jeudi 12 novembre 2009

Le 5eme minaret

Le minaret Suchard

C'est le minaret oublié, car il n'a rien de religieux. Le minaret de Serrières (NE) est pourtant exceptionnel: il est le plus vieux de Suisse et il a été construit par le chocolatier Suchard.

Renaud Michiels - le 12 novembre 2009, 21h36
Le Matin

30 commentaires

En Suisse, il y a quatre minarets, n'arrête-t-on pas de marteler durant cette campagne sur les minarets. Faux. Il y en a cinq. Le minaret oublié, le minaret secret, est à Serrières, à deux pas de Neuchâtel. Il a au moins trois particularités. C'est le plus vieux de Suisse. Il n'a rien de religieux. Et, surtout, cet édifice symbole de l'islam a été voulu et construit par un symbole de la Suisse: le célèbre chocolatier Philippe Suchard. «C'est poilant, non?» rigole Laurent Nebel, le propriétaire de la bâtisse.

La votation, il ne veut pas s'en mêler. «Quoi qu'il se passe, personne ne pourra raser mon minaret, esquive-t-il en souriant. Il est inscrit au patrimoine depuis 1997.» Mais, si cet employé de Swisscom de 57 ans ne veut pas se mêler de politique, il est intarissable sur l'histoire rocambolesque de son minaret.

Que voici résumée. Grand voyageur, Suchard tombe sous le charme de l'Orient et décide de construire un minaret chez lui, à Serrières. «C'est l'explication la plus plausible, note Laurent Nebel. D'autant qu'il y avait alors une vraie mode orientaliste. Le grand industriel a probablement simplement voulu être dans le vent et épater la galerie...»

Jolie annexe à la maison familiale des Suchard, le minaret voit le jour en 1865. «On retrouve des inspirations perse, ottomane, mais ce n'est pas une copie d'un style précis. Plutôt une fantaisie orientaliste avec des airs des «Mille et une nuits.»

Aspect originel
Le minaret passe quelques générations de Suchard, puis est vendu. Dans les années 1940, il est à deux doigts d'être détruit. Il servira ensuite de cuisine pour des ouvriers saisonniers. Avec la maison, il revient dans les mains d'une société immobilière, qui fait faillite en 1995. Laurent Nebel saute sur l'occasion et achète la maison avec son aile orientale. «Etudiant, je passais tous les jours devant, se souvient-il. Et j'adorais cette parcelle d'Orient. Cette parcelle de rêve.»

Le rêve lui appartient, mais il est en piteux état. Le temps de remuer ciel et terre, et Laurent Nebel obtient des fonds pour sa rénovation: 75 000 francs du canton, autant de la Confédération. Alors que certains songent à bannir tous les minarets de Suisse, l'Etat a payé pour en rénover un! «C'est poilant», répète l'heureux propriétaire. La rénovation est terminée en 2005. Le minaret retrouve son lustre, ses feuilles d'or, son aspect originel. «J'y tenais, je ne voulais pas que ça devienne Disneyland.»

Pour l'admirer de près, il faut presque passer par le salon du propriétaire, raison pour laquelle les visites sont exceptionnelles. On monte ensuite des escaliers. Puis on parvient sous le dôme. Là, les façades résument l'originalité des lieux. «Trois murs sont orientalistes. Le dernier est protestant et chocolatier: on y voit les armoiries Suchard.» Encore une porte, encore un petit escalier et on se retrouve à l'extérieur, sur les toits, avec vue imprenable sur l'édifice et sur le lac.

De là-haut, le débat pro- ou antiminarets semble bien loin. D'autant que, si le minaret Suchard est au fil du temps devenu «le symbole de Serrières», comme le dit son propriétaire, il ne suscite ni débat ni guerre de religion. «Le pasteur avait même appelé son journal A l'Ombre du Minaret, sourit Laurent Nebel. Il y avait une chronique intitulée «L'écho du muezzin.»

