Voici la libre opinion d'Innocent Naki, professeur, publiée dans 24heures le 20 octobre
L’adage africain dit: «Le lézard qui se tranche les oreilles avant de rejoindre l’arène du combat veut donner un signal clair: il sera intraitable.» Contre sa propre nature, le conseiller fédéral Christoph Blocher vient de participer à l’acceptation par le peuple suisse de la libre circulation des personnes issues des nou-veaux pays de l’Union euro-péenne.
Qui peut alors formuler la moindre protestation à Bruxelles lorsque le même Christoph Blocher propose et obtient une dégradation totale des condi-tions de vie des requérants d’asile, essentiellement issus du continent africain?
Son porteur de thé, Yvan Perrin, déclare régulièrement, en parlant de ceux qu’on appelle pompeusement «illégaux», que «leur simple présence sur le territoire suisse constitue en soi un délit».
Parlons-en, justement.
Pour se rendre dans un pays africain, le citoyen helvétique, dans la majeure partie des cas, obtient le visa demandé, par voie postale, bien collé dans son passeport. Il en est de même pour l’Américain ou le Canadien, pour me limiter à ces deux exemples, qui veut se rendre en Suisse.
A l’inverse, il est absolument impossible, pour le ressortissant africain qui a des raisons tout aussi valables de venir ici, quelle que soit sa situation financière ou son niveau de formation, de pouvoir obtenir le moindre visa.
Ma propre expérience justi-fie mes affirmations. Le visa me fut refusé à trois reprises alors que je remplissais toutes les conditions que m’avait fixées l’ambassade de Suisse en Côte d’Ivoire.
Peut-on décemment traiter d’illégales ces personnes qui n’ont aucune autre possibilité que la voie détournée? Qu’un Américain qui, pour une raison ou pour une autre, n’a pas envie de prendre un visa et se cache dans la soute d’atterris-age d’un avion se fasse traiter d’illégal et expulser manu militari me semble juste, parce qu’il a le choix. Mais qu’un Ivoirien, un Malien, un Congolais, un Burkinabé subisse des violences en tout genre pour avoir emprunté la seule voie qui lui reste me semble très arbitraire.
L’UDC blochérienne me dira qu’on ne peut pas pour autant admettre en Suisse tou-tes les misères du monde et que la Suisse a le droit de choisir ceux dont elle a besoin et de repousser les autres.
Un raisonnement partielle-ment tordu, voici pourquoi.
Nombre de pays occiden-taux, dont la Suisse, continuent d’exporter des missionnaires chrétiens vers le continent africain malgré le fait que les églises et autres cathédrales européennes attirent désor-mais leurs visiteurs, beaucoup plus pour les prouesses archi-tecturales de leurs concepteurs que pour l’attrait de l’Evangile. L’Afrique n’a pas de crise de vocation chrétienne et ces missionnaires ne sont pas pour autant repoussés.
Là encore, on me dira que l’Eglise essaie de se moquer de la charité, car ces missionnaires participent à la croissance économique du continent africain. C’est vrai. Mais le simple citoyen malien qui vient d’être violemment reconduit de Zurich et qui doit, dans son pays, végéter dans un taudis jouxtant la somptueuse villa du coopérant français, allemand ou suisse ne fait pas de distinction. La population africaine de Suisse se sent parfois incom-prise du fait d’un dialogue difficile. Des Africains bien formés et capables de se faire entendre sont pourtant systématiquement interdits d’entrer en Suisse. Même si le droit à la vie ne devrait pas être proportionnel à la taille du quotient intellectuel, une ouverture, même limitée et ponctuelle envers cette frange de Noirs, serait déjà un geste… bien notable!
«Ma propre expérience justifie mes affirmations»