Les femmes représentent désormais la moitié de la population migrante. Droits des travailleurs domestiques, transfert de capital social, protection des enfants, cette nouvelle donne pose bien des questions.
Le 2 décembre dernier, les Nations Unies ont adopté dans la Convention de 1990 sur les travailleurs migrants de nouvelles directives concernant les travailleurs domestiques, qui sont en majorité des femmes. Au même moment, plus de cent experts de quelque cinquante pays se réunissaient au Sénégal pour une conférence intitulée «La face féminine de la migration», organisée par Caritas Internationalis. Pendant longtemps, la migration a été considérée comme une question purement masculine. Or, on constate aujourd'hui une croissance du nombre de femmes s'établissant seules, sans leur famille, dans diverses régions du monde – elles représentent la moitié des 214 millions de migrants, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ce phénomène soulève des problématiques encore inexplorées, auxquelles les politiques de migrations sont appelées à faire face. Martina Liebsch, directrice des politiques de Caritas Internationalis, rentre de Saly, au Sénégal. Après une année passée à organiser la conférence, elle porte un regard positif sur ces trois jours. Entretien.
Pourquoi Caritas a-t-elle organisé
cette conférence?
Martina Liebsch: De plus en plus de femmes migrent seules, souvent pour soutenir leur famille qui reste dans les pays d'origine. Dans les secteurs dominés par les femmes, comme le ménage ou les soins de santé, la demande de travailleurs dans les pays de destination est en hausse. Or, les politiques de migration négligent cette réalité. Les femmes migrantes sont confrontées à des risques et à des défis spécifiques et se retrouvent souvent dans des situations de vulnérabilité.
En quoi la migration féminine est-elle différente de la masculine?
De manière générale, les femmes ont tendance à être considérées plutôt comme un objet que comme un sujet de droit. Elles vivent souvent une double discrimination: dans leur pays d'origine, le contexte est parfois déjà difficile en raison d'une inégalité des droits. Elles décident de partir chercher une vie meilleure, ajoutant à leur statut de femme celui de migrante. En outre, le voyage dans des conditions irrégulières les vulnérabilise davantage. La problématique de la migration féminine débouche sur bien d'autres questions, comme la traite des femmes et des enfants, les familles «transnationales», mais aussi le transfert du capital social.
Qu'entendez-vous par «transfert du capital social»? Peut-on y voir un aspect positif de la migration féminine?
Oui. L'un des buts de notre conférence était aussi de mettre en relief les aspects positifs de cette migration spécifique. Pensons à l'apport des femmes migrantes aux communautés d'accueil en termes de compétences sociales. Dans leur pays d'origine, il arrive qu'elles rentrent chez elles enrichies de leurs expériences et élaborent un réseau transnational spécifique aux femmes, créant des associations pour les femmes migrantes. Malheureusement, il reste toujours des zones d'ombre: les femmes émigrées qui aident financièrement leurs familles restées au pays ont-elles le pouvoir d'administrer ces fonds et d'en assurer leur bonne utilisation? Dans certains contextes de division sociale, comment le mari gère-t-il la situation? Si l'argent envoyé permet un accès à une meilleure éducation, l'enfant vivant dans une famille monoparentale ou avec ses grands-parents, souvent dépassés, sera-t-il finalement réellement mieux éduqué? Nous sommes face à un cercle vicieux.
Que pensez-vous des nouvelles directives onusiennes adoptées en décembre dernier?
Ces nouvelles recommandations représentent un bon pas en avant. Caritas a travaillé avec le comité des travailleurs migrants, qui veille à l'application de la Convention de 1990. Il faut savoir que le travail à domicile n'est règlementé que dans dix-neuf pays. En Inde, par exemple, aucune loi ne concerne ce sujet. Dans bien des pays, il n'est même pas reconnu comme travail salarié. Des conditions de travail correctes, un nombre maximum d'heures de travail, un jour de congé par semaine, la liberté de se plaindre – dans beaucoup de pays, cela n'existe pas. Bien des femmes souffrent de situations précaires ou de mauvais traitements, deviennent victimes de trafic humain et ne bénéficient d'aucune protection. La Convention des travailleurs migrants fait partie des traités sur les droits de l'homme, droits qui s'adressent également aux domestiques. C'est ce que soulignent ces nouvelles directives.
Le Courrier