«L’islam, pas plus qu’une autre religion, n’est au-dessus des lois»


INTÉGRATION | Eveline Widmer-Schlumpf dresse un bilan positif de la situation des musulmans dans notre pays.

Eveline Widmer-Schlumpf
© ODILE MEYLAN | La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf combat avec conviction l’initiative antiminarets: «Plus de 300 000 musulmans vivent en Suisse, et ça se passe très bien.»

Romain Clivaz / Berne | 17.10.2009 | 00:02

La raison plutôt que l’émotion. Telle pourrait être la devise d’Eveline Widmer-Schlumpf. A six semaines du scrutin, alors que la polémique autour des affiches antiminarets échauffe les esprits, la conseillère fédérale souhaite mener un débat factuel. «Plus de 300 000 musulmans vivent en Suisse, et ça se passe très bien. Quant aux rares cas problématiques, nos lois permettent de trouver des solutions», martèle la cheffe du Département de justice et police, membre du parti Bourgeois-Démocratique. Interview.

– La Suisse n’est-elle pas en terre chrétienne? Pourquoi devrait-on y tolérer des minarets?
– Bien sûr que nous sommes un pays chrétien. Mais la présence de minarets n’enlève rien à cela. Elle montre simplement qu’il y a aussi des gens chez nous qui pratiquent une autre religion. Ils méritent notre respect.

– Comprenez-vous que des personnes aient peur de l’islam?
– Je comprends certaines peurs. Mais l’interdiction des minarets n’apporte aucune solution. Nous pouvons par exemple interdire les mutilations sexuelles dans la loi. Une proposition dans ce sens est actuellement discutée. Dire, comme le font les initiants, que la présence de minarets annonce une future application de la charia est un très mauvais argument. Notre Etat de droit garantit l’égalité entre les individus, ainsi qu’une justice civile et non religieuse. La loi islamique ne sera jamais appliquée ici car aucune religion n’est au-dessus de nos lois.

– Vous êtes entrée en campagne avant-hier. Où sont vos alliés? Etes-vous isolée, comme lors de la campagne perdue sur l’imprescriptibilité des crimes pédophiles?
– Je sais que, mardi prochain, les partis qui sont opposés à l’initiative font une conférence de presse. C’est une bonne chose, mais ça ne suffit pas. J’attends des partis et des parlementaires qu’ils s’engagent vraiment dans la campagne. Ils ne peuvent pas se contenter de donner leur avis puis de disparaître, abandonnant le champ de bataille politique à un seul camp. Ce serait mauvais pour l’équilibre de nos institutions.

– Selon un sondage, les femmes seraient plus enclines à voter oui. Comprenez-vous cette méfiance?
– Ce résultat est certainement dû au manque d’informations remontant au début de la campagne. Tout a été mélangé: la question de l’égalité homme-femme dans l’islam, les mutilations sexuelles ou, encore, les peurs les plus diverses. Mais plus le temps passe, plus le débat devient rationnel. Les initiants sont allés très loin, m’accusant, par exemple, dans un dépliant, d’être favorable aux mutilations sexuelles. Ce qui a fait réagir une citoyenne à qui j’ai ensuite répondu. Cette dame, trouvant les méthodes et arguments des initiants exagérés, votera certainement non. En démocratie directe, ce qui est excessif devient insignifiant.

– Etes-vous pour des traitements particuliers à l’école en raison de motifs religieux?
– Non. L’éducation physique, la natation ou les activités dans le cadre scolaire doivent être les mêmes pour tout le monde. Musulmans ou pas. Les enseignantes dans les écoles publiques ne doivent pas être voilées. Pour ce qui est des jeunes filles, communes et autorités scolaires doivent décider au cas par cas. Soyons sérieux: l’interdiction des minarets ne va pas obliger les enfants à aller à la piscine.

