vendredi 6 novembre 2009

Les Eglises au secours des minarets

Les Eglises au secours des minarets

Paru le Vendredi 06 Novembre 2009
CHRISTIANE IMSAND

SuisseLes représentants des confessions catholique, protestante et israélite combattent l'initiative anti-minarets. Par contre, certains chrétiens évangéliques la soutiennent. Les Eglises au secours des minarets
Les différentes Eglises et con-fessions de Suisse partagent des intérêts communs, qu'elles défendent au sein du Conseil suisse des religions. Fondé en 2006, ce cénacle rassemble des personnalités dirigeantes chrétiennes, juives et musulmanes. Il a adopté sa première position politique commune en se prononçant contre l'initiative antiminarets. Pour lui, la liberté religieuse est un droit fondamental et la construction de bâtiments destinés à la pratique cultuelle de chaque religion en fait partie intégrante. Il estime par ailleurs que l'initiative ne fait qu'alimenter des tensions sans résoudre le moindre problème. Pour le professeur Jörg Stolz, directeur de l'Observatoire des religions à l'Université de Lausanne, cette position n'a rien de surprenant. «Les catholiques et les protestants mettent aujourd'hui l'accent sur le dialogue interreligieux. Cela les conduit d'une façon très naturelle à combattre une initiative qui va à l'encontre de leurs convictions. Face aux autorités, ils cherchent par ailleurs à parler d'une seule voix, d'entente avec les autres religions monothéistes. Il ne faut pas oublier que ce sont des Eglises qui perdent du terrain. L'unité est nécessaire au maintien de leur influence.»


Les musulmans parlent

Seuls les évangéliques se sont exclus de cette communauté d'action. Une partie d'entre eux soutient l'initiative aux côtés de l'Union démocratique fédérale et de l'UDC. «Contrairement aux autres Églises chrétiennes qui ont perdu leur zèle missionnaire, les évangéliques n'admettent pas le relativisme religieux, note Jörg Stolz. Persuadés de détenir la seule vérité, ils ne veulent pas seulement dialoguer mais convertir. Paradoxalement, ils sont pourtant beaucoup plus proches des musulmans que ne le sont les catholiques et les protestants. Ils ont par exemple des positions similaires en matière de morale sexuelle.»
La tolérance des principales Eglises chrétiennes ne se heurte pas au mur d'un islam intransigeant. «La situation suisse n'a rien à voir avec ce qui se passe dans d'autres pays, souligne le professeur Stolz. Les communautés musulmanes de Suisse sont très ouvertes au dialogue interreligieux. Celui-ci est facilité par la neutralité bienveillante des autorités dans les affaires confessionnelles. L'affaire des foulards, par exemple, a été traitée de manière beaucoup plus pragmatique qu'en France».


Pas de charia en Suisse

Les musulmans se sont tenus en retrait pendant la campagne, ne voulant pas répondre aux provocations des initiants. La Coordination des organisations islamiques en Suisse (COIS) et la Fédération des organisations islamiques en Suisse ont tenu hier à Berne la seule conférence de presse nationale consacrée à l'initiative.
Pour le professeur Farhad Afshar, président de la COIS et membre du Conseil suisse des religions, «aucun parti politique n'a la légitimité de décider au nom d'une communauté religieuse ce qui est nécessaire à sa pratique». Hisham Maizar, président de la Fédération des organisations islamiques a martelé que ses coreligionnaires «respectent tous les processus démocratiques de la Suisse». En outre, il n'y aurait aucune volonté de leur part d'introduire des éléments du droit islamique (la charia) dans le système juridique. «Jamais nous n'avons demandé de changer quoi que ce soit dans le droit suisse», a déclaré Maizar.
Ce sont plutôt les initiants qui veulent changer le droit, a poursuivi Adel Mejri, représentant de l'Union des musulmans genevois, qui déplore une islamophobie de plus en plus décomplexée. «Ce climat n'incite pas à l'intégration, il favorise au contraire le repli des communautés sur elles-mêmes.»
La réponse des musulmans est le dialogue. Samedi, plus d'une centaine de mosquées et autres lieux de prières seront ouverts au public. I



