lundi 1 février 2010

L'Europe néglige le sort des enfants migrants arrivés seuls

Selon l'ONG Terre des hommes, des centaines de mineurs requérants d'asile ou sans papiers s'évanouissent dans la nature peu après leur prise en charge. Un article d'Olivier Chavaz dans le Courrier.
Chaque année en Europe, des centaines d'enfants migrants non accompagnés disparaissent des institutions où ils ont été placés. Sans que les autorités s'en émeuvent particulièrement. Sur la base d'une vaste enquête réalisée en Suisse, en Belgique, en France et en Espagne1, la fondation Terre des hommes appelle les Etats à améliorer leur prise en charge et à collaborer davantage afin d'enrayer un phénomène jugé inquiétant. «Nous souhaitons que cette réalité, loin d'être marginale, soit enfin reconnue: jusqu'à 50% des enfants s'évanouissent dans la nature», indique Bernard Boëton, responsable du secteur droits de l'enfant pour l'ONG basée à Lausanne. Pour leur enquête, les collaborateurs de Terre des hommes se sont entretenus avec nonante professionnels (éducateurs, directeurs de foyers, police, justice, administration, etc.) et une quarantaine de mineurs.


Dispositifs inadaptés

Demandeurs d'asile ou sans-papiers, ces jeunes migrants arrivés seuls – africains ou asiatiques pour la plupart – font pourtant l'objet d'un traitement spécifique prévu par les législations nationales et les normes internationales. Une fois enregistrés, ils sont envoyés par l'autorité administrative ou judiciaire dans des foyers ouverts, avec encadrement et tutelle. Pour leur protection.
Mais ces dispositifs ne sont globalement pas adaptés à leur situation. «Que signifie être placé et protégé pour des mineurs qui ont souvent franchi des épreuves humainement extrêmes, contraints d'atteindre un degré de maturité adulte, et dont on exige qu'ils s'adaptent au règlement intérieur d'une institution en général conçue pour des plus jeunes?» interroge Terre des hommes. Beaucoup ont en outre «la certitude que ce placement est la 'salle d'attente' de l'expulsion vers leur pays d'origine». Une perspective qui ne cadre pas avec leur projet: gagner de l'argent en Europe. D'autres, seulement en transit, s'échappent uniquement pour poursuivre leur voyage.
En disparaissant, ces mineurs non accompagnés courent des risques importants. D'abord pour leur santé physique et psychique. Les moins chanceux, eux, sont enrôlés de force dans des réseaux criminels – drogue, exploitation sexuelle, travail clandestin – ou basculent dans la délinquance. Combien sont-ils dans ce cas? Impossible de le savoir, déplore Terre des hommes. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que très peu de moyens sont engagés pour retrouver ces disparus, contrairement à ce qui se produit pour les mineurs «nationaux», note l'ONG.


D'abord des enfants

L'un des problèmes mis en exergue est l'absence de statistiques et d'échanges d'informations, a fortiori pour les jeunes migrants qui n'entrent pas dans le circuit officiel de l'asile ou qui en ont été rapidement exclus. Seul chiffre disponible pour la Suisse: en 2008, on recensait 631 demandeurs d'asile isolés de moins de 18 ans. Ils sont essentiellement originaires de Somalie, du Nigeria, de Guinée, de Gambie et d'Irak. Cité anonymement dans le rapport de l'ONG, un responsable de l'Office fédéral des migrations évalue à 40% le taux de disparition. «Dans les quatre pays étudiés, nous n'avons pas observé de différences notables, le problème est le même partout», explique Sofia Hedjam, auteure de l'étude.
Parmi les recommandations faites aux Etats, Terre des hommes prône la création d'un statut spécial pour les mineurs non accompagnés. «Ils doivent être traités d'abord en fonction des normes de protection de l'enfant, et non sous l'angle exclusif de l'immigration illégale», estime Bernard Boëton.

Note : 1«Disparitions, départs volontaires, fugues: des enfants de trop en Europe?», disponible sur www.tdh.ch

Les tribulations d'une Suissesse fiancée à un sans-papiers

Projeter d'épouser un sans-papiers, c'est aller au-devant d'un parcours du combattant. Soupçonnée d'abus au droit du mariage, condamnée pour aide au séjour illégal, une Vaudoise a galéré plus d'une année avant de recevoir le feu vert de l'état civil. «Si vous voulez vous marier avec un étranger non-européen, on vous soupçonne de vouloir contracter un faux mariage», témoigne Chantal*, qui souhaite conserver l'anonymat pour des raisons professionnelles. A partir du 1er janvier 2011, il deviendra impossible d'épouser un sans-papiers en Suisse. Avant de célébrer un mariage ou d'enregistrer un partenariat, les officiers d'état civil devront s'assurer que les deux candidats séjournent légalement dans le pays. Une révision du Code civil que le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a jugée incompatible avec le droit au mariage. Un article de Michaël Rodriguez dans le Courrier.

