vendredi 9 décembre 2005
Nedzad Omeragic. De la Bosnie à Montreux
Nedzad Omeragic a la sale impression de ne pas maîtriser sa vie. Voilà dix ans qu’il habite Montreux et presque autant qu’il y travaille dans la restauration, sans aucune certitude. «Depuis juillet, on m’interdit de travailler. On veut me renvoyer. Mais où? J’ai tellement bougé en Bosnie. Banja Luka, où j’ai vécu, est aujourd’hui purement serbe. Je me sens — comment vous dites en français? — apatride.» L’oeil triste, il sourit en évoquant le Nouvel An. «J’irai peut-être voir mon frère à Genève. Je n’ai pas la tête à ça.» La ville qu’il aime, c’est Montreux. «Je m’ennuie si je pars trop longtemps. J’y ai mes amis, je retrouverais du travail sans problème.» Déterminé dans sa douceur, il refuse de se cacher. Le centre de détention de Frambois? «J’y suis allé voir des amis avant leur renvoi. C’est une prison. Je ne comprends pas qu’on nous mette là-bas. On n’est pas des criminels.»
Texte de MARTINE CLERC Photo de Chantal Dervey
Lien vers la description du projet de 24heures
Le purgatoire à requérants se heurte à des oppositions
Mickael Rodriguez dans le Courrier et La Liberté revient sur les réactions dans les cantons à la prolongation de la durée de "séjour" dans les centres d'enregistrement.
La Confédération veut augmenter la durée maximale de séjour dans les centres d'enregistrement. Colère sur le terrain, et réticences du Conseil d'Etat.
Confiner les requérants d'asile jusqu'à deux mois dans un centre d'enregistrement? Cette mesure, proposée par le Conseil fédéral afin d'accélérer les procédures d'asile, est très mal reçue sur le terrain. Pour les professionnels apportant un soutien juridique ou moral aux requérants placés au centre de Vallorbe, il s'agit là d'une atteinte supplémentaire à leur liberté de mouvement. «Le régime de vie prévalant dans les centres d'enregistrement présente beaucoup de similitudes avec un régime carcéral en raison du contrôle quotidien exercé sur les requérants d'asile», n'hésite pas à affirmer le Service d'aide juridique aux exilés (SAJE) dans sa réponse à la consultation fédérale.
«Normaliser l'anormal»
Le SAJE estime en outre que l'allongement proposé de la durée de séjour irait à l'encontre de la mission des centres. A l'origine, les centres d'enregistrement ont en effet été conçus pour servir de premiers points de chute aux candidats à l'asile. Ces derniers devaient n'y passer que quelques jours, le temps de se faire enregistrer et de passer une première audition sommaire. Mais la durée de séjour s'est peu à peu étendue pour atteindre fréquemment le maximum de 30 jours fixé dans l'ordonnance. Et la Confédération envisage maintenant de porter ce plafond à 60 jours, avec l'objectif de boucler deux tiers des procédures avant la sortie du centre.
Pour Hélène Küng, aumônière protestante au centre de Vallorbe, ce projet revient à «normaliser quelque chose qui n'est pas normal. Lorsque le séjour dure plus de deux à trois semaines, de nombreuses personnes perdent goût à tout, se renferment, perdent l'appétit, le sommeil». Dans les centres d'enregistrement, l'encadrement se résume au volet sécuritaire. A Vallorbe par exemple, il n'y a ni assistant social ni personnel médical. Les requérants souffrant d'un problème de santé doivent s'adresser aux employés d'une entreprise privée de maintenance, qui s'occupent de nettoyer le centre et de préparer les repas. C'est à eux que revient la responsabilité d'apprécier la situation et d'alerter au besoin l'Office fédéral des migrations, qui décide de l'opportunité de consulter un médecin ou de conduire le patient à l'hôpital.
Le centre de Vallorbe n'offre en outre pas la possibilité aux familles de loger ensemble - officiellement par manque de place. Pourtant, Hélène Küng constate qu'«il y aurait la possibilité de desserrer les gens, mais pour l'instant, cela ne se fait pas. Il y a des locaux disponibles, qui ne sont pas utilisés pour des raisons pratiques et d'économie».