article

New York aussi s'y intéresse

CHRISTIANE IMSAND

Hier, le site internet du Wall Street Journal a publié un article sur l'initiative visant à interdire la construction de minarets, soumise au vote le 29 novembre. «Le débat intervient dans un pays qui s'est toujours enorgueilli de laisser une large place à sa population immigrante et qui a, en grande partie, su éviter les clashs à propos des droits des musulmans observés ailleurs en Europe», écrit le quotidien.
Et de titrer: «Business is worried» (le monde des affaires est inquiet). Citant quelques grandes entreprises suisses fortement implantées dans le monde musulman, le WSJ ne laisse planer aucune ambiguïté sur le point de vue de l'économie. «La marque «Swiss» doit continuer à représenter des valeurs comme l'ouverture, le pluralisme et la liberté de religion», insiste Hanspeter Rentsch, membre du comité exécutif de Swatch Group.
D'autres sont plus discrets. A l'image de Nestlé, qui possède une cinquantaine d'usines et dégage un chiffre d'affaires de 5,5 milliards de francs dans les pays musulmans. Le géant de l'alimentaire s'est pourtant refusé à tout commentaire sur le vote, relève le WSJ. Il n'empêche, la crainte d'un boycott, comme celui qui frappa le Danemark en 2005 après l'affaire des caricatures de Mahomet, continue de planer. Le message délivré par economiesuisse en début de semaine est visiblement passé: 7% des exportations suisses (soit 14,5 milliards de francs) vont à des pays musulmans.
Ce n'est pas la première fois qu'une controverse identitaire suisse suscite l'intérêt de la presse anglo-saxonne. Il y a peu, International Herald Tribune s'était penché sur le cas du rappeur Stress, qui aime attaquer Christoph Blocher lors de ses concerts.

Les minarets et les peurs qu’ils cachent

Les conseillers nationaux Oskar Freysinger (UDC/VS) et Martine Brunschwig Graf (PLR/GE) se sont affrontés sur l’initiative contre les minarets lors d’un débat organisé mercredi soir à Genève par la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA).
D’un côté, la crainte de voir se développer sous le couvert de la tolérance religieuse des pratiques incompatibles avec les conceptions juridiques et sociales qui sous-tendent les démocraties occidentales. De l’autre, la confiance dans la capacité de l’Etat de droit à accueillir des pratiques religieuses en leur fixant des limites claires lors qu’elles sortent du cadre admissible. Les conseillers nationaux Oskar Freysinger (UDC/VS) et Martine Brunschwig Graf (PLR/GE) se sont affrontés sur l’initiative contre les minarets lors d’un débat organisé mercredi soir à Genève par la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et animé par Sylvie Arsever, responsable de la rubrique «dossiers» à la rédaction du Temps.

«Une tête de pont»

Aux yeux d’Oskar Freysinger, l’initiative doit être acceptée pour tenter d’enrayer un vaste mouvement qui affecte d’ailleurs l’Europe tout entière, et dont l’édification constitue, pour reprendre ses termes militaires, «une tête de pont». En substance, l’islam, pour l’UDC valaisan, n’a pas entrepris encore les ajustements nécessaires à sa coexistence harmonieuse dans un Etat de droit moderne, démocratique et laïc. Ses dogmes et ses règles ont pour les fidèles une portée juridiquement obligatoire, soutient-il, incompatible avec la séparation instaurée par les démocraties entre la loi étatique et les commandements religieux.

La peur de l’islam

Mais quel rapport avec le minaret, s’est interrogée Martine Brunschwig Graf? Le cœur du débat n’est pas le minaret, mais la peur qu’inspire l’islam aux partisans de l’initiative, qui, prédit-elle, n’auront pas moins peur demain si le texte est accepté le 29 novembre. Il faut faire confiance à l’Etat de droit et à ses institutions pour apporter des réponses adéquates aux problèmes au fur et à mesure qu’ils se posent. Et la Genevoise de faire allusion aux décisions qu’elle a elle-même dû prendre quand elle était au Conseil d’Etat, en obligeant une enseignante de l’école publique obligatoire à retirer son foulard devant sa classe – contrainte jugée légitime par la Cour européenne des droits de l’homme –, et en se séparant d’un autre enseignant, Hani Ramadan.


