lundi 29 novembre 2010

Une journée noire pour les droits humains en Suisse

amnesty logoLa Section suisse d'Amnesty International est profondément choquée par le résultat de la votation sur le renvoi des étrangers criminels. Des dispositions violant les droits humains n'ont rien à faire dans notre Constitution. Les initiants ont une nouvelle fois abusé du droit d'initiative dans le but d'augmenter leur capital politique par des propos xénophobes. L'initiative ne sera pas applicable dans bon nombre de situations et ne renforcera en rien la sécurité publique. Il n'y avait aucun besoin d'une nouvelle norme constitutionnelle dès lors que le droit actuel permet déjà d'expulser de notre pays les criminels étrangers condamnés. Amnesty International va maintenant suivre attentivement la mise en oeuvre du nouvel article constitutionnel et se mobilisera à chaque fois qu'une décision d'expulsion menacera le principe de non-refoulement.

L'acceptation de l'initiative sur le renvoi fait de ce dimanche une journée noire pour les droits humains en Suisse. L'initiative viole non seulement diverses conventions internationales, comme la Convention européenne des droits de l'homme, le Pacte 2 de l'ONU, la Convention relative aux droits de l'enfant ou l'accord de libre circulation des personnes conclu avec l'Union européenne, mais elle est également contraire au principe de proportionnalité et à celui de l'interdiction de toute forme de discrimination, inscrits dans la Constitution fédérale. Le renvoi automatique peut conduire à une violation du principe de non-refoulement, ancré dans le droit international impératif, et selon lequel nul ne peut être renvoyé dans un pays dans lequel il risque la torture ou la peine de mort. C'est pourquoi Amnesty International déplore que le Parlement n'ait pas eu le courage d'invalider l'initiative.
«Il n'a pas été possible de placer les droits humains au coeur du débat», a déploré Daniel Bolomey, Secrétaire général de la Section suisse d'Amnesty International. «Le résultat du vote montre qu'une large tranche de la population craint pour sa sécurité, mais celle-ci ne sera pourtant assurée que si la Constitution et les droits humains sont respectés. Les initiants ont à nouveau trompé la population et augmenté leur capital politique par des propos xénophobes. Non seulement le texte adopté est contraire au droit, mais il est en plus inefficace.»
Amnesty International estime que l'initiative sera inapplicable dans de très nombreux cas, soit parce qu'elle contreviendra au principe du non-refoulement qui relève du droit international impératif, soit parce que tout simplement l'exécution du renvoi sera impossible. «Le nouvel article constitutionnel ne sera d'aucune utilité dans toutes les situations où la nationalité de la personne concernée n'est pas établie ou lorsque le pays d'origine refuse de réaccepter ses ressortissants faute d'une convention bilatérale de réadmission», a ajouté Daniel Bolomey.
Amnesty International craint que l'image de la Suisse, qui se veut le chantre des droits humains au niveau mondial, ne soit passablement écornée sur la scène internationale au moment où elle assure la présidence de l'Assemblée générale des Nations unies. Plus grave encore, elle donne un très mauvais signal aux pays voisins qui pourraient être tentés de suivre son exemple.
Amnesty International va maintenant surveiller de près la mise en oeuvre du nouvel article constitutionnel et n'hésitera pas à se mobiliser à chaque fois que le principe de non-refoulement sera menacé.

Amnesty International Suisse, communiqué de presse publié le 28 novembre 2010, Berne / Lausanne.

Moutons noirs: l'UDC de Christoph Blocher triomphe

burki blocher mouton noir

Bürki dans 24 Heures

Une victoire, pas une solution

L’initiative de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers est donc acceptée à la double majorité. Il appartient désormais au parlement d’adapter la législation pour la mettre en œuvre. Des blocages sont à prévoir sur la question de la conformité de ce texte avec le droit international.

clivage ville campagne infographie Temps

Infographie du Temps (cliquer pour accéder à l'original)

La victoire de l’initiative de l’UDC sur le renvoi des délinquants étrangers, dimanche, est amère pour les artisans du contre-projet, les partis du centre droit au premier chef. Le 28 novembre restera dans les mémoires comme le troisième scrutin de l’histoire des droits populaires où les citoyens ont infligé au parlement l’humiliation de préférer l’initiative qui leur était proposée au contre-projet défendu par les Chambres.