– Que faire pour faciliter l’intégration d’une communauté religieuse comme les musulmans?
– Mais nous n’intégrons pas spécialement des musulmans, des bouddhistes ou encore des hindouistes. Nous intégrons des gens qui viennent d’autres pays, quelle que soit leur religion. Les cantons sont des acteurs centraux avec la Confédération. Des programmes existent, entre autres, pour expliquer le fonctionnement de notre Etat de droit ou les droits et devoirs des citoyens. Des cours de langue sont aussi proposés.

– Faut-il former des imams à la sauce suisse?
– La réponse à cette question doit être apportée par les établissements universitaires et les cantons. Ces derniers sont garants de la liberté de culte. L’avantage serait de familiariser les imams avec nos règles en matière religieuse et le fonctionnement de nos institutions. Cela pourrait passer par de la formation continue.

– A Rheinfelden (Allemagne), une communauté musulmane souhaite faire l’appel à la prière depuis son minaret. Verra-t-on la même chose en Suisse?
– En l’espèce, aucune autorisation n’a été accordée. A Wangen bei Olten (ndlr: une des quatre localités accueillant actuellement un minaret), l’absence d’appel à la prière est explicitement mentionnée dans le permis de construire. La protection contre les nuisances sonores assure que l’on n’assistera pas à de tels développements ici.

L'Islam en Suisse, une foi qui prend mille visages

Dans la Tdg

RENCONTRE | L’initiative contre la construction de minarets les a placés en pleine lumière: les musulmans de Suisse sont au centre du débat autour de la votation fédérale du 29 novembre prochain.


Serge Gumy | 12.11.2009 | 00:05

L’initiative contre la construction de minarets les a placés en pleine lumière: les musulmans de Suisse sont au centre du débat autour de la votation fédérale du 29 novembre prochain. D’ailleurs, les milieux qui ont lancé le texte – une partie de l’UDC et les évangéliques de l’Union démocratique fédérale – n’en font pas mystère: c’est moins le symbole architectural qu’ils visent que la présence de l’islam en Suisse, pays qu’ils considèrent comme chrétien.

La campagne en cours offre l’occasion de faire plus ample connaissance avec les 400 000 musulmans vivant en Suisse et dont seuls 10% se disent pratiquants. Dans ces pages spéciales, la Tribune de Genève illustre la diversité des fidèles de l’islam en présentant des familles issues des grandes communautés de provenance. Et elle fait réagir des musulmans d’ici au débat sur les minarets, qui, s’il fait partie du paysage à Genève, déclenche des passions ailleurs.

En Suisse, les musulmans ne représentent que 4,3% de la population. Les croyants sont majoritairement catholiques (42%) ou réformés (33%). Contrairement à ce que l’on croit généralement, la communauté musulmane suisse n’est pas issue majoritairement des pays arabes. 57% viennent des Balkans et 20% de la Turquie. «Dans ces communautés, comme l’explique Stéphane Lathion, enseignant à l’Université de Fribourg et président du Groupe de recherche sur l’islam en Suisse, la religion est une question privée. Elles ne ressentent pas le besoin de trop la revendiquer publiquement. Le foulard, par exemple, n’est pas prioritaire pour les musulmanes des Balkans ou de Turquie. Souvent, les femmes le portent parce qu’elles viennent d’un village où cela se fait, sans qu’il faille y voir un message du type «regardez-moi, je suis musulmane». Mais selon lui, ce n’est pas une revendication essentielle».


«Personne ne pense que je suis musulmane»

A Moudon, il est dans tous les papets, dirait-on d’Ufuk Ikitepe (38 ans). Et vaudois, le papet! Au Conseil communal de la petite ville broyarde, ce double national porte les couleurs du Parti radical. Responsable des fournitures scolaires, Ufuk Ikitepe est l’infatigable vice-président du groupe Suisses-Etrangers et le président de l’Association turque de Moudon.