ILS REPOSITIONNENT LE MINARET

6 novembre 2009 - JEAN-YVES GABBUD DANS LE NOUVELLISTE
VOTATIONS FÉDÉRALESLa gauche valaisanne combat l'initiative de l'UDC. Elle amène sur le devant de la scène Grégoire Sommer, un spécialiste des religions régulièrement cité par... Oskar Freysinger.

«L'UDC cherche non à comprendre l'impact réel du minaret sur les communautés musulmanes en Suisse, mais à mettre en opposition le monde occidental chrétien au monde musulman», déclare Grégoire Sommer.
Ce spécialiste des religions est souvent cité par le conseiller national UDC Oskar Freysinger dans le cadre des débats entourant l'initiative visant à interdire la construction des minarets en Suisse... alors qu'il s'oppose à cette initiative.
Le symbole du minaret
Grégoire Sommer s'est exprimé hier, à la Maison socialiste de Sion, lors d'une conférence de presse organisée par la gauche valaisanne.
Il a expliqué que le minaret a servi aux sunnites pour marquer leur territoire en Turquie dans le cadre de la lutte d'influence qui les oppose aux chiites. «Le minaret peut donc apparaître comme un symbole du pouvoir sunnite et être de ce fait instrumentalisé dans un conflit qui dépasse largement la question des musulmans en Suisse.» C'est sur cet aspect que repose une bonne partie de l'argumentation de l'UDC pour refuser l'érection de minarets en Suisse. Mais, déclare Grégoire Sommer «l'erreur de l'UDC consiste à présenter le minaret comme le symbole de la conquête musulmane en Europe». En fait, tous les musulmans ne voient pas d'un bon oeil les minarets. Ainsi les salafistes, les plus radicaux des musulmans, selon Grégoire Sommer, les rejettent «au nom de la pureté de la tradition».
Amalgames dénoncés
L'intellectuel déclare encore que l'UDC, «en confondant tout à la fois islam politique, néofondamentalisme et terrorisme, a en réalité pour objectif de rendre le débat non seulement virulent et passionnel, mais aussi approximatif et hystérique. En prônant le combat contre l'islamisme, promu comme la dernière des idéologies en date qui menacent les valeurs de l'Occident, l'UDC montre bien son impuissance, ou sa volonté, à apporter des réponses claires à des problèmes précis et complexes.»
La protection du droit suisse
Aux côtés du spécialiste des religion, socialistes, chrétiens-sociaux, les Verts et le mouvement Entremont Autrement ont tous affirmé hier haut et fort leur opposition à l'initiative UDC.
Pour le Vert Régis Chanton, avocat-notaire, le droit des constructions suisse est «une garantie suffisante pour empêcher toute édification extravagante, disproportionnée ou trop voyante d'un ou d'éventuels minarets dans nos villes et villages». Selon lui, aucun dérapage n'est à craindre de ce côté-là.
Une interdiction qui ne serait pas comprise
La chrétienne-sociale Denyse Betchov rappelle «qu'aucune démocratie au monde n'interdit le minaret, ce symbole architectural qui ne sert qu'à désigner un lieu de culte.» Pour elle, «aux yeux du monde extérieur, une telle interdiction serait incompréhensible, et en parfaite contradiction avec la réputation que la Suisse s'est faite au sein de la communauté internationale».
Aux yeux de Mathieu Bessero, membre d'Entremont Autrement, l'initiative des démocrates du centre comporte un risque important, celui de stigmatiser les musulmans et «ce sont justement dans les populations stigmatisées que naissent les révolutions et la violence».
«Non à la guerre des religions»
Le président du Parti socialiste valaisan, Jean-Henri Dumont, estime que l'initiative qui sera soumise au peuple suisse le 29 novembre prochain «met en péril la paix religieuse et nuit à l'intégration». Pour le député sédunois, «il n'y a pas de problème avec les musulmans en Suisse. L'UDC agite des leurres pour caresser son électorat dans le sens du poil, alors que ce parti est incapable de traiter les vrais problèmes de notre canton et de ce pays, comme l'emploi, le pouvoir d'achat, les primes des caisses-maladie ou l'intégration.»

