Reza B.. Condamné à mort en Iran pour avoir bu de l’alcool, cet exilé pourrait y être expulsé par la France, qui vient de lui refuser l’asile.
«Trois fois, j’ai rêvé de mon exécution. Je l’imagine mais je ne sais pas comment ça se passe, je n’ai jamais vu de pendaison.» Pour l’instant, Reza B. est vivant. Provisoirement, puisque l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ont rejeté sa demande d’asile. A tout moment, cet Iranien condamné à mort dans son pays peut se voir délivrer une obligation de quitter le territoire français.
A quoi ça ressemble une sentence de mort ? Celle de Reza B. est rédigée en persan. Marie Dosé, son avocate, l’a fait traduire en français. Le jugement rendu «au nom de Dieu» condamne le jeune homme «à une punition corporelle (80 coups de fouet)» et «à la peine capitale». Le mode d’exécution n’est pas précisé. C’est la pendaison.
A quoi ça ressemble un condamné à mort ? Reza B. n’a pas bonne mine. Il fait plus que ses 29 ans. Pour le reste, il n’est ni beau, ni laid, le cheveu très noir lissé vers l’arrière, un visage poupin, de l’embonpoint, un pull à col roulé sous une veste de style vaguement militaire.
Comment ça vit un condamné à mort ? Depuis que les ayatollahs veulent lui faire la peau, Reza B. a peur. Tout le temps. De tout et de tout le monde. Peur que sa famille restée en Iran subisse des mesures de rétorsion. Afin de la protéger, il refuse de communiquer son vrai nom - Reza B. est un pseudo -, sa date de naissance et la nature réelle de son activité professionnelle en Iran. Peur désormais, d’être expulsé de France et exécuté.
Reza B. est issu d’une riche et influente famille iranienne. Son père est un gros entrepreneur. Lui-même était son propre patron. A part le bac, ce jeune homme n’a aucun diplôme. Il a interrompu ses études supérieures entamées en Canada et poursuivies en Iran à cause de «l’ampleur» que prenaient ses «occupations professionnelles». La famille B. n’est pas religieuse, ni politisée. Reza B. n’a jamais voté. A été exempté du service militaire à cause de sa vue. «En Iran, j’avais une très belle vie», répète-t-il. Baignade dans la mer Caspienne, ski, foot, projections privées sur son home cinéma de films américains interdits dans les salles, soirées arrosées avec des amis. «L’alcool, comme les films américains sont interdits, mais c’est très facile de s’en procurer», dit-il.
Le 6 novembre 2004, Reza B. est arrêté sur la voie publique, avec son cousin, en possession d’une canette de whisky. Verdict : 80 coups de fouet et une forte amende. Le 14 juillet 2006, il fête, avec une trentaine d’invités, l’anniversaire de sa femme, au domicile de son père, absent. «A l’époque, nous avions des rapports très difficiles avec un voisin très religieux», racontera-t-il lors de son audition par l’Ofpra. Ce dernier appelle les flics. «Ils ont arrêté toutes les personnes présentes car non seulement nous consommions de l’alcool, mais des hommes et des femmes étaient dans la même pièce, et les femmes n’étaient pas voilées», raconte-t-il encore. Verdict : 80 coups de fouet pour les 25 personnes qui avaient bu, dont Reza B. et son épouse. Et une amende.
Dernier épisode, le 23 octobre 2008. Alors qu’il rentre en voiture de la fête d’anniversaire de son père, Reza B. est contrôlé par la police. «Ils ont trouvé une bouteille de whisky.» La loi iranienne est sans appel. L’article 179 du code de procédure islamique prévoit que «celui qui a subi à plusieurs reprises le châtiment réservé aux buveurs de boissons alcoolisées sera condamné à mort pour la troisième récidive».
A priori, Reza B. n’est pas stupide. Après avoir été condamné deux fois pour consommation d’alcool, et reçu 160 coups de fouet, pourquoi a-t-il récidivé ? «Près de deux ans s’étaient écoulés entre chaque interpellation, je ne savais pas ce que je risquais», assure-t-il. Son avocate a une autre explication : peut-être ce gosse de riches se croyait intouchable.
Reza B. n’a pas attendu le verdict. Il s’est d’abord caché avec sa femme dans le nord de l’Iran. Puis a décidé de fuir. Après avoir versé 50 000 dollars à un passeur, il débarque le 3 juin 2009 à Paris, avec son épouse, tous deux munis de faux papiers. Dès leur arrivée à l’aéroport, les B. demandent l’asile. La procédure administrative s’enclenche. Jusqu’au refus, il y a quelques jours, de la CNDA.
«Ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites en séance publique devant la Cour ne permett[ent] de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées», tranche cette dernière dans son arrêt. A l’AFP, le porte-parole de la Cour déclare que les documents présentés n’apportent pas «une garantie d’authenticité suffisante». Est-ce à dire qu’ils sont faux ? La CNDA ne le dit pas, et ne le démontre pas. En tout état de cause, le doute ne doit-il pas profiter à Reza B. ? Faut-il le renvoyer en Iran pour vérifier si sa condamnation à mort est réelle ou non ?
Depuis son arrivée en France, en 2009, Reza B. végète. En tant que demandeur d’asile, il n’avait pas le droit de travailler. Il a d’abord été hébergé à l’hôtel, puis dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile. «On vivait dans 10 m2», se scandalise-t-il. Après que la CNDA l’a débouté, il a été prié de déguerpir. A perdu le droit aux 10,67 euros par jour de l’allocation temporaire d’attente. Certains soirs, il a dû appeler le 115, le numéro vert national pour les sans-abri.
Sur ses conditions de vie actuelles, Reza B. est discret. Il est hébergé par un ami. Sa famille lui aurait envoyé un peu d’argent. Avec difficultés car elle est sous étroite surveillance policière depuis sa fuite.
Dans une autre vie, Reza B. parcourait le monde. Il a étudié au Canada. S’est également rendu, pour affaires, en Allemagne et aux Pays-Bas. «Si j’avais voulu, j’aurais eu sans difficultés un visa pour la France», assure-t-il. Quelque temps avant ses «problèmes», il avait entamé des démarches pour s’établir en Australie afin de pouvoir commercer plus facilement qu’en Iran.
Aujourd’hui, Reza B. n’a plus d’horizon. Son avocate va déposer un ultime recours devant le Conseil d’Etat, mais celui-ci ne jugera que sur la forme, pas sur le fond. Elle va également solliciter des ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur, et de la préfecture de police de Paris, la délivrance d’une carte de séjour à titre «humanitaire». Si Reza B. est régularisé, il envisage de rester en France. «Je voudrais me rendre utile, faire du business.» Il sait qu’il a peu de chances de revoir son pays. Sauf si le régime politique change. Ou s’il y est expulsé.
Catherine Coroller dans Libération