«Je suis très actif socialement», confirme Ufuk Ikitepe, qui reçoit justement dans les locaux acquis en propre par l’association. Au mur, les drapeaux suisse et turc; dans le fond de la salle qui sert de café, une télévision retransmet un match de foot du championnat turc. A l’étage, la salle de prière: la mescid. Les 200 membres de la communauté la fréquentent avec assiduité.

«Cette campagne sur les minarets, si elle ne change pas grand-chose à notre vie, met en avant ces affiches… On les trouve racistes et xénophobes. L’amalgame n’est pas un droit démocratique», glisse Ufuk Ikitepe, avant d’argumenter sur la séparation des pouvoirs dans un discours bien rodé: «Inscrire dans la Constitution suisse un article qui ne concerne que la communauté musulmane serait en contradiction avec la liberté de culte et de conscience.»

Son épouse, Umran Ikitepe (38 ans), avec son français hésitant, préfère passer par son mari pour témoigner. L’affiche, toujours l’affiche… «C’est blessant! Mais avec la burqa, l’image véhiculée est si caricaturale que personne ne pense que je suis musulmane. Il faut croire que je n’entre pas dans les critères», rigole-t-elle. Aussi trouve-t-elle positif que le débat torde le cou à certains lieux communs sur l’islam. Ufuk Ikitepe, en politicien madré, désapprouve cette opinion: «La dynamique est défensive. Les musulmans sont dans la correction d’une image. Ce n’est jamais bon!»

Pour les Ikitepe, «le minaret est un faux débat. Nous ne nous sentons pas concernés. Les constructions relèvent des communes et des cantons. N’avons-nous plus confiance en eux?» questionne Ufuk Ikitepe, en chantre de l’intégration.

Les deux filles, Ozge (14 ans) et Sudenur (8 ans), se sentent, elles aussi, peu touchées. Normal pour ces deux fillettes – doubles nationales de cœur – qui ne se verraient pas vivre ailleurs qu’en Suisse. Et si vos filles épousaient un Suisse chrétien? La discussion vacille, un ange passe…

«On souhaiterait que nos filles épousent un Turc musulman, mais nous devrons malheureusement accepter leur choix», répond Ufuk Ikitepe, pour le coup fébrile. Malheureusement? «C’est une question de foi, c’est un conseil du Coran… Mais vous, vous ne suivez pas tous les préceptes de la Bible à la lettre!» glisse Ufuk Ikitepe, qui reprend pied dans la discussion, les yeux dans les yeux de son aînée.

Xavier Alonso




«La fête de Pâques, c’est la fête de tout le monde»

«Les affiches de la votation me font parfois sourire. Mais je trouve grave d’utiliser de tels symboles pour stigmatiser une communauté qui ne demande qu’a vivre en paix», estime Abdourahmane Faye (40 ans). L’informaticien franco-sénégalais, établi à Lausanne depuis neuf ans, père de trois enfants (de 9, 5 et 1 an), déplore «la peur et l’ignorance» qui fondent cette initiative. Son épouse, Thialal Sylla Faye (35 ans), elle aussi informaticienne, acquiesce.

Pour eux, la religion est source de paix plutôt que de tensions. Il faut dire qu’ils ont grandi au Sénégal, un pays où les monothéismes coexistent pacifiquement. Les musulmans (95% de la population) et les chrétiens (4%) vivent en bonne intelligence. «La fête de Pâques, c’est la fête pour tout le monde, explique Thialal. Dans une même famille, les musulmans invitent les chrétiens à la Fête du sacrifice et nous passons Noël chez les chrétiens.»

Ce qui ne signifie pas que le couple relativise l’importance de la religion. Au contraire, tous deux se disent très croyants et pratiquants. D’abord en raison de leurs racines familiales. Le père d’Abdourahmane était théologien et enseignait, notamment à l’Université d’Al-Aqsa, au Caire. Celui de Thialal, Maodo Sylla, était l’imam de la grande mosquée de Dakar, un personnage célèbre au Sénégal. «Nous avons grandi dans le moule, résume Abdourahmane. Mais comme nous avons fait des études, nous avons acquis une capacité critique et, pour nous, la religion est devenue un vrai choix.»