LES EGLISES ACCEPTENT LES MINARETS

LU DANS LE NOUVELLISTE

6 novembre 2009 - CHRISTIANE IMSAND

VOTATIONLes représentants des confessions catholique, protestante et israélite combattent l'initiative antiminarets. Elles invoquent la liberté religieuse et privilégient l'intégration.

Pour le Conseil suisse des religions, la liberté religieuse est un droit fondamental.  MICHALE CONSTANTINI/KEYSTONE



Les différentes Eglises et confessions de Suisse partagent des intérêts communs. Elles les défendent au sein du Conseil suisse des religions. Fondé en 2006, ce cénacle rassemble des personnalités dirigeantes chrétiennes, juives et musulmanes. Il a adopté sa première position politique commune en se prononçant contre l'initiative antiminarets. Pour lui, la liberté religieuse est un droit fondamental et la construction de bâtiments destinés à la pratique culturelle de chaque religion en fait partie intégrante. Il estime par ailleurs que l'initiative ne fait qu'alimenter des tensions sans résoudre le moindre problème.
Pour le professeur Jörg Stolz, directeur de l'Observatoire des religions à l'Université de Lausanne, cette position n'a rien de surprenant. «Les catholiques et les protestants mettent aujourd'hui l'accent sur le dialogue interreligieux. Cela les conduit d'une façon très naturelle à combattre une initiative qui va à l'encontre de leurs convictions. Face aux autorités, ils cherchent par ailleurs à parler d'une seule voix, d'entente avec les autres religions monothéistes. Il ne faut pas oublier que ce sont des Eglises qui perdent du terrain. L'unité est nécessaire au maintien de leur influence.»
Seuls les évangéliques se sont exclus de cette communauté d'action. Une partie d'entre eux soutient l'initiative aux côtés de l'Union démocratique fédérale et de l'UDC. «Contrairement aux autres Eglises chrétiennes qui ont perdu leur zèle missionnaire, les évangéliques n'admettent pas le relativisme religieux», note Jörg Stolz. «Persuadés de détenir la seule vérité, ils ne veulent pas seulement dialoguer mais convertir. Paradoxalement, ils sont pourtant beaucoup plus proches des musulmans que ne le sont les catholiques et les protestants. Ils ont par exemple des positions similaires en matière de morale sexuelle.»
La Suisse: une situation à part
La tolérance des principales Eglises chrétiennes ne se heurte pas au mur d'un islam intransigeant. «La situation suisse n'a rien à voir avec ce qui se passe dans d'autres pays», souligne le professeur Stolz. «Les communautés musulmanes de Suisse sont très ouvertes au dialogue interreligieux. Celui-ci est facilité par la neutralité bienveillante des autorités dans les affaires confessionnelles. L'affaire des foulards, par exemple, a été traitée de manière beaucoup plus pragmatique qu'en France.»
Les musulmans se sont tenus en retrait pendant la campagne, ne voulant pas répondre aux provocations des initiants. La Coordination des organisations islamiques en Suisse (COIS) et la Fédération des organisations islamiques en Suisse ont tenu hier à Berne la seule conférence de presse nationale consacrée à l'initiative. Pour le professeur Farhad Afshar, président de la COIS et membre du Conseil suisse des religions, «aucun parti politique n'a la légitimité de décider au nom d'une communauté religieuse ce qui est nécessaire à sa pratique». Le Genevois Adel Mejri déplore pour sa part une islamophobie de plus en plus décomplexée. «Ce climat n'incite pas à l'intégration, il favorise au contraire le repli des communautés sur elles-mêmes.» La réponse des musulmans est le dialogue. Samedi, plus d'une centaine de mosquées et autres lieux de prières seront ouverts au public.

