L’Etablissement d’accueil des migrants évoquait récemment le succès des travaux d’utilité publique réalisés par des requérants à Payerne. Plusieurs programmes d’occupation sont ainsi proposés. Reportage dans un centre d’accueil pour jeunes. Un article de Laure Pingoud dans 24 Heures.
Bacs de légumes, barquettes de mûres, yogourts, pain. Ammar empile des invendus de magasins dans la cuisine du foyer pour les requérants d’asile mineurs.
Ils sont en ce moment 39 jeunes de 14 à 18 ans débarqués de 14 pays différents dans cette maison de Malley, ouverte par l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (Evam), en 2006. Ammar est aussi venu chercher l’asile: cet Erythréen s’est porté volontaire comme médiateur dans le cadre des programmes d’occupation de l’Evam. Vingt heures de travail par mois contre un bonus de 300 francs, ajouté à l’assistance, et l’espoir d’accéder ainsi à un emploi.
A ses côtés, sa collègue Christine Adoudé. Visage rond, démarche chaloupée, cette Togolaise prépare une salade et du riz, beaucoup de riz. «Les Africains, on ne connaît pas tellement les légumes!» rigole-t-elle. Présents depuis 6 h 30 le matin, ils apprêtent le repas de midi, après avoir servi le petit-déjeuner aux jeunes du foyer. D’habitude, les auxiliaires aident aussi les éducateurs à donner des cours aux jeunes. Mais, vacances obligent, la maison tourne au ralenti.
«Nous n’aurions pas pu ouvrir ce foyer sans les médiateurs, relève Pascal Rochat, responsable du site. Ici, il y a deux fois moins d’éducateurs pour deux fois plus de jeunes que dans un foyer traditionnel.» En équipe de deux – une le matin, une le soir –, les médiateurs renforcent les éducateurs, aidant principalement à la cuisine et pour les devoirs. «Ces adultes peuvent aussi cadrer les jeunes en fonction de leur culture.»
«Je souris»
En cette fin de matinée, trois adolescentes révisent leur français en prévision de la rentrée scolaire. Avant l’invasion de tous les jeunes pour midi. Derrière le comptoir, Christine leur sert des assiettes à la mesure de leurs estomacs d’ados. Enjouée. «Ici, c’est le seul endroit où je souris. Je peux être la maman qu’ils ont laissée», confie-t-elle. Joviale avec les jeunes, son visage se durcit lorsqu’elle parle de ce qu’elle vit comme requérante. Avec ces adolescents au parcours parfois difficile, elle a pris le pli en quelques mois. «C’est dur au début: ils essaient. Il faut dire non. Et tout se passe bien.» Ce qui ne l’empêche pas de les bichonner. En témoigne le gros plat de beignets mitonné ce matin-là.
Cet aspect n’est pas toujours facile à gérer pour les éducateurs, qui fixent des règles, des horaires. Craquer en les laissant manger en dehors des repas n’est pas idéal. «Les médiateurs font un travail, mais sont eux-mêmes requérants, ils ont une situation délicate. Cela demande un encadrement», remarque Yvan Perrier, l’éducateur chargé des relations avec les médiateurs. Pas facile parfois, mais enrichissant. «Il y a une complicité qui se crée avec les jeunes. Et cela apporte beaucoup aux médiateurs: une activité, de la confiance, de l’expérience.»
Au réfectoire, Ammar et Christine ont fini de ranger. Ils vont être remplacés par le duo suivant. Janet arrive, en s’excusant de son retard. Sourire dynamique, cette Angolaise de 30 ans, maman de quatre grands enfants, a commencé il y a un mois. «Tant qu’on n’a pas de travail, on aide les gens.»
Un tremplin pour l’emploi
Cuisine, bâtiment, accompagnement social, traduction, aide dans les centres de l’Evam, travaux d’utilité publique, quelque 180 migrants – des requérants d’asile en procédure aux personnes admises provisoirement, en passant par les réfugiés et déboutés en Suisse depuis plus de trois ans – participent à une douzaine de programmes d’occupation. La plupart ont lieu à l’interne, au service de l’Evam. Mais quelques-uns sont effectués pour la collectivité, comme la participation au travail de la voirie de Payerne ou le nettoyage dans les bus TL. Un succès aux yeux de l’organisme d’aide aux migrants, qui aimerait d’ailleurs en proposer davantage pour répondre à la demande des requérants.
Aux TL, on trouve le bilan positif. «C’est une prestation qu’on ne pourrait pas assumer au sein de l’entreprise, explique Michelle Bohin, porte-parole. Nous devons être attentifs à l’intégration des requérants, qui n’ont pas la même culture. Cela demande une plus grande ouverture. Mais nous sommes heureux de participer à leur insertion. Pour certains, cela a été un tremplin: ils ont pu ensuite trouver d’autres engagements.» Selon l’Evam, une douzaine ont obtenu du travail cette année après avoir suivi un programme.
Cette activité leur rapporte une indemnité de 300 francs au maximum. Est-ce défendable par rapport à l’économie privée? L’Evam admet que la critique lui en est faite. «Mais ce n’est pas un travail, car ces personnes sont assistées. C’est une première expérience pour avoir la possibilité de trouver un emploi», réagit Emmanuelle Marendaz Colle, porte-parole de l’Evam.