Egyptiens, Chinois, Ghanéens… Ils sont déjà plus de 50 000 à avoir fui la Libye via la ville tunisienne de Ras Jedi. Et l’afflux ne cesse de croître. La crise vire au chaos humanitaire à la frontière. Il faut d’urgence un pont aérien et maritime pour évacuer les migrants et éviter une crise sanitaire. De leur côté, les cantons suisses craignent une vague de réfugiés. Ils demandent à la Confédération d’appliquer une politique restrictive en la matière. Sans compter que les accords de Dublin connaissent quelques ratés.
Au milieu des ballots, ils sont des centaines sous le soleil et dans la poussière. Coincés entre des bus déglingués et les pots d'échappement des voitures qui font la navette entre Ben Guerdane et le poste frontière tunisien de Ras Jedir, ils attendent. Certains sont là depuis plusieurs jours. Ils ont dormi dans le froid sur des trottoirs, des parkings ou les dalles d'un entrepôt. Les plus chanceux rejoindront un abri, voire un avion pour Le Caire. Car la majorité des migrants fuyant la Libye en guerre civile sont des Egyptiens. Ce qui était une crise humanitaire a viré au chaos ce week-end.
«C'est de pire en pire»
«C'est de pire en pire», témoigne Fedora Gasparetti de l'Organisation internationale des migrations. «Chaque jour qui passe voit le nombre de migrants augmenter.» Depuis le début de l'exode, il y a une semaine, ils sont près de 50 000 à avoir transité par Ras Jedir. Aux 18 000 Tunisiens des premiers jours, se sont ajoutés les étrangers. Les autorités locales, qui au début avaient bien géré le flot ininterrompu, semblaient hier dépassées, d'autant que les organisations internationales tardent à prendre le relais. Pour la seule journée de samedi, près de 10 000 personnes ont franchi la frontière, à en croire Monji Slim, président local du Croissant-Rouge. Et les premiers décomptes d'hier confirmaient une tendance à la hausse: «Entre minuit et huit heures, on a recensé 3000 personnes. Il faut trouver une solution, car on ne pourra pas continuer longtemps comme ça», s'alarmait Monji Slim.C'était juste avant le débarquement de 1300 Chinois, épuisés par un périple de dix-huit heures en camion entre Khoms (120 km à l'est de Tripoli) et Ras Jedir. Affalés sur des valises ou à même le sol, ces ouvriers du consortium CCECC, qui travaillaient jusqu'à la semaine dernière pour la construction d'une ligne de chemin de fer, se préparaient hier après midi à la venue d'un diplomate et à leur transfert vers Pékin. En zone libyenne, à une cinquantaine de mètres, un millier d'hommes sont assis sur la terre battue, guettant l'ouverture du portail bleu vers la Tunisie et la distribution d'eau et d'aliments fournis par des Tunisiens très mobilisés. Des Ghanéens, des Maliens et des Coréens étaient attendus au poste frontière assailli par les étrangers.
Pas assez de bus
A huit kilomètres de là, le colonel-major Essoussi pare au plus pressé. A Choucha, au milieu de la plaine littorale de la Djeffara parcourue par les chameaux et le vent du large, le militaire tunisien a monté en hâte un hôpital de campagne. Sous les eucalyptus, il recense les arrivants qui ont droit à une visite médicale sommaire et à un abri. Le soldat dit «contrôler la situation», mais, depuis mercredi, il ne cesse d'araser la garrigue pour monter ses tentes kaki. Les bulldozers ont toujours un temps de retard sur les migrants qui s'agglutinent au milieu d'un chaos indescriptible de voitures, de valises et de passants.Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) a prévu de déployer des abris pour 10 000 personnes. «Il y a un problème de transport», reconnaît Houda Chalchoul, assistante juridique au HCR. «Nous n'avons pas assez de bus pour acheminer toutes ces personnes qui voyagent avec leurs effets personnels.» Le pont aérien a démarré jeudi entre Djerba et Le Caire où 7200 Egyptiens ont déjà atterri samedi. Deux ferries escortés par des navires de guerre égyptiens devaient arriver au port tunisien de Zarzis, à 80 km au nord de Ras Jedir.
L'état de santé s'altère
Les autorités ont demandé l'organisation en urgence d'un pont aérien et maritime pour évacuer les migrants et éviter ainsi une crise sanitaire. Elles envisagent le pire. «Si la frontière s'ouvre, nous aurons à gérer un afflux important de blessés des combats en Libye», s'inquiète le colonel-major Essoussi. Plus les jours passent, plus leur état va s'altérer car le système de santé libyen est dépassé par les événements.»Signe de l'ampleur de la crise, le sud tunisien a été mobilisé. Des migrants ont été plutôt bien accueillis par les «Comités de sauvegarde de la révolution» à Ben Guerdane, Médenine, Djerba, Zarzis. Là, dans les centres de vacances réquisitionnés, les touristes sont rattrapés par la crise libyenne.
Arnaud Vaulerin, Ras Jedir et Zarzis, dans la Liberté
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