L’Europe se cherche en s’opposant à l’islam

Lu dans zaman.tr (un site turc)

Co-auteur des Minarets de la discorde, Patrick Haenni est sociologue et politologue, spécialiste du monde musulman. A travers le débat contre les minarets en Suisse, il analyse l’opposition croissante à l’islam dans une Europe qui, selon lui, cherche en réalité à dépasser ses propres crises. Pour Haenni, l’opposition virulente aux minarets est, en outre, une autre forme de fondamentalisme.







Pourquoi un tel débat en Suisse visant à interdire la construction de minarets ?

Il y a avant tout une spécificité suisse qui fait que ça passe par un vote populaire. On constate dans cette affaire une nouvelle focalisation – qui elle, n’est pas seulement suisse mais se situe à l’échelle européenne – sur les enjeux symboliques ayant trait à l’islam. Les minarets ne sont pas un enjeu social. Il y a actuellement deux projets de construction. C’est de l’ordre du marginal, mais c’est de l’ordre du symbolique ; exactement comme la question de la burqa en France où l’on avait recensé quelques centaines de cas. On avait en vérité là un débat lié à la banlieue et à la marginalisation qui n’a aucun rapport avec l’islam. Le nouveau front de confrontation qui est en train de s’ouvrir en Europe, des deux côtés d’ailleurs, représente des enjeux qui sont complètement déconnectés des sociétés réelles. C’est le même problème pour l’affaire de la burqa, des minarets ou des caricatures.

Les vrais enjeux sont identitaires et non religieux ?

Il y a avant tout des enjeux strictement électoralistes de la part des partis politiques. Mais plus profondément, il y a effectivement une vraie question identitaire, qui traverse l’ensemble de l’Europe aujourd’hui. L’Europe est-elle chrétienne, est-elle laïque ? En quels termes elle se définit ? Ce nouveau foyer de tensions autour de la référence à l’islam fonctionne également comme miroir identitaire pour une Europe qui vit une période de remise en question.

L’image négative serait donc surtout liée à la recherche d’une identité européenne ?

Exactement. C’est lié au processus de construction européenne. Ce qui est le plus frappant dans les débats autour des minarets en Suisse, c’est l’absence totale des musulmans. On a certes invité Tariq Ramadan à Angle de débat, mais globalement les pour et les contre se situent surtout dans le champ politique suisse. Les débats qui sont posés autour des minarets, dont dépendent la question de la tolérance, la question de la place du religieux dans l’espace public, de la gestion des minorités, de la nature de l’islam aussi, sont des débats sans suite. Un peu comme la question de la burqa en France, qui n’est débattue quasiment qu’entre Français.

On ne demande pas l’avis des musulmans ?

La commission Stasi a montré le peu d’importance qu’on accorde à l’avis des musulmans. Mais ce que je voulais dire, c’est que c’est un débat qui ne concerne pas directement les musulmans, mais qui touche plutôt à la définition des identités politiques européennes aujourd’hui. Derrière les débats sur la burqa en France et les minarets en Suisse, il y a la question de la définition de l’espace public. Peut-il y avoir du religieux ?

C’est de cela dont parle le livre Les minarets de la discorde, auquel vous avez participez ?

L’objectif du livre était de faire œuvre de salubrité intellectuelle dans un débat sur le projet d’inscrire dans la Constitution l’interdiction de la construction de minarets en Suisse. Le débat dure depuis environ un an, avec des positions assez radicales, principalement exprimées par la droite nationaliste. Ce qu’on voulait faire, c’est apporter une contribution de chercheurs et d’académiciens à un sujet souvent posé avec des termes radicaux. On a essayé d’apporter un regard dépassionné à ce débat.

L’islam pâtit des difficultés de l’Europe à se définir ?

C’est plus que ça. L’islam, en tant que figure d’altérité sert précisément à définir l’identité d’un groupe. Là, je pense que très clairement l’islam a une fonction de miroir dans lequel l’occident se regarde pour gérer ses propres crises. Etant donné le processus d’immigration, qui fait qu’on parle en Europe beaucoup plus d’islam qu’aux Etats-Unis, l’islam est l’altérité en quelque sorte la plus visible. Il y a aussi l’instrumentalisation politique qui a contribué à faire de l’islam un miroir identitaire.