Pour les libéraux-radicaux et les démocrates-chrétiens, qui ont été à l’origine du contre-projet et qui y voyaient l’unique moyen de neutraliser l’initiative de l’UDC, la défaite est d’autant plus dure qu’ils ont des motifs objectifs d’en tenir la gauche pour coresponsable. En prônant le double non, le PS et les Verts prenaient en effet le risque de favoriser l’initiative.

Pour autant, la victoire de l’initiative est loin de clore le débat. Le texte approuvé dimanche appelle en effet le législateur à définir plus précisément les cas où la commission d’un délit entraînera la révocation du droit de séjour. Dans les mois, voire les années, qui viennent, le parlement aura la tâche délicate de traduire dans la législation une initiative qu’il a estimée, dans sa grande majorité, inapplicable telle quelle sans violer la Convention européenne des droits de l’homme et l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE, notamment. L’automatisme du renvoi postulé par l’initiative ne se concilie pas, en effet, avec ces textes, qui imposent au minimum un examen au cas par cas de la proportionnalité d’une mesure d’expulsion.

Ces questions techniques risquent d’occasionner de vrais blocages. Mais la volonté populaire s’étant exprimée, il est difficile pour les élus, à gauche comme au centre droit, de la défier en continuant à prôner des solutions qui reviendraient à faire primer, dans les faits, le contre-projet balayé ce week-end sur l’initiative. Dimanche, Simonetta Sommaruga s’est pourtant engagée à tenter d’amoindrir, sinon de résoudre, les conflits avec le droit supérieur qui ne manqueront pas de surgir. La ministre socialiste de la Justice s’est promis d’associer étroitement les initiants au groupe de travail qui sera mis sur pied avant la fin de l’année pour faire des propositions. «J’attends cependant que les membres du comité d’initiative tiennent leurs engagements, notamment celui de ne pas exiger le renvoi des auteurs de délits sans gravité réelle.»

Les conséquences concrètes qui résulteront à terme du vote populaire de ce dimanche restent donc incertaines. Les exigences du droit international ne pourront être purement et simplement ignorées, et l’exercice hasardeux auquel s’était livré le parlement pour mettre en œuvre l’initiative réclamant l’internement à vie des délinquants dangereux va se répéter avec l’expulsion des délinquants étrangers.

Les perdants d’aujourd’hui se verront contraints de donner une suite à un texte qu’ils ont combattu. «Il est à prévoir qu’ils utiliseront toute leur marge de manœuvre pour édulcorer le texte», estime le conseiller national UDC genevois Yves Nidegger. Mais si les partis de gauche et du centre vont trop loin, avertit-il, «ils feront un splendide cadeau à l’UDC», la confortant dans le rôle de la seule force politique apte à défendre la volonté populaire.

«Le peuple a parlé et il faut en prendre acte, mais c’est la responsabilité des initiants de nous dire comment ils entendent mettre en œuvre leur texte», réagit le président du PDC Christophe Darbellay. Le conseiller national valaisan se dit ainsi curieux de voir quelles solutions seront proposées dans le cas de mineurs ayant commis des délits de peu de gravité. «On attend de la part des initiants des propositions concrètes», ces questions devant trouver une réponse «dans les six prochains mois».

Du côté des libéraux-radicaux, la conseillère nationale vaudoise Isabelle Moret met également en avant la responsabilité de l’UDC pour trouver des solutions, mais aussi celle de la gauche, accusée d’avoir favorisé l’initiative en rejetant également le contre-projet. L’UDC a fait «des promesses contradictoires», avertit la Vaudoise, qui pronostique que la droite dure fera tout pour faire porter aux autres partis la responsabilité d’une mise en œuvre imparfaite ou retardée de l’initiative. Pour l’élue, l’occasion doit aussi être saisie de reposer la question du contrôle de la conformité des initiatives avec le droit international.

A gauche, on se demande avec qui le centre droit fera alliance. La relativement courte majorité obtenue par l’initiative justifie que les préoccupations de la minorité soient prises en compte, juge le Vert genevois Antonio Hodgers. Car si le parlement n’y veille pas, «c’est le Tribunal fédéral ou les juges de Strasbourg qui le feront».