«Vous êtes ici»

Certains cantons, à l'instar du Valais, n'ont cependant pas hésité à anticiper cette pratique. D'autres, comme Fribourg et Vaud, recourent à une disposition de l'actuel Code civil, qui permet aux officiers d'état civil de refuser leur concours s'ils sont manifestement face à un mariage de complaisance. Mais ils n'ont pas à mener une enquête; l'abus doit sauter aux yeux, faute de quoi les fiancés sont considérés comme de bonne foi.
Le canton de Vaud ferait-il de l'excès de zèle? De longs mois après avoir déposé leur demande de mariage, avec les papiers requis, Chantal et son fiancé sud-américain sont convoqués à l'état civil. «On pensait que c'était pour fixer la date du mariage», relate-t-elle. Pas du tout: le couple se voit remettre un document qui décrit, en une dizaine d'étapes, le déroulement de la procédure. Le texte «Vous êtes ici» pointe la deuxième case: «Avis d'ouverture de procédure en cas d'abus au droit du mariage ou du partenariat enregistré.»

Une présomption d'abus

Alors qu'aucune audition n'avait encore eu lieu, ce document annonce aux deux fiancés, en termes un brin paradoxaux: «Des doutes sérieux existent sur le fait que vous ne voulez manifestement pas fonder une communauté conjugale (...) mais éluder les dispositions sur l'admission et le séjour des étrangers.» Une formulation que Chantal juge choquante. «On dit d'emblée à des gens qui veulent se marier qu'ils cherchent à frauder la loi, s'exclame-t-elle. Et c'est à eux de démontrer que ce n'est pas le cas.» Pour Jean-Michel Dolivo, avocat et membre du Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers, cette pratique revient à entériner une «présomption d'abus».

Condamnation pénale

Une fois ce document reçu, les deux fiancés sont interrogés séparément durant une heure. «Ils nous ont posé des questions personnelles sur la rencontre, décrit Chantal. Ils nous ont aussi demandé si nous avions des amis, et si nous pouvions citer des noms d'amis du partenaire.» Le couple a reçu tout récemment le feu vert de l'état civil. Mais non sans être passé par d'autres tribulations. Tous deux ont été condamnés pénalement, lui pour séjour illégal, elle pour incitation au séjour illégal. Résultat: des amendes avec sursis. Il leur a fallu aussi se battre sur le plan administratif, en recourant contre la décision de renvoi du fiancé sans-papiers. «Tout cela nous épuise, confie Chantal. Il faut être solide pour tenir le coup.» I
Note : * Prénom d'emprunt.

«ÇA A LE MERITE D'ETRE CLAIR»

L'État se défend de pratiquer une politique du soupçon. «En 2009, il n'y a eu que 120 auditions», indique Jean-François Ferrario, chef de la Division état civil. Résultat: 50 abandons de procédure et 17 refus, dont quatre ont été cassés en justice. Parmi les demandes de mariage déposées l'an dernier, 311 concernaient des sans-papiers. En tout, 3600 mariages ont été célébrés dans le canton. Jean-François Ferrario admet que le document remis aux fiancés soupçonnés d'abus «peut paraître assez dur». «Mais cela a le mérite d'être clair, juge-t-il. Nous cherchons à lever toute ambiguïté plutôt que d'insinuer, à travers des stratagèmes, qu'il y a des soupçons de mariage de complaisance».
Pourquoi ne pas attendre de voir les personnes? «Sur la base des papiers, on voit pas mal de choses», argumente Jean-François Ferrario. «Il arrive que la personne soit sous le coup d'une décision de renvoi qui n'a pas été exécutée, ou qu'elle soit fraîchement divorcée.» Le haut fonctionnaire estime en outre que l'Etat a «un rôle préventif» face à des unions où l'un des deux partenaires est sincère, mais l'autre pas. «Nous recevons des pressions de familles qui ne comprennent pas qu'on laisse faire.» MR