Chez les Faye, la religion imprègne la vie quotidienne. Elle passe par les prières. «A la maison, car au bureau, ce n’est pas possible.» Elle passe aussi par le respect strict des interdits alimentaires, alcool et viande de porc. «Dommage qu’il soit difficile de trouver des rayons halal dans les magasins.» Enfin, le couple fréquente la mosquée le vendredi. «En tant que minorité, nous ne demandons rien d’autre que la garantie de la liberté de culte», dit Abdourahmane.

Ces deux champions de la tolérance à la sénégalaise s’étonnent qu’un minaret, «simple édifice architectural», tout comme un voile, «simple pièce de tissu», puissent susciter autant de débats, de méfiance et d’a priori. Thialal (qui travaille à 80%) s’étonne que «lorsqu’une femme suisse cesse de travailler à la naissance d’un enfant, on trouve cela normal. Mais quand il s’agit d’une musulmane, on considère qu’elle n’a pas eu le choix.»

Bien sûr que certains extrémistes ne pensent pas comme eux. Mais «l’extrémisme qui consiste à vouloir imposer ses points de vue à l’autre n’est pas lié à la religion, observe Abdourahmane, c’est un comportement psychologique. Et les extrémismes peuvent se répondre et se nourrir les uns les autres.»

Patrick Chuard


«Nos enfants décideront de leur religion»

Elle porte jupe courte, débardeur et queue de cheval. Lui est rasé de près et en polo. En rencontrant Diellza Ismailaj et son mari Alban, on est loin du portrait-robot du musulman barbu et de son épouse voilée. On est à Lausanne, quartier des Faverges. Dans la bibliothèque, une série d’ouvrages de psychologie – Alban Ismailaj est thérapeute – mais pas de Coran.

Ces Albanais du Kosovo nous avaient prévenus: «Cette campagne, les affiches UDC, la religion, tout cela nous concerne d’assez loin, car nous sommes peu pratiquants. Mais venez!» Comédienne au Kosovo, mère au foyer en Suisse, Diellza, 23 ans, ne s’est jamais voilée. Sa mère non plus.

«Même si je suis croyante, je ne suis allée qu’une ou deux fois à la mosquée et j’ai observé quelques fois le ramadan. Au Kosovo, seule une minorité de la population est très pratiquante.» Son mari, 38 ans, n’est pas croyant. «A l’époque du communisme, les gens n’allaient pas à la mosquée, raconte-t-il. Le monde musulman est vaste, ce que ne comprennent pas les partisans de l’initiative. Au Kosovo, il est par exemple interdit d’avoir plusieurs femmes.» Et Alban Ismailaj d’expliquer que les Albanais n’ont pas forgé leur identité sur leur appartenance religieuse, mais sur leur langue.

Alban Ismailaj est arrivé en Suisse en 1991 comme demandeur d’asile. Il possède aujourd’hui les nationalités suisse et kosovare et une formation d’infirmier. Son épouse, à Lausanne depuis trois ans, est titulaire d’un permis B. Même s’ils se considèrent peu touchés par les débats sur l’islam, les Ismailaj seraient «déçus» en cas de plébiscite de l’initiative. «Pour nous, la Suisse est un pays qui garantit les libertés religieuses, explique Diellza. A Lausanne, on trouve un pavillon thaï, la synagogue, des églises chrétiennes. Je ne vois pas pourquoi les musulmans ne pourraient pas construire leur mosquée avec ou sans minaret…»

Se sont-ils déjà sentis discriminés en raison de leur religion? Diellza Ismailaj hésite, puis se lance. «Un temps, on recevait des lettres anonymes d’une voisine… Mais c’est surtout parce qu’on est étrangers, je pense.» Quant à leurs deux enfants (Isuf, 2 ans, et Dora, 8 mois), ils seront élevés dans la laïcité. «Ils décideront eux-mêmes plus tard», dit le papa. «Ils ne seront pas circoncis, ajoute la maman. On continuera à fêter Noël, avec des cadeaux, comme on le fait au Kosovo. Mais on célèbre aussi chaque année une autre fête musulmane qui arrive après le ramadan.»

