Chaque année en Europe, des centaines d'enfants migrants non accompagnés disparaissent des institutions où ils ont été placés. Sans que les autorités s'en émeuvent particulièrement. Sur la base d'une vaste enquête réalisée en Suisse, en Belgique, en France et en Espagne1, la fondation Terre des hommes appelle les Etats à améliorer leur prise en charge et à collaborer davantage afin d'enrayer un phénomène jugé inquiétant. «Nous souhaitons que cette réalité, loin d'être marginale, soit enfin reconnue: jusqu'à 50% des enfants s'évanouissent dans la nature», indique Bernard Boëton, responsable du secteur droits de l'enfant pour l'ONG basée à Lausanne. Pour leur enquête, les collaborateurs de Terre des hommes se sont entretenus avec nonante professionnels (éducateurs, directeurs de foyers, police, justice, administration, etc.) et une quarantaine de mineurs.
Dispositifs inadaptés
Demandeurs d'asile ou sans-papiers, ces jeunes migrants arrivés seuls – africains ou asiatiques pour la plupart – font pourtant l'objet d'un traitement spécifique prévu par les législations nationales et les normes internationales. Une fois enregistrés, ils sont envoyés par l'autorité administrative ou judiciaire dans des foyers ouverts, avec encadrement et tutelle. Pour leur protection.
Mais ces dispositifs ne sont globalement pas adaptés à leur situation. «Que signifie être placé et protégé pour des mineurs qui ont souvent franchi des épreuves humainement extrêmes, contraints d'atteindre un degré de maturité adulte, et dont on exige qu'ils s'adaptent au règlement intérieur d'une institution en général conçue pour des plus jeunes?» interroge Terre des hommes. Beaucoup ont en outre «la certitude que ce placement est la 'salle d'attente' de l'expulsion vers leur pays d'origine». Une perspective qui ne cadre pas avec leur projet: gagner de l'argent en Europe. D'autres, seulement en transit, s'échappent uniquement pour poursuivre leur voyage.
En disparaissant, ces mineurs non accompagnés courent des risques importants. D'abord pour leur santé physique et psychique. Les moins chanceux, eux, sont enrôlés de force dans des réseaux criminels – drogue, exploitation sexuelle, travail clandestin – ou basculent dans la délinquance. Combien sont-ils dans ce cas? Impossible de le savoir, déplore Terre des hommes. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que très peu de moyens sont engagés pour retrouver ces disparus, contrairement à ce qui se produit pour les mineurs «nationaux», note l'ONG.
D'abord des enfants
L'un des problèmes mis en exergue est l'absence de statistiques et d'échanges d'informations, a fortiori pour les jeunes migrants qui n'entrent pas dans le circuit officiel de l'asile ou qui en ont été rapidement exclus. Seul chiffre disponible pour la Suisse: en 2008, on recensait 631 demandeurs d'asile isolés de moins de 18 ans. Ils sont essentiellement originaires de Somalie, du Nigeria, de Guinée, de Gambie et d'Irak. Cité anonymement dans le rapport de l'ONG, un responsable de l'Office fédéral des migrations évalue à 40% le taux de disparition. «Dans les quatre pays étudiés, nous n'avons pas observé de différences notables, le problème est le même partout», explique Sofia Hedjam, auteure de l'étude.
Parmi les recommandations faites aux Etats, Terre des hommes prône la création d'un statut spécial pour les mineurs non accompagnés. «Ils doivent être traités d'abord en fonction des normes de protection de l'enfant, et non sous l'angle exclusif de l'immigration illégale», estime Bernard Boëton.
Note : 1«Disparitions, départs volontaires, fugues: des enfants de trop en Europe?», disponible sur www.tdh.ch