Denis Masmejan dans le Temps


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Chapatte dans le Temps

Faut-il mettre en place plus de mesures d'intégration des étrangers ?

Jean-Christophe Schwaab et Christophe Reymond sont les duellistes invités par 24 Heures à confronter leur opinion au sujet des mesures d'intégration des étrangers.

jc schwaab intégration

Les migrants enrichissent la Suisse. Par exemple, ils contri-buent plus aux assurances sociales qu’ils ne bénéficient de leurs prestations. En outre, de nombreuses branches (notamment la santé) connaî-traient de graves difficultés si elles ne pouvaient engager des collaborateurs, qualifiés ou non, provenant d’autres pays. Mais certains font mine d’ignorer ces avantages et n’ont de cesse de colporter que les migrants sont plutôt des criminels poten-tiels, des profiteurs ou des voleurs d’emplois.

Cette idéologie marque malheureusement de son empreinte la politique migratoire de notre pays, qui vise de plus en plus à une «intégration obligatoire». Et la conséquence en est la quasi-criminalisation de celui dont on considère arbitrairement qu’il «ne veut pas s’intégrer». Certes, si un «refus» prend la forme du non-respect de la législation, cela doit être sanctionné. Mais une «obligation» n’a guère de sens si celui qui l’exige ne lève pas les obstacles à l’intégration.

Car l’intégration ne peut être un processus unilatéral. Certes, celui qui souhaite s’intégrer – c’est le cas de l’immense majorité des migrants – porte une grande part de la responsabilité. Mais la société doit aussi faire en sorte que l’intégration soit possible. A l’Etat donc, au lieu de proclamer une stérile «obligation de s’intégrer», de mettre en place les politiques qui permettront réellement cette intégration.

Faciliter l’accès à des emplois décents est un des moyens les plus efficaces pour la favoriser. Cela passe, entre autres, par la maîtrise d’une langue nationale. L’Etat doit donc soutenir les cours de langues destinés aux migrants, en particulier ceux qu’organisent les partenaires sociaux dans les branches à forte main-d’œuvre étrangère, et veiller à ce que ces cours soient accessibles à tous. La loi sur le travail doit aussi faciliter leur fréquentation, notamment en accordant les congés payés nécessaires.

Mais l’accès à l’emploi ne passe pas que par la langue. Reconnaissance des titres et validation des acquis sont, elles aussi, capitales, et notre pays a encore de nombreux progrès à faire sur ce chapitre. Comment accepter, en effet, que nombre de migrants doivent se contenter d’emplois peu ou pas qualifiés, alors qu’ils sont titulaires d’un diplôme solide, acquis dans leur pays d’origine mais que la Confédération ne reconnaît pas?

Enfin, il s’agit de combattre la discrimination salariale ou à l’embauche, en particulier en battant en brèche les préjugés que peuvent avoir certains employeurs, voire en sanctionnant ceux qui appliquent des règles du jeu différentes en fonction de l’origine, du nom ou de la couleur de peau.

Soutenir l’intégration est nécessaire. Mais ce n’est pas en décrétant qui est intégré et qui ne l’est pas qu’on la rendra réellement possible. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le parti qui fait des questions migratoires son fonds de commerce est justement celui qui refuse qu’on alloue des moyens aux politiques d’intégration.

christophe reymond intégration

Le remue-ménage de la mon-dialisation a mis son grand pied dans la fourmilière humaine et chamboule les flux migratoires. Aux exodes très «classiques» du Sud vers le Nord s’ajoutent désormais les courants Est-Ouest. Les boat people qui dérivaient jadis en mer de Chine s’échouent désormais en Sicile ou en Andalousie. L’Italie et l’Espagne, qui furent dans l’histoire récente le berceau des plus nombreux et industrieux émigrants d’Europe, ne cessent aujourd’hui de se protéger contre des émules indésirés.

La Suisse n’échappe pas à ce phénomène dicté par la dé- mographie, et qui veut que les vieux riches (nous, donc) subissent la pression des jeunes pauvres. Elle connaît par ailleurs une immigration d’un autre ordre, extrêmement qualifiée: celle des médecins allemands, des cadres anglo-saxons de multinationales ou des ingénieurs qui restent sur place après l’obtention de leur diplôme. Est-ce aussi à ceux-là que l’on pense lorsqu’on fait des discours sur les actions à mettre en œuvre pour intégrer les étrangers?