Pourquoi ?

L’Europe et les autres pays des environs sont dans une phase de remise en cause. On peut citer la question du statut des Etats-nations dans la définition des identités politiques, la construction européenne, mais aussi, au niveau plus local, la crise des sociétés et du lien social. Les poches de crise comme les banlieues montrent que l’Etat-nation est à la fois sapé par le haut, avec la globalisation que par le bas, notamment dans les endroits considérés comme des zones de non-contrôle étatique.

Les musulmans ne sont-ils pas les principales victimes de cette stigmatisation ?

Je pense que les plus grands perdants dans cette histoire là sont principalement les musulmans, surtout sur des sujets comme les minarets ou la burqa, qui ne fait par exemple même pas consensus chez les musulmans eux-mêmes. Il y a une grande différence entre la burqa et le hijab. Avec cette dernière, on ne se coupe pas de la communauté française, alors que c’est le cas avec la burqa.

D’autant que l’opinion publique française a du mal à concevoir qu’on puisse être aussi bien contre la burqa que contre une loi qui l’interdirait…

Absolument. Ce genre d’initiative pousse à la radicalisation des opinions et empêche la diversité des approches. On peut très bien être musulman conservateur et avoir de sérieuses réticences par rapport à la burqa. La critique de la loi est indépendante de la position de chacun par rapport à la burqa. La question est : est-ce qu’il faut une loi pour légiférer sur une pratique religieuse et vestimentaire dans l’espace public ? Et on peut très bien être contre la burqa, mais aussi contre l’interventionnisme de l’Etat.

Quelle est votre position personnelle à propos de l’interdiction des minarets ? Vous êtes contre ?

Evidement. J’analyse personnellement une approche fondamentaliste du religieux, y compris de la part de ceux qui s’y opposent. L’UDC, l’Union démocratique du centre, qui est le parti qui a fait campagne autour de l’interdiction des minarets, prétend qu’ils ne sont pas contre la pratique religieuse, puisqu’ils ne sont pas contre les mosquées. Ils disent que les minarets ne relèvent pas de l’application canonique de l’islam. Ce qui est vrai, mais une religion ce n’est pas uniquement un dogme. C’est aussi une tradition culturelle et historique. Il y a une espèce de convergence de visions entre l’attaque de l’islam, sur une base idéologique, et la position fondamentaliste musulmane, représentée par le courant salafiste qui veut aussi lutter contre l’histoire et la culture. Du coup, en Suisse, les musulmans radicaux se sont peu mobilisés pour les minarets car pour eux l’absence de minarets n’est pas un problème. Ils ne relèvent pas de l’ordre du sacré. Pour eux, c’est une invention de l’histoire et non quelque chose de directement islamique. Les opposants aux minarets vont finalement dans le même sens. La plupart des musulmans sont ainsi pris en otage par un débat qui leur est imposé.

Cette opposition à l’islam n’est-elle pas plus active ces dernières années ?

Il y a un regain de vitalité et une nouvelle fixation sur la question de l’islam. C’est le cheval de bataille de l’UDC depuis quelques temps. Alors qu’avant, sa mobilisation se faisait surtout contre les immigrés ou la naturalisation, d’où une confusion constante dans le discours de cette droite là entre l’image du musulman fondamentaliste et celle du dealer.

