La Suisse ligote de la tête aux pieds les requérants expulsés sur les vols spéciaux. Elle contrevient ainsi à de nouvelles directives européennes. Depuis la mort d'un Nigérian en 2010, l'Office des migrations (ODM) engage des médecins sur les vols. Mais ces médecins ne sont pas formés pour ce type d’interventions.
En Suisse, ces images sont connues: des requérants expulsés,le casqués, ligotés, attachés à des chaises à porteur, que l’on embarque dans des avions à destination de leur pays d’origine. Les retours forcés, pourtant, se pratiquent très différemment dans bon nombre de pays européens.
L’Allemagne, la Grande-Bretagne, les pays scandinaves ou encore l’Autriche ont renoncé à ligoter systématiquement les requérants renvoyés à bord de vols spéciaux. Les requérants de ces pays sont certes entourés de policiers, mais pour la plupart, ils se déplacent tout à fait librement.
"On attache environ 5% des personnes expulsées de force, et encore, uniquement avec des menottes que l’on enlève généralement une fois dans l’avion", relève Günter Ecker, observateur des droits de l’homme sur les vols autrichiens. "Les mesures de contrainte doivent être les plus légères possible, afin de limiter les risques pour la santé des personnes expulsées."
"Comme des saucissons"
C’est également ce que dit une directive européenne en vigueur depuis le début de l’année, et qui prône la proportionnalité. La Suisse, signataire des accords de Schengen/Dublin y est soumise. Mais Berne n’a encore rien changé dans sa pratique. Casque, attaches aux poignets, aux chevilles et fixation au siège de l’avion. Ces méthodes étonnent les observateurs européens, pour qui les pratiques helvétiques ne devraient pas être "une procédure standard".
D’autant que la méthode suisse est à hauts risques, selon le président de la Commission fédérale contre la torture, qui a lui-même accompagné des vols en qualité d’observateur. "Les mesures sécuritaires suisses ne sont pas adaptées au cas par cas", souligne Jean-Pierre Restellini. Dans le cas de vols de 12, 13, 15 heures, avec des personnes ligotées comme des saucissons, le risque d’une thrombose mortelle, par exemple, ne peut être écarté."
SOS Médecins à la rescousse
Depuis la mort, il y a un an, d’un Nigérian lors de son expulsion, l’Office fédéral des migrations (ODM) assure la présence d’un médecin lors des vols. Mais trouver des praticiens prêts à assumer cette responsabilité a été difficile. Ce sont finalement les urgentistes de SOS Médecins, à Genève, qui ont accepté d’accompagner une bonne partie de la cinquantaine de vols annuels, pour 1200 francs par jour. Le monde médical s’interroge toutefois sur les compétences de SOS Médecins en la matière.
"J’espère que cela permettra d’éviter une nouvelle catastrophe, mais je n’en suis pas sûr", prévient Jacques de Haller. Pour le président de la Fédération des médecins suisses (FMH), "les pressions des institutions, de la police et des autorités sont extrêmement fortes et il faut pouvoir y résister. Je pense que faire un accompagnement sans formation spécifique est malhonnête et ne correspond pas aux exigences de la profession."
Chez SOS Médecins, on n’a reçu ni formation spécifique, ni cahier des charges précis. Bien souvent, le médecin accompagnant ne reçoit même pas le dossier médical des personnes expulsées. "SOS Médecins est parfaitement armé, se défend Pierre Froidevaux. On connaît ces situations, on intervient régulièrement dans des postes de police, on connaît la situation légale et les situations de privation de liberté."
Berne en retard
Du côté des autorités, on se dit satisfait des prestations, et on ne compte pas changer de procédure en ce qui concerne l’immobilisation des requérants: "Les mesures et le dispositif que nous utilisons sont certifiés pour ne pas menacer la sécurité et l’intégrité physique, assure Eveline Gugger, vice-directrice de l’ODM. Et nous les utilisons aussi pour la sécurité de la personne expulsée, afin qu'elle ne mette pas en danger sa propre santé."
Par ailleurs, selon la directive européenne, dont la Suisse a eu connaissance voilà deux ans, l’ODM aurait dû nommer des observateurs attitrés, chargés de suivre les vols spéciaux et d’adresser des recommandations aux autorités, à partir du 1er janvier 2011. Mais Berne a pris du retard. Pour l'instant, la commission nationale de prévention de la torture pallie ce manque, mais attend elle aussi de pied ferme la nomination d’observateurs attitrés.
Mais, côté européen, on parle d’harmoniser les procédures de renvoi. Et si un consensus est trouvé, la Suisse n’aura pas d’autre choix que de s’y plier.
Ron Hochuli pour la RSR
RSR
Extrait du journal télévisé de la TSR du 6 mars 2011