La lettre signée par huit collaborateurs du Centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe est dure envers Pierre-Alain Lunardi, qui aurait une attitude méprisante et grossière envers les requérants. ©MICHEL DUPERREX
«Je n’ai pas envie de parler. Je risque de perdre mon boulot.» Chez les employés du Centre d’enregistrement et de procédure (CEP), c’est silence radio! Quand il ne les fait pas fuir, le mot journaliste rend les gens muets. «Nous avons signé une clause de confidentialité. Ce qui se passe ici ne doit pas être connu à l’extérieur», affirme une assistante. C’est donc d’un ton prudent et hésitant, la peur au ventre et sous couvert d’anonymat, que des personnes témoignent.
De l’avis de tous, le climat est tendu. La lettre signée par huit collaborateurs d’ORS Service — entreprise zurichoise à laquelle la Confédération a confié l’hébergement et l’encadrement des demandeurs d’asile — n’a pas arrangé la situation. Et a scellé le sort de Pierre-Alain Lunardi (31 ans), patron de l’assistance, dont la gestion est décriée depuis plusieurs mois. Il a été licencié en janvier. Plusieurs de ses collaborateurs se plaignaient de travailler dans un climat marqué par des promotions et rétrogradations à la tête du client, de mobbing, de remarques xénophobes… Ce qui fait dire à Eric Jaun, le directeur d’ORS, que même si Pierre-Alain Lunardi «a fait des choses bien», il fallait réagir car «un team dépend du coaching».
La lettre des employés prête de graves propos à Pierre-Alain Lunardi: «Si un réfugié menace de se suicider, amenez-le à la gare et montrez-lui les voies.» L’Office fédéral de la migration remarque que «l’ORS a tout de suite pris les mesures nécessaires».
Raciste, l’ancien chef de l’assistance? «Dans une lettre, minimise l’intéressé, on peut écrire tout et n’importe quoi.» Avouant avoir «vécu des moments très durs», ce nouveau papa — depuis une semaine — estime avoir «été lâché» par sa direction. L’homme qui est aussi municipal de la Police à Montagny-près-Yverdon dénonce «une cabale» et relève que «l’atmosphère au CEP était pourrie» bien avant son arrivée. Ses détracteurs peuvent trembler: il annonce la préparation d’un livre sur les trois années qu’il a passées à Vallorbe.
Melgar: «Je n’ai rien vu»
Sur le site internet de La forteresse — documentaire où il tient un rôle très humain en affichant beaucoup d’empathie à l’égard des demandeurs d’asile —, Pierre-Alain Lunardi tient les propos suivants: «Le requérant est un vrai gamin qui s’ennuie et fait des conneries.» Réalisateur de ce documentaire à succès, Fernand Melgar déclare n’avoir «rien constaté d’anormal» concernant Lunardi tout au long du tournage du film, entre décembre 2007 et février 2008. «Si cela avait été le cas, il n’aurait évidemment pas eu le même rôle.»
Sur une dizaine de requérants d’asile contactés, seul un Ivoirien affirme avoir connu l’ancien chef de l’assistance, mais il se refuse à tout commentaire. Toutefois, selon des versions concordantes, il faut mettre à l’actif de Pierre-Alain Lunardi les travaux d’occupation des requérants d’asile, les cours de français, les matches de foot — auxquels il prenait part — et le dialogue engagé avec l’aumônerie. «Ce gars, murmure une personne travaillant au CEP, avait un double visage: gentil de l’extérieur et horrible de l’intérieur.»
Au niveau du personnel, on se plaint aussi du traitement réservé aux demandeurs d’asile. «Pendant le mois du ramadan (mois pendant lequel les musulmans jeûnent du lever au coucher du soleil), des sandwiches étaient servis au souper. Curieusement, une fois la période de jeûne terminée, il y avait des repas chauds.» Le patron d’ORS dit ne pas être au courant de cette situation. L’ODM évoque un problème complexe avec des plats destinés à des centaines de personnes de confessions différentes.
Lieu de transit où s’entassent, dans un flux continu de départs et d’arrivées, quelque 300 personnes (16 par chambre) ayant fui la guerre ou la misère, le centre est un concentré de frustrations et de différences culturelles. Dans ce volcan en puissance, les règles sont spartiates (téléphones et ordinateurs portables bannis, douche interdite avant 10 h 30 et après 21 h…). Face à cette situation, les requérants se bornent à dire: «C’est dur, mais ça va…»