Les mosquées ouvrent leurs portes aux Suisses

Les musulmans de Suisse se mobilisent pour répondre au vent d’opposition à l’islam suscité par la campagne contre les minarets. Le 29 novembre prochain, les Suisses seront appelés à voter pour ou contre l’initiative populaire* voulant interdire la construction de nouveaux minarets en Suisse. Emanant de la droite conservatrice, UDC en tête, elle est présentée comme un moyen de lutte contre « l'islamisation rampante » de la Suisse. Pour autant, les promoteurs de l’initiative se défendent de porter atteinte à la liberté de culte : ils se disent opposés non aux mosquées, mais au minaret même, qui est « très clairement le symbole d'un islam politique qui essaie gentiment de prendre sa place en Europe et en Suisse », comme l’explique Oskar Freysinger, député UDC. Dans le cadre de la semaine des religions, plus d'une centaine de mosquées organiseront une journée portes ouvertes ce samedi 7 novembre. A quelques trois semaines de la votation fédérale sur l'initiative anti-minarets, l’aspect politique ne saurait être absent : « Nous espérons que ces rencontres permettront de construire un dialogue et d'améliorer la compréhension », déclare Hisham Maizar, président de la Fédération faîtière des communautés musulmanes de Suisse orientale. La communauté musulmane, qui représente 5 % de la société suisse, revendique les mêmes droits, « ni plus ni moins », que les autres citoyens du pays. Le Comité des Droits de l'Homme de l'ONU s’est déclaré, de son côté, inquiet face à l’initiative populaire visant à interdire la construction de minarets et à « la campagne d'affiches discriminatoire » qui l'accompagne. La Confédération helvétique a été exhortée à « assurer activement le respect de la liberté de culte et combattre fermement les incitations à la discrimination, à l'hostilité et à la violence ». Le gouvernement, comme les deux chambres du Parlement, avaient déjà appelé au rejet du texte de cette initiative au nom des principes d’égalité et de liberté de culte. Cependant une telle consultation populaire est légale, et ne saurait par là même être interdite. Par ailleurs, dans un communiqué commun, les deux plus importantes organisations représentant la communauté juive de Suisse se déclarent « résolument » opposées à l’interdiction des minarets.

* En Suisse, l'Initiative populaire est une procédure par laquelle un groupe de citoyens peut obtenir par pétition l'organisation d'un vote au parlement ou un référendum sur un projet de loi, une révision constitutionnelle, une demande d'abrogation ou de création d'une loi.

Minarets: un «comité jeune» contre l'initiative

Vu sur le site de la Tsr

L'affiche de la campagne souligne l'omniprésence des symboles religieux. [TSR]
Un comité de jeunes Romands issus de plusieurs partis de droite et de gauche a lancé jeudi une campagne contre l'initiative anti-minarets, selon une information de la TSR. Les quelque 70 adhérents dénoncent une atteinte à la liberté religieuse et une «humiliation» à l'encontre des musulmans.

Le comité Liberté religieuse, bien que lancé par des membres romands de partis politiques – PLR, PDC, PS et Verts - se veut «non partisan». Il entend répondre à la «campagne virulente» de l'UDC contre la construction de minarets en Suisse, une campagne qui «cherche à résoudre un problème qui n'existe pas», comme l'a expliqué le jeune PLR valaisan Philippe Nantermod à tsrinfo.ch.

Les «délires» de l'UDC

Sous le slogan «Stop aux délires», le comité dénonce la «paranoïa» de l'UDC face à une communauté religieuse qui «ne pose pas de problème en Suisse». Pour Philippe Nantermod, les initiants utilisent des «arguments faux» et s'appuient sur des phénomènes observés à l'étranger – comme les violences dans les banlieues françaises – qui n'existent pas en Suisse.

Le jeune Valaisan estime que la Suisse a actuellement de «réels problèmes à régler», comme la crise économique ou le différend avec la Libye, et qu'en matière de violence, elle ferait mieux de s'occuper du hooliganisme qui sévit autour des rencontres sportives.

Liberté religieuse

Egalement membre du comité, le PDC genevois Guillaume Barazzone insiste sur l'importance de la liberté religieuse en Suisse. «La religion est une affaire privée, l'Etat ne doit pas intervenir sur cette question. Il doit au contraire garantir à chaque religion de disposer de lieux de culte, pour les musulmans comme pour toutes les religions», explique le député genevois.

La campagne s'appuie sur une affiche où figurent d'imposants monuments catholiques, comme Notre-Dame de Paris ou la statue du Christ Rédempteur à Rio de Janeiro. Pour Guillaume Barazzone, c'est une manière de montrer que «nous vivons au milieu de symboles religieux depuis des siècles et que personne ne s'est jamais élevé contre leur présence».

Sébastien Bourquin