Le Conseil fédéral et l’UDC lancent leur campagne aujourd’hui. Les défenseurs du contre-projet à l’initiative disposeront de peu de moyens pour vendre leurs arguments. Et ceux qui s’opposent aux deux textes se montrent déjà résignés.
C’est le thème politique le plus brûlant de l’automne. Eveline Widmer-Schlumpf lance ce matin, un mois avant de partir aux Finances, la campagne du Conseil fédéral contre l’initiative de l’UDC «pour le renvoi des étrangers criminels». Son contre-projet direct, né dans la cuisine du PLR et du PDC, va dans le même sens que le texte de l’UDC, avec des garanties juridiques en plus.
Et un chapitre sur l’intégration. Ce sont ces précisions qui ont poussé le PS à finalement soutenir le texte au parlement. La mort dans l’âme. Pour les socialistes, la peur, après le syndrome minarets, de laisser le projet de l’UDC passer seul en votation l’a emporté sur le choix du cœur.
Hasard du calendrier, assure-t-elle, l’UDC a elle aussi choisi ce lundi pour lancer sa campagne, derrière un curieux «comité interpartis contre le contre-projet». Elle y dévoilera ses affiches, précise le porte-parole Kevin Grangier. Des affiches qui s’annoncent provocantes. Celles avec les moutons blancs boutant un mouton noir hors de Suisse, qui ont servi pour les élections fédérales de 2007, ont inspiré des partis d’extrême droite européens.
Le 28 novembre, le peuple devra donc se positionner sur deux textes presque siamois (lire ci-contre). L’UDC prône un renvoi systématique des étrangers ayant commis certains délits; le contre-projet établit aussi une liste, basée sur les peines, mais il se veut irréprochable sur le plan du respect des droits fondamentaux et du droit international. Du côté de ses partisans, c’est le PLR qui aura la responsabilité de la campagne.
Son slogan? «Ferme, mais juste!» («Hart aber fair!»). Fera-t-il mouche? Les messages simplistes et directs de l’UDC risquent de faire davantage recette que des arguments purement juridiques. Et c’est bien ce qui inquiète les libéraux-radicaux et les démocrates-chrétiens. Beaucoup redoutent une victoire des initiants. La tension monte.
Autre problème: les moyens financiers manquent. La campagne des défenseurs du contre-projet risque d’être plutôt molle. Elle renverra au schéma de David contre Goliath. «Malheureusement, economiesuisse ne donne rien. C’est d’autant plus regrettable qu’en cas d’acceptation de l’initiative, c’est l’accord sur la libre circulation des personnes qui est en jeu!» commente le conseiller national Hugues Hiltpold (PLR/GE). Pour lui, l’initiative est «inapte, démesurée et dangereuse».
Le président du PDC, Christophe Darbellay, parle aussi de «néant» à propos des moyens financiers: «Nos caisses sont vides. Nous allons faire diverses démarches pour trouver de l’argent. Nous comptons vivement sur le soutien de tous les bien-pensants qui se sont offusqués contre les moutons noirs.»
Du côté de l’UDC, ce sont bien plusieurs millions de francs qui pourraient être injectés dans la campagne, même si le parti refuse de dévoiler le montant. Pour le lancement de son initiative, l’UDC avait déjà fait un tous-ménages. Elle a réitéré l’opération il y a quelques semaines avec une «consultation populaire» sur la politique des étrangers.
Et le PS? Son vote au parlement, en faveur du contre-projet, après moult tergiversations, passe mal auprès de la base. Le parti, divisé, donnera officiellement son mot d’ordre lors de son congrès du 31 octobre à Lausanne. Mais le comité directeur prône déjà le double non. Reste que les socialistes et les Verts qui combattront les deux textes partent déjà un peu résignés face à la «machine de guerre» que s’apprête à déployer l’UDC. Le PS concentrera d’ailleurs ses moyens financiers autour de son initiative «pour des impôts équitables».
Un des scénarios probables à la sortie des urnes le 28 novembre est le double oui. C’est celui que privilégie par exemple Christophe Darbellay. La question subsidiaire («Est-ce l’initiative populaire ou le contre-projet qui doit entrer en vigueur?») devra alors départager les deux textes.
Les votants seront-ils davantage tentés de préférer l’original à la copie? Yvan Perrin, le vice-président de l’UDC, veut y croire. Même si, lors d’un séminaire du parti pour apprendre à «vendre» l’initiative à ses membres – Le Temps s’y était invité (LT du 17.09.10) –, la crainte que des démocrates du centre ne cochent la fausse case s’est bien fait ressentir.
Le risque de confusion entre les deux textes inquiète l’UDC. «Certains d’entre vous seront peut-être tentés de dire deux fois oui pour qu’au moins le contre-projet passe», a lancé Yvan Perrin lors de cette soirée. «Ce serait une erreur et un terrible autogoal: il empire la situation. Il ne vise qu’à empêcher un succès de l’UDC en 2011 et pas du tout à lutter contre les abus!» a-t-il ajouté, un bulletin de vote projeté sur un mur à l’appui.
La campagne promet d’être tendue. Avec de belles empoignades.
Valérie de Graffenried dans le Temps
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Les deux textes soumis au vote le 28 novembre
Le Conseil fédéral oppose un contre-projet à l’initiative de l’UDC.
■ L’initiative de l’UDC . Les étrangers sont privés de leur titre de séjour, peu importe leur statut, et de tous leurs droits de séjourner en Suisse s’ils ont été condamnés par un jugement entré en force pour meurtre, viol, ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d’une autre nature tel que le brigandage, la traite d’êtres humains, le trafic de drogue ou l’effraction ou s’ils ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale: voilà ce que l’UDC prévoit d’inscrire dans la Constitution.
Pour le parti, ces étrangers doivent être expulsés et frappés d’une interdiction d’entrer sur le territoire allant de cinq à quinze ans. En cas de récidive, elle sera fixée à vingt ans. L’initiative a récolté plus de 200 000 signatures en un temps record.
■ Le contre-projet direct. Le texte souligne que sont privés de leur droit de séjour et renvoyés les étrangers qui ont commis un assassinat, un meurtre, un viol, un brigandage qualifié, une prise d’otages, de la traite qualifiée d’êtres humains, une infraction grave à la loi sur les stupéfiants ou une autre infraction passible d’une peine privative de liberté d’un an au moins.
De même que ceux qui ont été condamnés à une peine privative de liberté d’au moins 18 mois pour une escroquerie ou une autre infraction ayant trait à l’aide sociale, aux assurances sociales ou à des contributions de droit public, ou une escroquerie d’ordre économique.
Sont aussi visés ceux condamnés pour une autre peine de 2 ans au moins ou à plusieurs peines privatives de liberté ou encore à des peines pécuniaires s’élevant au total à 720 jours ou 720 jours-amendes au moins en l’espace de dix ans.
Point important, le contre-projet précise que la décision doit être prise dans le respect des droits fondamentaux, des principes de base de la Constitution fédérale et du droit international, en particulier dans le respect du principe de proportionnalité.
Enfin, pour mieux faire passer la pilule, le PS a insisté pour développer un article sur l’ intégration. Il précise par exemple que l’intégration exige de toutes les parties concernées le respect des valeurs fondamentales inscrites dans la Constitution et la volonté de «vivre en bonne entente avec ses semblables».
Valérie de Graffenried dans le Temps