Plutôt que de claironner indistinctement qu’il s’agit d’accroître les mesures d’intégration, prenons les choses par un autre bout. Affirmons d’abord qu’il est naturel qu’une culture soit dominante en un lieu donné. Un nouveau venu pourra choisir d’en rester éloigné, ce qui est d’ailleurs le propre d’un certain nombre de ceux que nous accueillons. Pour les plus nombreux, la volonté de s’intégrer et, surtout, l’osmose des contacts quotidiens produiront petit à petit un phénomène d’assimilation, d’autant plus heureux qu’il n’empêche en rien de conserver des liens avec la région et la culture d’origine.

Faisant un pas de plus, précisons que c’est à celui qui nous rejoint de s’adapter à nos mœurs. Le jeune étranger n’a pas à être immédiatement placé à l’école au nom de l’égalité de traitement, alors que cela peut créer des difficultés aux petits autochtones. Celui qui aspire à exercer le droit de vote doit opter pour le stade ultime de l’attachement à son pays d’accueil en en adoptant la nationalité. On pourrait multiplier les exemples, en insistant sur le fait que les différenciations sont normales.

La prééminence à accorder à sa propre communauté est naturelle; il n’y a rien non plus de choquant à ne pas céder à l’éventuel communautarisme de l’autre. Ayant proclamé cela, et parce que l’intégration est une affaire de terrain et pas de bureaucratie, il ne faut pas espérer quoi que ce soit des grandes déclarations, ni grand-chose d’une quelconque législation.

C’est en effet le travail au jour le jour qui importe, sur le terrain, grâce souvent à des organismes privés. Il s’effectue en identifiant les problèmes et leur cause, comme aussi les groupes d’étrangers concernés. Il n’a de sens que s’il est possible de trouver des solutions concrètes, que les autorités peuvent certes favoriser, mais sans activisme. Tout le reste équivaut au mieux à brasser du vent, au pire à inverser les devoirs ou à prévoir des mesures vexatoires.

24 Heures

«Les Vaudois approuvent ma politique»

philippe leuba omnEntre satisfaction et colère, le ministre vaudois de l’Intérieur Philippe Leuba a des mots durs pour le Parti socialiste. Il critique aussi le laxisme de certains cantons.

Vous vous êtes battu contre le texte de l’UDC en mettant en avant votre fermeté et en produisant les chiffres des renvois. Quel signal le double non vaudois donne-t-il à votre politique migratoire?

C’est incontestablement la démonstration que le peuple vaudois en est plutôt satisfait. S’il y avait eu du laxisme en la matière, il aurait plébiscité ces textes. Je suis satisfait de cette approbation indirecte d’une politique qui se veut à la fois ferme et humaine. Ce n’était pas acquis d’avance.

Le laxisme de certains cantons aurait donc fait le jeu de l’UDC?

Je ne suis pas le seul à le penser. Alain Berset, conseiller aux Etats socialiste, entre autres, tient le même langage. Nous ne serions pas ce soir dans une situation aussi extrême si les élus passés et actuels avaient fait preuve d’assez de détermination et de transparence. La perception de la politique migratoire change complètement quand on fait l’effort d’expliquer.

L’acceptation de l’initiative UDC est ressentie comme un vote anti-étrangers. Votre perception?

Ne faisons pas dire au peuple ce qu’il n’a pas dit. Nous sommes face à un vote anti-délinquants étrangers, ce n’est pas un rejet des étrangers.

L’initiative pose des problèmes d’application. Insurmontables?

La volonté populaire vient de s’exprimer clairement. Elle s’impose donc au parlement qui doit la traduire dans la loi. La difficulté est que le texte de l’initiative heurte des principes fondamentaux de l’ordre juridique suisse – le principe même de la proportionnalité – ainsi qu’un certain nombre d’accords internationaux. Je me demande où est la majorité du parlement qui va réussir à adopter une telle législation. Il serait inadmissible que la gauche, qui porte une lourde responsabilité dans cette affaire, tente de travestir la volonté populaire.

Pourquoi fustiger le double non des socialistes?

