vendredi 4 juillet 2008

Au Simplon: le provisoire qui dure

VAUD. La vie dans un centre d'aide d'urgence six mois après la nouvelle loi sur l'asile.

Par Camille Châtelain dans Le Temps



Après avoir fait les gros titres de l'actualité pendant des mois, les requérants d'asile ne font plus guère parler d'eux dans le canton de Vaud. Mais, cette semaine, par une lettre ouverte, des femmes déboutées, résidant au Centre d'accueil du Simplon, rappelaient leur existence. Elles se plaignaient des conditions de vie (LT du 2.07.08) du régime de l'aide d'urgence. Le Temps s'est rendu sur les lieux. L'occasion de faire le point sur la nouvelle loi sur l'asile six mois après son entrée en vigueur.

L'aéroport de Genève: une prison pour les demandeurs d'asile

Des demandeurs d'asile passent jusqu'à soixante jours dans la zone de transit. Reportage dans Bonne Nouvelle

aider

Meleke, Alagie, Ousman dans l'un des dortoirs au sous-sol de l'aéroport.

Photo : Eric Roset

«Je rêve de rester en Suisse et de reprendre mes études d'économie. Si on me renvoie dans mon pays, je serai tué, c'est sûr.» Ousman a 22 ans, il est Gambien. A son arrivée en Suisse, il a dûment expliqué que sa vie était en danger depuis que son oncle avait été accusé de complicité dans un coup d'Etat. Après 47 jours passés dans la zone de transit, il n'a qu'un espoir: que la Suisse lui permette d'échapper à son destin.

Pour les vacanciers et les hommes d'affaires entre deux avions, la zone de transit? Un no man's land. Un lieu de passage où l'on grignote un sandwich en déambulant dans les duty free.

Pour la centaine d'hommes et de femmes en quête d'asile qui y séjournent chaque année jusqu'à soixante jours, l'endroit n'a rien d'un préambule aux vacances. C'est une zone de rétention, un espace fermé où le temps est suspendu dans l'attente d'une décision de l'Office fédéral des migrations (ODM).

Interminable attente

Pour rejoindre le lieu d'hébergement des requérants, sécurité aéroportuaire oblige, le journaliste doit montrer patte blanche. Après une vérification scrupuleuse de mon identité, je suis conduite au sous-sol. Au fond d'interminables couloirs, trois pièces borgnes hébergent jusqu'à 35 personnes. Un dortoir pour les hommes, un pour les femmes. Et une pièce commune flanquée d'une table, de canapés et d'une télévision offerte par les aumôniers. Les journées y sont interminables. Il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre.

Devant la télévision qui crache des informations qu'ils ne comprennent pas, Saini et ses deux compatriotes pendjabi tuent le temps en assemblant les pièces d'un puzzle, fourni par les aumôniers. «J'aime surtout faire des sudoku, et je me distrais en regardant MTV», raconte Saini dans un anglais approximatif.

Il a fui le Pendjab en raison des troubles politiques qui agitent ce petit Etat indien coincé entre le Pakistan, le Cachemire et le Rajasthan. A son arrivée, ses papiers et son argent ont été confisqués par la police. Ce qui lui manque surtout, c'est de ne pas pouvoir respirer à l'air libre.

La loi prévoit une sortie quotidienne escortée sur le tarmac de l'aéroport. Or la plupart des requérants ne sortent pas plus de deux fois par mois. Interrogé, l'Office fédéral des migrations botte en touche. «L'expérience a montré que les requérants ne saisissent que rarement l'occasion de sortir lorsqu'elle leur est proposée.»

Il est vrai que sortir sous une pluie battante pour longer la piste de décollage n'est pas la promenade la plus alléchante qui soit. En conséquence, «ce sera désormais aux requérants de solliciter une sortie accompagnée sur le tarmac». Mais personne n'a pris la peine de transmettre l'information aux requérants, pas plus qu'aux aumôniers. Saini, pourtant, aurait aimé respirer à l'air libre, même sous la pluie.

