jeudi 27 novembre 2008

Le système d'asile suisse est grippé


L I N DA  B O U R G E T dans le Courrier

Deux mille demandes d'asile de plus que prévu ont suffi à gripper le système d'accueil helvétique. Un système calibré sous l'ère de l'ex-conseiller fédéral Christoph Blocher pour traiter entre 10 000 et 12 000 demandes par an. Ce seuil a été largement franchi au mois d'octobre (12 467 demandes). En cause, essentiellement, la détérioration de la situation en Somalie, en Erythrée ainsi qu'au Sri Lanka, à laquelle est liée l'augmentation des requêtes observée depuis dix mois. «La Suisse n'est pas le seul pays concerné, les demandes progressent dans toute l'Europe», relève Karin Jehle, de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Même si la tendance n'est pas la même partout: sur les neuf premiers mois de l'année, le nombre de demandes a par exemple bondi en Norvège (+123% par rapport à la même période de l'année précédente), tandis qu'il chutait en Suède (  32,5%). Parce qu'Oslo a adopté une législation moins sévère en matière d'asile, tandis que Stockholm serrait la vis à l'égard des requérants irakiens.

Tour de vis de la ministre
Loin de lâcher la pression mise par son prédécesseur, Eveline Widmer-Schlumpf entend changer les conditions d'admission des Erythréens. Comme Christoph Blocher, la ministre estime qu'être déserteur ou objecteur de conscience n'est pas, en soi, un motif d'asile. Si le Zurichois souhaitait un arrêté urgent sur la question, la Grisonne a préféré proposer une révision de la loi, sur laquelle le Conseil fédéral devrait se prononcer le mois prochain. Eveline Widmer-Schlumpf a de plus décidé de renvoyer tous les réfugiés tchétchènes chez eux le 1er août dernier. L'entrée en vigueur des accords de Schengen-Dublin, le 12 décembre, ne devrait par ailleurs pas avoir d'incidence majeure sur le nombre de demandes. Le volet Dublin, qui se rapporte à l'asile, empêche les requérants de déposer plusieurs demandes dans les pays signataires de l'accord. Autrement dit: la personne déboutée en Italie, n'aura désormais plus le droit de se présenter en Suisse. LBT

Il n'y a plus d'effet dissuasif
En Suisse, «l'effet dissuasif de la nouvelle loi sur l'asile n'a été que de courte durée », note Yann Golay, porte-parole de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR). D'autres facteurs favorisent en revanche l'arrivée de certains requérants. En tête: la présence de diasporas (érythréenne, somalienne, sri lankaise, etc.) qui facilite la venue et l'intégration de leurs compatriotes. Ensuite, Berne accorde aux Erythréens (1440 demandes de janvier à septembre 2008) le statut de réfugiés lorsqu'ils ont déserté l'armée de leur pays, ou sont considérés comme des objecteurs de conscience (lire ci-contre).

Une forte augmentation des demandes d'asile est observée depuis dix mois. KEYSTONE
contenir en ses frontières: certaines mesures prises par Rome (complication de la procédure d'asile, traque aux clandestins, etc.) incitent en effet ces migrants «à frapper aux portes des pays voisins», estime Roman Cantieni, porte-parole de l'ODM. (EVAM, ex-Fareas). «La qualité en pâtit forcément.» Le Département fédéral de justice et police (DFJP) a d'ailleurs admis ses manquements: «La Confédération n'a pas été en mesure de remplir ses obligations», écrit-il dans un communiqué publié au début du mois. Le DFJP s'était en effet engagé à assurer la prise en charge d'une éventuelle hausse des requérants pour une durée d'au moins six mois. Mais la promesse reposait sur un accord passé avec le Département fédéral de la défense et des sports (DDPS), censé mettre à disposition certaines de ses infrastructures en cas de besoin. Un accord cassé par l'armée le 31 décembre 2007, celle-ci préférant réserver ses locaux à d'autres usages. Pour se délier de son engagement, Berne versera donc 25 millions de francs aux cantons (tous les ans, 2008 compris) qui ont, de facto, pris à leurs charges l'afflux des requérants. Le manque de places n'est cependant pas le seul problème d'un système en sous-capacité. Faute d'effectifs, les migrants sont aussi pénalisés lors du traitement de leurs dossiers. D'abord, au niveau des délais: au 30 septembre 2007, ils étaient moins de 5600 à attendre une réponse de Berne; une année plus tard, plus de 9600 personnes (+ 71%) n'étaient pas fixées sur leur sor t. Ensuite, au niveau de l'attention dont ils bénéficient: surchargés, les services de l'ODM ne semblent plus en mesure d'accorder le temps nécessaire au traitement de chaque cas, observe Michaël Pfeiffer. Ce qui, selon le juriste du secteur réfugiés du Centre social protestant, engendre «une hausse des recours auprès du Tribunal administratif». De quoi presque faire oublier que Berne s'était donné les moyens de traiter plus de 40 000 dossiers par an en 1991, 1998, et 1999. I