Si le Parti socialiste n’avait pas pratiqué la politique du pire, le résultat serait différent ce soir. C’est le contre-projet qui aurait été adopté. A chacun d’assumer ses responsabilités. Le peuple ne comprendrait pas que l’on foule aux pieds sa volonté et que l’on nie sa souveraineté.

Propos recueillis par Joëlle Fabre dans 24 Heures

La ministre Sommaruga accepte le verdict, mais prend les initiants au mot

La Bernoise veut rapidement mettre en œuvre l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels. Début des travaux: avant Noël.

simonetta sommaruga constructive«La majorité des votants ont clairement exprimé que la criminalité des étrangers est pour eux un problème sérieux.» Jamais, durant son intervention d’hier devant la presse, la ministre Simonetta Sommaruga n’a donné l’impression d’être abattue. Droite dans ses bottes, elle a refusé de chercher des coupables dans cette défaite du Conseil fédéral, et de la majorité du parlement qui avait soutenu le contre-projet. «Ce n’est pas mon genre», a-t-elle lâché, fermement, tout en adressant quelques critiques aux milieux économiques (lire ci-dessous) .

Pour sa première conférence de presse post-votation, la Bernoise a adressée un message solennel aux votants. La nouvelle cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP) a prononcé un «je vous ai compris», nettement moins ambigu que celui du général de Gaulle à Alger. Elle a montré qu’elle avait gardé cette oreille attentive d’ancienne défenseure des consommateurs.

La socialiste a ensuite présenté son plan de bataille. Un mot d’ordre? Aller vite dans l’élaboration d’une loi d’application, même si le texte de l’initiative prévoit un délai maximal de cinq ans. Une nouvelle qui réjouira le conseiller national vaudois André Bugnon (UDC), qui, alors que la victoire se dessinait, exigeait le dépôt d’un projet «dans les neuf mois».

Un groupe de travail sera mis sur pied avant Noël. Il s’agira, entre autres, de résoudre les éventuels conflits avec les engagements internationaux de notre pays. Mais pas question pour la cheffe du DFJP de laisser les juristes de son département préparer la loi d’application en vase clos, dans leur bocal en quelque sorte.

«Je compte impliquer étroitement le comité d’initiative. Durant la campagne, ses membres ont fait de nombreuses promesses. La principale étant de mettre en œuvre le texte avec le sens de la mesure. En ce qui concerne les délits de peu d’importance, les bagatelles, les partisans de l’initiative sur le renvoi ont par exemple toujours affirmé qu’ils ne devaient pas mener à une expulsion.» Le parlement complètera en dernier recours la liste des infractions visées.

«Un jeu tactique»

Une offre de collaboration qu’Yves Nidegger accueille tièdement. «Nous consulter pour éclairer certains points, c’est bien, commente le conseiller national UDC. Mais c’est l’administration qui doit faire un projet. Simonetta Sommaruga essaie de prendre au mot les initiants pour les empêcher, par la suite, de s’opposer. C’est un petit jeu tactique.»

Et le Genevois d’annoncer la couleur: «Si le parlement édulcore trop la loi d’application, l’UDC lancera un référendum. Ce qui veut dire que nous occuperons le terrain avec cette question durant dix ans. Pour nos adversaires ce serait suicidaire.»

Romain Clivaz, Berne, pour 24 Heures


«J’ai peu de compréhension pour le silence de l’économie»

Il revient à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga de mettre en œuvre l’initiative UDC.

Madame la conseillère fédérale, l’argent dépensé dans la campagne a-t-il été décisif pour l’issue du scrutin?

Je ne crois pas que l’argent puisse, à lui tout seul, faire la décision. Mais il est clair que des moyens très différents ont été engagés dans les campagnes pour l’initiative sur «le renvoi des étrangers criminels» ou celle sur «les impôts équitables». C’était flagrant et la population l’a remarqué. Au-delà de l’argent, c’est aussi le fait que les milieux économiques se soient complètement retirés de la campagne sur le renvoi des étrangers criminels qui m’a étonné.

Mais votre parti, en s’opposant à l’initiative et au contre-projet, a aussi facilité l’acceptation du texte qui allait le plus loin…

Le PS s’est beaucoup engagé contre l’initiative. C’est ce qui a été décidé à son congrès. La différence entre un parti et les milieux économiques est que ces derniers ont des intérêts élémentaires à ce que la Suisse respecte ses engagements internationaux. Prenez la libre circulation des personnes. Nous devons montrer que nous sommes un partenaire fiable. Cette sécurité juridique est aussi essentielle pour l’économie. Il ne s’agit pas seulement d’argent, mais d’engagement concret: dans l’espace public, avec des prises de position… J’ai peu de compréhension pour le silence observé par l’économie.

