’information de leur transfert n’avait pas transpiré via un média américain, le gouvernement serait resté silencieux. Un point presse devrait être organisé la semaine prochaine. Un autre ex-détenu de Guantánamo, un Ouzbek, a été accueilli par le canton de Genève en début d’année.