La Cimade dans le viseur du gouvernement

A quelle association les sans-papiers placés en centre de rétention administrative (CRA) dans l’attente d’une éventuelle expulsion vont-ils pouvoir demander une aide juridique à partir de janvier 2009 ? A la Cimade, association à qui l’Etat a confié cette mission depuis 1985 ? Au Secours catholique ? A la Croix-Rouge ? A la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) ? La balle est dans le camp du ministère de l’Immigration.

CRA de Cergy

«Remarques».                                                          La convention triennale liant l’Etat et la Cimade arrivant à échéance en décembre, les tractations entre l’administration et les différentes associations vont bon train ces jours-ci. Elles devraient aboutir rapidement, compte tenu du temps nécessaire pour organiser l’appel d’offres. S’il y a aujourd’hui suspens, c’est que la Cimade n’est pas en odeur de sainteté auprès du ministère de l’Immigration. «Nous avons reçu des remarques répétées, depuis quelques mois, sur le fait que notre parole agaçait les pouvoirs publics», avait révélé, en avril, Laurent Giovannoni, secrétaire général de la Cimade, lors de la présentation du rapport 2007.

La suite de cet article de Libération

Au centre de requérants, le désespoir est la règle

Au coeur de la ville, un immeuble abrite des requérants. Tranches de vies sans espoir. Un article signé Alain Walther dans 24 Heures.

L’usage des tranquillisants par les requérants déboutés deviendrait systématique, selon Roger Saugy, député socialiste, qui connaît bien la vie des centres lausannois de Vennes et du Simplon. LAUSANNE LE 2 JUILLLET 2008
PHILIPPE MAEDER


Des moulures rococo sur la façade, un grillage entourant des jeux pour enfants, l’immeuble du 43, rue du Simplon à Lausanne change d’attributions au fil du temps. Ancien hôtel, ancien foyer pour travailleurs, future prison pour détenus en semi-li­berté. Au coeur de Lausanne, cet immeuble de l’EVAM (Eta­blissement vaudois d’accueil des migrants, l’ex-Fareas) vit un dernier été dans l’angoisse et le désespoir. Chaperonnées par la Coordination Asile Vaud, des femmes requérantes déboutées ont envoyé tous azimuts une lettre ouverte. Elles se plaignent des conditions de vie. Elles de­mandent le droit de vivre en appartement, le droit de tra­vailler, la régularisation de leur statut. Au débotté (sans avertir l’EVAM), nous avons passé la porte du Simplon.
«Je
préfère mourir»
Patricia*, Africaine franco­phone, nous accueille dans sa chambre avec placard et lavabo. Une corbeille à fruits est rem­plie de tranquillisants, quelques peluches sur le lit. «Je suis très dépressive.» Enfant abandon­née, la jeune femme est arrivée en Suisse après avoir échappé à une maquerelle, qui voulait la prostituer dans un pays d’Afri­que. Un marchand africain l’a amenée en Italie. Là, elle ren­contre un Neuchâtelois qui en fait sa compagne puis la laisse tomber. Son histoire ne lui a pas ouvert les portes de la Suisse. «Je dois partir, mais je préfère mourir plutôt que de rentrer.» Au Simplon depuis novembre, Patricia se plaint de la sévérité du règlement, de l’interdiction de cuisiner dans sa chambre, de n’avoir aucun avenir ni en Suisse ni dans son pays.
Passe alors Corinne*, en voi­sine. Mère d’un bébé de 1 an, cette autre Africaine ne com­prend pas pourquoi son mari n’a plus le droit de travailler. Ils vivent avec 9 fr. 50 par jour et par personne. «Avec les cou­ches pour l’enfant, on n’y arrive pas.» Les deux femmes n’atten­dent plus rien. La mère va de temps en temps à la place de Milan promener l’enfant. Sinon, rien. Le règlement interdit – pour des raisons de sécurité – les plaques chauffantes dans les chambres. Alors, vaille que vaille, gens de l’Est, d’Afrique et des Balkans cohabitent devant les six cuisinières du local com­mun. De la Russie à Madagas­car, on compte 20 nationalités pour 52 personnes.
A bien y regarder, Corinne et Patricia pensent que le règle­ment est fait pour leur rendre la vie dure. Son bébé sur la han­che, Corinne revendique: «On n’est pas des enfants! Qu’on nous fasse confiance.»