Craignez-vous la réaction de l’Union européenne?

Nous ne devons pas avoir peur. Mais il en va de notre crédibilité. Nous ne devons pas donner l’impression de ne pas vouloir respecter nos engagements.

Une fois de plus, il y a conflit entre une initiative et le droit international. Ne faudrait-il pas mieux filtrer les textes d’initiatives, et en déclarer certaines nulles?

Je n’ai pas d’avis définitif sur la question. Actuellement l’Office fédéral de la justice et le parlement examinent en parallèle la meilleure manière de résoudre ce problème. C’est une bonne chose. Ce que je veux éviter c’est que l’on vote, et qu’ensuite on dise à la population qu’on ne peut pas mettre en œuvre la décision. Ce serait très mauvais pour notre démocratie directe.

Romain Clivaz dans 24 Heures

«Nous pourrons expulser 700 à 800 criminels dangereux de plus. Ce qui signifie 700 à 800 victimes de moins»

Le conseiller national Oskar Freysinger a été sur tous les fronts durant cette campagne. Interview de l’UDC valaisan.

Votre sentiment au sortir de cette campagne?

Je me suis énormément engagé sur le terrain et j’ai senti un élan pour notre initiative dans la population. J’ai aussi perçu la division de nos adversaires. Ils étaient nombreux et s’encombraient les uns les autres. J’ai également constaté la montée des insultes à mon égard. Cela montre que certains sont démunis, sans argument, face à notre message, et ils s’attaquent alors au messager.

Craignez-vous que la loi d’application accouche d’un texte qui ne réponde pas à l’esprit de l’initiative?

Non, sur cette question, le parlement ne peut pas transiger. Il n’y aura désormais qu’une procédure pénale avec l’automatisme. Ensuite, le parlement discutera du catalogue en regard de la gravité des crimes. Nous avons toujours dit être flexibles et savons faire la différence entre un crime et un délit. Contrairement à ce qu’ont raconté nos adversaires, l’UDC ne veut pas expulser pour un paquet de chewing-gum volé. Par contre, nous pourrons désormais expulser entre 700 et 800 criminels dangereux de plus. Ce qui signifie 700 à 800 victimes de moins.

Simonetta Sommaruga annonce la mise en place immédiate d’un groupe de travail. Intéressé?

Pas vraiment. Le candidat idéal serait un juriste comme Yves Nidegger (ndlr: conseiller national UDC genevois) . Je salue par ailleurs la rapidité de la décision de la conseillère fédérale. Mais je n’étais pas inquiet! Ce que je sais de Mme Sommaruga me laissait présager qu’en femme pragmatique et respectueuse de la volonté du peuple, elle ferait son devoir.

Après cette victoire, peut-on aller encore plus loin?

Non. Le chapitre de la criminalité des étrangers est clos. Mais il y a d’autres chapitres sécuritaires. Je ne suis pas partisan d’un Etat policier, car il soumet le citoyen à une constante suspicion. Mais si, à l’intérieur de la Suisse, nous voulons vivre dans une sécurité qui se passe d’un déploiement incessant de forces de l’ordre, nous devons réintroduire un cordon sanitaire et renforcer les contrôles aux frontières. L’Espace Schengen n’apporte pas les garanties prévues.

Est-ce un vote sécuritaire qui s’est exprimé ou un vote anti-étrangers?

Clairement un vote sécuritaire. J’ai croisé nombre d’étrangers et de personnes naturalisées qui m’ont dit soutenir notre initiative. Car elles aussi en ont marre, d’une part, de la criminalité, et, d’autre part, de la suspicion et de la défiance qu’elle provoque à leur encontre. Eux, les honnêtes citoyens. C’est d’autant plus vrai pour les étrangers visibles comme les Africains. De fait, c’est le laxisme du PS qui crée la xénophobie et non les affiches de l’UDC. Car je suis pour le mélange qui apporte enrichissement culturel et génétique à la Suisse. En Valais, on sait ce qu’est la consanguinité! (Rire.) Mais il n’empêche que l’on doit pouvoir filtrer les migrants et notamment expulser les racailles.

