Alexander Segert est le communicateur de l’UDC. Cet Allemand de Zurich s’explique sur ses méthodes et ses convictions au lendemain d’une nouvelle victoire.
Alexander Segert, au lendemain de cette victoire, quel regard portez-vous sur la campagne?
Le plus surprenant a été de voir nos adversaires incapables de mettre en place une communication pour le contre-projet. Certains élus du PLR et le Conseil fédéral se sont exprimés dans les médias, mais c’était brouillon. Ils ne savaient pas vraiment ce qu’ils voulaient dire. Avec l’UDC, on sait toujours ce qu’elle va dire.
Comment fait-on pour arriver au message, au slogan qui fait gagner?
Que voulez-vous vraiment dire? C’est la question essentielle. Avec le client, j’échange des idées et des propositions jusqu’à ce qu’il parvienne à définir précisément le but qu’il poursuit, la position qu’il va adopter et le message qu’il veut communiquer. C’est comme une orange qu’on presse jusqu’à la dernière goutte: la quintessence de l’orange. C’est souvent beaucoup d’effort.
Vous avez conçu deux campagnes: une pour le oui à l’initiative, l’autre pour le non au contre-projet?
Dans la rue, la plupart des gens jettent un regard sur une affiche pendant une fraction de seconde, puis ils passent à la suivante. Si vous proposez une affiche qui dit «Oui – Non» cela ne fonctionne pas. Il faut être clair.
Vous revendiquez la méthode du KISS, soit le «keep it simple and stupid» (reste simple et stupide)…
… C’est une bonne formule, et j’aimerais l’avoir trouvée. Mais le «S» ne signifie pas toujours stupide, cela peut-être smart ou short !
Mais peut-on réduire la politique à «simple et stupide»?
Je ne fais pas de la politique mais de la pub. Et les gens doivent pouvoir comprendre. Un enfant de 12 ans comme une grand-maman. C’est d’ailleurs elle qui va voter. La force des campagnes de l’UDC est de s’adresser à des gens à qui les autres partis ne savent plus parler.
A force de raccourcis, vos affiches sont perçues comme racistes…
Nos adversaires disent cela: c’est le jeu politique. En conscience, nous lançons une campagne qui va susciter un débat. Et que font nos contradicteurs? Au lieu de développer de bonnes idées, une meilleure affiche, ils font la morale. «Cela ne se fait pas!» «C’est interdit!» En politique, on ne gagne pas avec des interdits mais avec les meilleurs arguments.
Comprenez-vous que des gens se sentent discriminés par vos affiches?
Oui. Car nous n’avons pas de tabous. Le fait est que l’UDC met en lumière des thèmes que les autres ne veulent pas toucher. Parce qu’ils sont douloureux: les étrangers criminels, l’islam radical ou les abuseurs des assurances sociales. Mais je ne fais pas de la discrimination, je donne simplement une voix à la peur, je la rends compréhensible.
N’est-ce pas exacerber les peurs?
Nous les rendons simplement visibles. On nous a dit que les minarets n’étaient pas un problème. Une majorité de Suisses ont voté et exprimé le contraire. Si la peur n’était pas là, enfouie, nous n’aurions pas pu gagner. Et nous n’avons pas pu la créer en six semaines de campagne. Notre devoir est de lui donner une forme et un visage. C’est ce que nous avons fait avec les moutons noirs et Ivan S. «Oui, c’est ça le problème», disent les gens.
Où se situe la frontière du «politiquement correct»?
La frontière c’est la loi, qu’il faut respecter, et l’insuccès. Je ne ferais jamais rien si je ne suis pas persuadé que je vais gagner.
Pas de tabous?
Non. Le succès et la loi sont les seules limites .
Le style visuel de vos affiches est, historiquement, connoté propagande nazie. Sans scrupule?
Je ne m’occupe pas du passé. Je m’intéresse aux problèmes d’aujourd’hui et je leur donne une forme. De toute façon, dans le langage de la pub et de la communication, tout a déjà été fait par le passé. Ce genre de critiques est aussi une manière d’interdire la parole. Cela fait partie du jeu politique, mais il ne faut pas se laisser déstabiliser.
Qu’est-ce qui vous fait aimer la communication politique?
C’est la plus intéressante. Le commercial vend du rêve, un monde imaginaire: une montre ou une automobile… En politique, il faut se concentrer sur des problèmes réels: la criminalité, la fiscalité. C’est du concret. Le challenge est aussi d’arriver à intéresser l’homme de la rue à quelque chose qu’il n’aime pas: la politique. Et le convaincre de prendre position, ce qu’il déteste faire, puis d’aller voter. Une campagne dure six semaines, et le dimanche de votation, on connaît tout de suite le résultat. Gagné ou perdu. La campagne était bonne ou mauvaise. C’est brutal, mais excitant.
Le style Segert, c’est la provocation?
C’est toujours le client qui définit le message. La provocation doit être utilisée à bon escient. Quand il y a un tabou, un problème que personne ne veut voir. Quand les médias et tous les autres partis sont contre nous, nous devons donc frapper fort pour nous faire entendre de la population.
Vos campagnes ont modifié la communication politique en Suisse!
La pub n’est que le messager. C’est l’UDC qui a fait le premier pas. Ce parti s’est imposé en s’emparant de thèmes dont les autres ne voulaient pas. Seul, il a eu le courage d’en parler et de camper sur ses positions même quand toute la classe politique le critiquait. Autrefois, le PS a eu du courage. Aujourd’hui, il recommence à en avoir avec la thématique fiscale. La force, le courage de ses convictions et la volonté de les défendre: c’est ce qu’il manque aux partis du centre. Je le constate quand je travaille avec des élus bourgeois, non UDC, dans des comités interpartis. Ils sont souvent d’accord avec un message, mais ce sont eux qui proposent de le nuancer sous prétexte que «ça ne se dit pas…»
Etes-vous toujours d’accord avec les idées de l’UDC?
Oui, la plupart du temps. Mais en premier lieu, ce sont les thèmes qui m’intéressent. Comment vais-je faire pour créer le débat et imposer les idées. Puis il faut avoir envie de gagner, car l’intensité est grande. L’engagement personnel est donc indispensable.
Vous ne pourriez donc pas travailler pour le PS?
Si. Et cela m’intéresserait de travailler sur des thématiques du PS ou des Verts. Mais je me pose la question: mon engagement personnel et ma motivation seraient-ils suffisants pour que je donne le meilleur et les fasse gagner?
Xavier Alonso (textes) Florian Cella (photos) dans 24 Heures