Martine Clerc


«Avec ou sans minarets, la foi est dans le cœur»

Dans son commerce des Pâquis, à Genève, Djamila a posé un Coran sur la table, au-dessus des journaux. Et derrière le comptoir, un drapeau rouge et vert, installé à côté d’une petite tour Eiffel, rappelle que si elle a la nationalité helvétique, cette coiffeuse est d’origine marocaine. Djamila est arrivée en Suisse à 20 ans. C’était le début des années 80, elle était en vacances. Mais elle est tombée amoureuse d’Amédée.

Amédée Alfred s’est rapidement converti: il s’appelle désormais Ahmed Farid. «A mon mariage, au Maroc, on m’a appris que je pouvais avoir quatre femmes, plaisante le Fribourgeois. A la base, je suis catholique, mais je n’étais plus pratiquant. Et puis j’ai lu le Coran…» Djamila l’admet aussi: elle n’aurait pas pu vivre avec un non-musulman «parce que c’est un péché».

Le couple a un fils de 22 ans, aux cheveux blonds et yeux noisette. «Petit, on me faisait parfois des blagues, mais ça se passait bien, raconte cet ingénieur du son, fan de l’équipe suisse de football. Aujourd’hui, les choses ont changé… Moi, j’ai une tête de Suisse, mais devant certains amis, les portes se ferment.»

C’est par leur fils que Djamila et Ahmed ont redécouvert la religion. Le garçon, qui suivait des cours d’arabe à la mosquée, a fini par demander à sa maman s’il devait lui apprendre à prier… Aux vacances de patates de 2000, la famille est partie en pèlerinage à La Mecque. Djamila est rentrée voilée. «Au début, je craignais l’opinion des clients», raconte son mari. Mais la coiffeuse y tient: «Dieu nous demande de cacher notre chevelure. Je me couperais la tête plutôt que d’enlever mon foulard.»

La famille fréquente la mosquée et respecte le ramadan. L’initiative contre les minarets, elle la perçoit comme une provocation. «Pourquoi ces monuments dérangent-ils? Il n’y a pas d’appel à la prière», soupire Ahmed. Et sa femme: «On peut enlever les minarets, mais la foi, elle, est dans le cœur.» La Suisse, ils la voient comme une terre de tolérance, même si le regard des autres n’est plus le même. «Des personnes ne me disent plus bonjour et on m’a traitée de sale Arabe, raconte Djamila. Ça m’a fait mal… Arabe oui, mais sale, non!»

«Si d’autres font des bêtises, ce n’est pas à nous d’encaisser, poursuit le couple. La religion n’enseigne pas le fanatisme, mais le respect des autres.» Les autres, ce sont aussi ces non-musulmans qui viennent manger à la mosquée le jour de la Fête des voisins. «On sent alors un grand amour, ce serait bien que ce soit toujours ainsi», conclut la coiffeuse.

Caroline Zuercher

Un faux muezzin sème l'émoi à Genève


Un appel à la prière a réveillé les voisins de la mosquée du Petit-Saconnex (GE) samedi dernier. En réalité, l'appel a été diffusé par un groupe d'extrême droite

Mathieu Cupelin - le 11 novembre 2009, 22h45
Le Matin

60 commentaires

«Allah Akhbar». La voix puissante d'un muezzin psalmodiant l'appel à la prière a tiré de leur sommeil certains riverains de la mosquée du Petit-Saconnex, à Genève, samedi dernier vers 7 h. Un réveil qui a fortement surpris, voire agacé, les habitants. Cet appel allait-il se répéter régulièrement à l'avenir? Les questions et les inquiétudes n'ont pas manqué de surgir dans le quartier.