Propos recueillis par Xavier Alonso

Les "moutons noirs" offrent une double victoire à l'UDC

Le texte de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers passe sans encombre avec 53% de oui. Et le contre-projet qu’elle combattait se fait laminer. Aucun canton ne l’accepte.

Acceptée à 53% et avec une large majorité des cantons. L’initiative «Pour le renvoi des étrangers criminels» a offert hier à l’UDC une victoire marquante. D’autant plus que le parti de Christoph Blocher s’est lancé seul dans la bataille contre tous. Le Conseil fédéral et les partis du centre-droite (PLR et PDC), ainsi qu’une dissidence Suisse alémanique du PS lui opposaient un contre-projet qui a été balayé par 54% de non et le rejet de tous les cantons.

Une année, presque jour pour jour, après le vote antiminarets soutenu par l’UDC, une autre initiative UDC vient creuser le Röstigraben. En effet, à l’exception du Valais (51,8% de oui), tous les cantons de Suisse romande ont rejeté le texte qui exige le renvoi des étrangers coupables de certains crimes. Le canton de Vaud, avec 58,2% de non, est le plus opposé. Suivi du Jura (57,3%), de Neuchâtel (56%), de Genève (55,7%) et de Fribourg (51,4%). Bâle-Ville (56,6%) est le seul canton alémanique qui dit non au texte de l’UDC. Autre fossé marquant, celui qui sépare les villes des campagnes. Et cela même au pays du oui à l’UDC. En effet, les grandes villes d’outre-Sarine ont refusé le texte de l’UDC: Zurich (65%), Berne (70%) et Bâle (58%). Tout comme Saint-Gall et Winterthour.

Contrairement au résultat du vote antiminarets de l’année dernière, le scrutin d’hier n’a pris personne par surprise. Mieux: il était attendu. La forte participation (52,6%) témoigne de l’intensité d’une campagne qui dure depuis de très longs mois. Car cette initiative dite des «moutons noirs» – en référence aux affiches de l’UDC – a déjà beaucoup servi. La récolte des signatures en 2007 avait boosté la mobilisation des sympathisants des démocrates du centre. Et trois ans plus tard, le succès de ce scrutin donne du poids à l’UDC en vue des élections fédérales d’octobre 2011.

Cette analyse, les élus UDC semblaient la partager hier à Berne. Au stamm des démocrates du centre, l’ambiance était aux sourires et à la satisfaction. Une fois de plus, le peuple fait davantage confiance à l’UDC qu’à la classe politique pour résoudre les problèmes, affirmait-on en substance. Rien à voir avec les mines défaites du PS, réuni dans un restaurant du centre-ville, qui soulignait que ce oui à l’UDC ne changeait rien aux problèmes de la criminalité étrangère. Les membres du PLR et du PDC, clairsemés dans une salle de congrès d’un grand hôtel, affichaient une mine fataliste.

«Un jour noir pour les droits de l’homme en Suisse», s’est inquiété Amnesty International. Même tonalité soucieuse à Bruxelles, où l’Union européenne suit le dossier avec attention. Car, selon la manière dont le texte de l’UDC est concrétisé, la Suisse contreviendrait à l’accord sur la libre circulation des personnes. Ambassadeur de l’UE à Berne, Michael Reiterer a rendu attentif à ce clash programmé. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga sera déjà jeudi à Bruxelles à une réunion du comité mixte de Schengen.

Xavier Alonso Berne, dans 24 Heures   


Initiative pour le renvoi des criminels étrangers: elle séduit les campagnes, mais elle est rejetée dans les villes

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Initiative pour le renvoi des criminels étrangers: la Suisse occidentale isolée

moutons noirs carte canton


Les présidents de parti s'expriment

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Articles, infographies et opinions tirés du quotidien 24 Heures

A propos des votations

alex expulsion criminels étrangers

SOS Racisme dénonce la votation suisse

SOS Racisme a dénoncé lundi une "nouvelle avancée" du racisme en Suisse après l'approbation dimanche par vote en Suisse de l'expulsion automatique de criminels étrangers.