Trop de requérants s'évaporent
Tous les requérants ne disparaissent pas des statistiques suisses parce qu'ils retournent dans leur pays. Lorsque l'ordre leur est donné de quitter le territoire helvétique, certains préfèrent rester et basculer dans la clandestinité. Ils viennent alors gonfler une dernière fois les chiffres de l'ODM, sous la rubrique des «départs non contrôlés et autres sorties». Sur les neuf premiers mois de 2007, ils étaient 603 dans ce cas, contre 2217 une année plus tard. Un bond que les organisations de soutien aux réfugiés attribuent à la nouvelle loi sur l'asile: selon celle-ci, les déboutés n'ont désormais droit qu'à l'aide d'urgence, alors qu'ils accédaient auparavant à l'aide sociale. Une situation nettement moins confortable, que beaucoup de déboutés semblent abandonner au profit d'un emploi au noir. LBT

Manquements de Berne
Autant de facteurs qui mettent à mal les services de l'ODM et les centres d'accueil cantonaux. En premier lieu, parce que ceux-ci manquent cruellement de places. Ainsi le Tessin loge-t-il ses requérants dans des pensions bon marché. Pour sa part, le canton de Vaud se rabat sur des appartements et cherche, en vain, à créer un nouveau centre sur la Côte. «En attendant, nous sommes contraints de placer certaines personnes dans des structures pas prévues pour cela», regrette Emmanuelle Marendaz, responsable de la communication de l'Etablissement vaudois d'accueil des migrants

Pas d’asile pour les séropositifs


Par Marie Maurisse dans l'Hebdo

Expulsion. Angelina est infectée par le VIH. Après deux ans en Suisse, elle doit être renvoyée au Cameroun. Pour beaucoup, cette décision s’apparente à une condamnation à mort.
 

Assise sur son lit, Angelina* attend. Sur son visage sans sourire, il y a la peur. Dans une heure, une semaine, un mois peut-être, elle recevra une lettre l’exhortant à quitter la Suisse. Elle devra alors rejoindre le pays où elle est née voilà 58 ans, le Cameroun. Et risque de faire face à la recrudescence de la maladie dont elle est victime depuis 1999, le virus du sida.

«Grâce à la Suisse, j’ai gagné deux ans de vie en plus, dit-elle. Et ça, même si je dois partir, je ne l’oublierai jamais...» Lorsqu’elle arrive en Suisse, le 2 mars 2006, Angelina est très affaiblie par la maladie. A Douala, il lui était difficile de se soigner correctement. En outre, elle était victime de lynchage de la part de son entourage, qui n’acceptait pas qu’elle soit séropositive. Une fois à Vallorbe, elle fait donc directement une demande d’asile. Celui-ci lui est refusé une première fois le 21 avril 2006. Mais avec l’aide du Service d’aide juridique aux exilés (SAJE), Angelina demande le réexamen de son cas. Plusieurs refus s’ensuivent, mais la Camerounaise persiste.

En attendant l’ultime décision des autorités, elle vit tant bien que mal dans plusieurs établissements vaudois d’accueil des migrants (EVAM). Grâce à ses 266 francs mensuels alloués par l’aide d’urgence, elle s’achète de quoi manger. Réussit à se payer un abonnement de bus. D’un naturel volontaire, elle fait du bénévolat pour l’Armée du Salut et travaille occasionnellement pour le compte de SID’Action. Mais, surtout, elle bénéficie d’une trithérapie au CHUV ainsi que d’un médicament contre l’épilepsie, maladie dont elle souffre également. Ces traitements réussissent à améliorer considérablement son état de santé.