En réalité, la mosquée n'était en rien responsable de ce tumulte matinal. C'est un groupuscule d'extrême droite, appelé les Jeunes identitaires genevois (JIG), qui s'est amusé à créer la confusion dans le cadre de sa campagne en faveur de l'initiative contre les minarets soumise en votation le 29 novembre. Une poignée d'entre eux ont circulé dans le quartier en voiture, diffusant par mégaphone l'enregistrement du chant d'un muezzin. Ils ont choisi samedi dernier, jour des portes ouvertes à la mosquée, pour mener leur opération. Ils ont ensuite posté sur Internet une vidéo de leurs «exploits».

«surprise et choquée»
«Nous voulions montrer qu'en cas de refus de l'initiative nous accepterions de facto que de tels appels retentissent dans quelques années en Suisse. Car les minarets n'ont pas d'autres fonctions que celle-ci», affirme Benjamin Perret, membre des JIG, groupe qui compterait une centaine de sympathisants. Un jeune homme qui semble oublier que cela fait trente ans, depuis sa construction, que le minaret du Petit-Saconnex est silencieux. «C'était une manière de dire stop aux revendications des musulmans», ajoute-t-il.

Dans le voisinage, l'action a suscité un certain émoi. «Ça m'a réveillée, je me suis demandé si j'avais rêvé. J'ai cru que ça venait de la mosquée et j'ai eu peur qu'ils commencent à piailler comme ça tous les matins», indique une habitante du chemin du Champ-d'Anier. «Ça m'a surprise et choquée, j'ai redouté que tout le monde se mette à les détester si ces appels se répétaient», ajoute une voisine. Certains riverains, informés de la journée portes ouvertes, ont pensé que l'appel était lié à cet événement.

Plainte envisagée
Les responsables de la mosquée déplorent vivement «cette action gratuite», selon l'un des imams. «Nous avons été informés le matin même par un voisin qui a vu passer la voiture. Le son était très fort, je pense que le but était d'énerver les gens pour qu'ils boycottent nos portes ouvertes. Nous avons contacté notre avocat et nous n'excluons pas de déposer une plainte. Mais, de manière générale, nous ne souhaitons pas réagir face à de tels comportements», poursuit l'imam. L'homme de religion ne peut que le répéter: il n'a jamais été question de lancer l'appel à la prière depuis le minaret. «Nous distribuons des horaires de prière, les fidèles savent une année à l'avance quand ils doivent venir. Nous n'avons pas besoin d'un muezzin!»

La démonstration intempestive sème la tristesse et l'incompréhension dans la communauté musulmane. Fouzia, une fidèle qui habite le quartier, se dit choquée. «C'est une manière de jeter de l'huile sur le feu et de se moquer de l'islam.»

«Cette provocation malheureuse vise à créer la confusion et les amalgames, réagit Hafid Ouardiri, président de la Fondation de l'Entre-Connaissance. Le mieux est de ne pas y répondre.» Il est rejoint par Ali Benouari, président de l'Association des musulmans pour la laïcité: «Les musulmans ne doivent pas céder à ce piège grossier, il faut qu'ils gardent leur sérénité.»

Responsable de la sécurité de la Ville de Genève, le magistrat Pierre Maudet est consterné par un tel acte. Sur le plan juridique, il doute qu'on puisse agir contre ses auteurs. «Le problème est plutôt politique. J'y vois la démonstration de l'absurdité de l'initiative antiminarets. Ses partisans sont obligés de générer eux-mêmes un problème inexistant, qu'ils entendent néanmoins dénoncer.»