"Un an après le référendum ayant abouti à l'interdiction des minarets sur son territoire, la Suisse, sous l'impulsion une fois de plus de la très xénophobe UDC (Union démocratique du centre, montre une fois de plus un visage haineux, s'obstinant à voir dans la figure de l'Autre la source de tous les maux réels ou fantasmés de la société", assure l'organisation dans un communiqué.

L'initiative de la droite populiste suisse proposant l'expulsion automatique des criminels étrangers a été approuvée par 52,9% des voix, contre 47,1% de non.

AFP

La Suisse de l'exclusion

Les moutons noirs ont tout écrasé sur leur passage. Hier, l'UDC a remporté un succès éclatant en faisant passer en votation son initiative populaire «Pour le renvoi des criminels étrangers» par 52,9% des voix.

Quinze cantons et cinq demi-cantons ont suivi la droite nationaliste. Le camp du «non» enlève à peine quelques bastions en Suisse occidentale: Genève, Vaud (58,2% de refus), Fribourg (51,4%), Neuchâtel, Jura et Bâle-Ville. La barrière de rösti aurait-elle ressuscité? Pas tout à fait: le Valais dit oui au texte de l'UDC, à 51,8%.

L'original, pas la copie

Quant au Conseil fédéral et à la majorité du parlement, ils ont perdu leur pari. Ils opposaient un contre-projet à l'initiative UDC. Mais leur texte, qui se targuait de respecter la Constitution et le droit international, a fait un bide: il est rejeté à 54,2% des votants. Pire, il ne passe la rampe dans aucun canton! Le peuple a donc préféré l'original à la copie. «Les Suisses ont compris qu'ils n'avaient pas affaire à un contre-projet, mais à un projet contre l'UDC», analyse le vice-président de l'UDC suisse, Yvan Perrin.Seul contre tous les autres partis, contre les cantons et les autorités judiciaires, qui affirmaient que son initiative était qui inutile, qui inapplicable, le parti de Blocher a imposé ses solutions. Une année après sa victoire sur l'interdiction des minarets, il se profile ainsi en leader sur les questions de sécurité et d'immigration.

«C'est un tournant»

«C'est un tournant, confirme le politologue Oscar Mazzoleni, spécialiste de l'UDC. Depuis une année, le parti est en effet non seulement capable d'imposer le calendrier politique au travers des votations, mais il parvient désormais aussi à imposer son opinion.» Trois raisons à cela, estime l'expert: d'une part, l'UDC bénéficie d'un trésor de guerre se chiffrant en millions de francs lui permettant de marteler son message provocateur. D'autre part, sa stratégie et son organisation sur le terrain sont très bien rodées. Enfin, ajoute Oscar Mazzoleni, «l'UDC profite de la faiblesse de ses adversaires, en moyens financiers et dans les messages».La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a dit hier prendre au sérieux «les peurs et l'insécurité» exprimées dans les urnes. «Nous payons le fait de ne pas avoir résolu le problème de l'exécution des renvois, ce qui a donné à la population le sentiment que des criminels étrangers profitaient d'une certaine impunité», analyse pour sa part Christian Levrat, président du PS. «Le drame, c'est que l'initiative UDC ne résoudra rien.»

Objectif: les élections

«Les Suisses ont avant tout dit oui à l'expulsion des criminels étrangers, relativise Fulvio Pelli, président du Parti libéral-radical suisse. L'UDC est spécialiste pour poser les bonnes questions de manière simple. Elle est moins bonne quand il s'agit d'apporter les bonnes réponses.» Et le débat qui va s'engager sur l'application de l'initiative va le montrer, prédit le Tessinois.Galvanisée par son succès, l'UDC n'en restera pas là. Elle cherche déjà le sujet porteur pour lancer une nouvelle initiative populaire l'été prochain qui lui serve de rampe de lancement pour les élections fédérales d'octobre 2011. Sur l'immigration, le parti a tiré ses cartouches. Il pourrait se rabattre sur la sécurité, en exigeant un durcissement du Code pénal, glisse Luzi Stamm (udc/AG). Face à ce rouleau compresseur, conclut Oscar Mazzoleni, ses rivaux n'auront pas le choix: soit ils emploient les mêmes moyens (finances et communication) que l'UDC, soit ils vont au-devant d'autres défaites.

Serge Gumy dans la Liberté