Crainte pour les familles
Dans sa réponse à la consultation, le Conseil d'Etat vaudois se montre lui aussi préoccupé par le sort réservé aux familles. S'il se déclare ouvert à l'allongement de la durée de séjour dans les centres, le gouvernement cantonal estime que cette mesure doit s'accompagner d'une amélioration des conditions de vie et d'encadrement. «En particulier, le Conseil d'Etat souhaite rendre l'autorité fédérale attentive au fait qu'une absence de scolarisation des enfants pendant une aussi longue période ne saurait être envisagée», souligne-t-il. L'accès à une assistance juridique s'avère également problématique. A Vallorbe, il n'est guère facile de trouver un avocat. Le SAJE y tient une permanence, mais l'équipe - deux employées à temps partiels et huit bénévoles - est déjà surchargée. Avec l'augmentation du nombre de décisions rendues pendant le séjour au centre, Chantal Varrin, directrice du SAJE, s'attend à un accroissement proportionnel des consultations. I
Dans les centres d'enregistrement comme Vallorbe, l'encadrement se résume au volet sécuritaire.
Sur ce sujet lire le texte complet de la prise de position du SAJE
Les «baraquements de la honte» n'hébergeront plus de requérants
Voici un article de Didier Estoppey dans le Courrier
GENEVE-L'Hospice général a définitivement fermé l'ancien camp militaire de la Voie des Traz, dont les occupants ont été transférés dans un centre pour requérants à Loëx.
L'indignité de l'accueil des requérants d'asile recule de quelques pas à Genève. L'Hospice général vient de remettre définitivement à l'Etat les clés de l'ancien camp militaire de la Voie des Traz. Ces baraquements situés près de l'aéroport ont régulièrement défrayé la chronique depuis que le canton a décidé d'y loger des requérants, en 2002. Fermés en 2003, ils avaient été rouverts l'année suivante pour servir de structure d'urgence destinée aux NEM, ces requérants frappés de non-entrée en matière privés de tout droit ou presque depuis que la Confédération a durci sa politique à leur encontre, en avril 2004. En janvier dernier, les occupants des baraques avaient dû être relogés en urgence durant les grands froids, qui avaient provoqué le gel des canalisations. Mais ils avaient dû regagner la Voie des Traz en mai, dès les beaux jours revenus.
Cette fois, la fermeture de ce que les milieux de défense du droit d'asile ont régulièrement dénoncé comme les «baraquements de la honte» est définitive, assure l'Hospice général. Les requérants, au nombre de cinquante-trois, tous célibataires, ont été transférés la semaine dernière à Lagnon, un centre pour requérants d'asile situé derrière l'hôpital de Loëx. Occupé jusque tout récemment par des requérants non frappés de non-entrée en matière, le bâtiment a pu être libéré vu la baisse des demandes d'asile. Des travaux de réaménagement doivent encore être effectués au rez-de-chaussée, qui pourra à terme accueillir quelques familles. La capacité du centre sera alors de cent trente-cinq places, contre nonante actuellement.
Les séjours s'allongent
Dans des conditions qui restent «spartiates», de l'aveu même de l'Hospice général: «Nous devons appliquer la politique de la Confédération, dont la volonté est d'offrir à ces requérants des conditions d'accueil les dissuadant de rester, souligne Anne Nouspikel, chargée de communication pour l'aide aux requérants d'asile. Mais c'est vrai aussi que, dans les faits, les séjours s'allongent et que la grande majorité des requérants placés dans des structures pour NEM y vivent depuis plusieurs mois. Il fallait donc trouver un compromis.»
Parmi ces mesures «dissuasives», l'Hospice général cite aussi l'éloignement du centre-ville. Mais les requérants pourront désormais bénéficier d'un abonnement TPG, alors qu'ils devaient auparavant justifier chaque déplacement pour obtenir un ticket de bus. Pour le reste, les modalités de l'assistance minimale offerte à Genève restent inchangées: plateaux repas la semaine, et deux bons de 15 francs pour le week-end.
Du côté de la Coordination asile.ge, on se félicite évidemment de ce déménagement, tout en considérant qu'il ne change rien sur le fond. La «précarité extrême» imposée à ces requérants «ne manque pas de conduire à des effets pervers: délinquance de survie, alcoolisme, dépression et autres», dénonce un communiqué de la coordination.
Recours déposé au TA
Une précarité qui fait d'ailleurs l'objet d'un recours que vient de déposer au Tribunal administratif l'avocat Pierre Bayenet. Estimant que l'assistance minimale offerte à Genève n'est pas conforme à la Constitution fédérale, l'avocat fonde une part de son argumentation sur les conditions qui prévalaient à la Voie des Traz, qui ne sont plus d'actualité. «Mais pour l'essentiel, mon raisonnement vise à contester la légalité d'un traitement différencié entre ces requérants et les autres personnes sans moyens de subsistance qui recourent à l'assistance publique, explique Pierre Bayenet. Le décret adopté par le Conseil d'Etat n'offre à mes yeux pas une base légale suffisante à une telle discrimination.» Un début de réponse devrait tomber bientôt, puisque le TA a été saisi d'une demande de mesures provisionnelles sur lesquelles il s'apprête à statuer. I
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