Une mosquée a son minaret, l'autre en aimerait bien un

Dans la Tdg

VOTATION | La mosquée de Genève a son minaret, celle de Lausanne en aimerait bien un. Rencontre.

© GUIRAUD LAURENT | La Fondation culturelle islamique, adjacente à la mosquée. Le Petit-Saconnex accueille l’une des quatre tours de Suisse qui indisposent l’UDC. Pour les habitants, il fait partie du paysage. Voisins et fidèles cohabitent sans heurts.
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Liens en relation avec l'article :

LAURENCE BÉZAGUET | 12.11.2009 | 00:04

Genève

Il est 8 heures et Selmani Makvire, patrouilleuse scolaire, a du boulot dans son fief du Petit-Saconnex. Ce qui ne l’empêche pas de défendre le minaret qui «ne détonne pas» dans le paysage: «Des fois, on sent un peu de tension, mais le bâtiment est plutôt beau. Et puis, il faut être tolérant.» Un passant n’est pas de cet avis. Il estime, sous le couvert de l’anonymat «de peur d’offusquer son employeur», que «ce symbole de domination et d’islamisation rampante dérange».

D’une manière générale, c’est l’acceptation du minaret qui domine dans le quartier. «Je n’ai aucun problème avec cette architecture; il y en a de beaucoup plus vilaines dans notre cité. Elle s’intègre, en outre, parfaitement ici. Certains ne l’avaient d’ailleurs jamais remarquée auparavant!» considère Pierre-Alain Mayaud. Qui se montre, en revanche, un peu agacé des excès liés à la prière du vendredi: «Certains se croient seuls au monde et se garent n’importe où.»

Une critique qui n’est pas prise à la légère par l’imam de la mosquée, Youssef Ibram: «Le tiers de nos fidèles viennent de France voisine et il n’est vraiment pas aisé de se garer près de chez nous. D’une manière générale, nous faisons tout pour éviter aux voisins les nuisances.»

Concernant la fronde antiminarets, tant l’imam qu’Idris Fontaine, un fidèle, admettent que ces tours ne font effectivement pas partie des piliers de la foi islamique. Mais «le clocher des églises n’appartient pas davantage aux fondements de la chrétienté.»

Youssef Ibram insiste: «Dès le IIe siècle de l’Hégire, un consensus juridique a établi le concept de la mosquée avec un minaret. Pour appeler les fidèles et pour montrer l’édifice aux étrangers comme un phare. Au Petit-Saconnex, non seulement on n’a jamais fait d’appel à la prière depuis les hauteurs, par respect du voisinage, mais en plus, notre symbole s’inscrit discrètement dans le périmètre. Il est d’ailleurs situé derrière la mosquée, et non pas devant comme cela devrait être le cas.»

«Pas de tension»

Deux jeunes filles du Collège André-Chavanne semblent interloquées par le sujet. «Nous passons chaque jour devant le minaret et nous n’avons jamais senti la moindre tension», réagissent Mélanie Fontoura da Fonseca et Shandee Doan. «Les gens doivent pouvoir pratiquer leur religion comme ils l’entendent, surtout dans une terre d’accueil comme la nôtre.»

Lausanne

Un minaret sous gare? Pourquoi pas. En pleine campagne sur l’initiative antiminarets, Mouhammad Kaba, directeur de la mosquée de Lausanne, ne voudrait surtout pas jouer les provocateurs. Mais ce défenseur de la transparence n’est pas homme à cacher ses projets sous le tapis.

«Le minaret n’est pas une priorité. Pas même un préalable. Nous pouvons nous en passer. Mais d’un autre côté, il permet d’assurer une traçabilité. Une lisibilité des musulmans dans l’espace public.» L’imam Mouwafac el-Rifaï est du même avis: «Le minaret marquerait la présence de la communauté musulmane. Il ne faut pas laisser l’islam dans les caves.»

Pour l’heure, la mosquée inaugurée il y a un an presque jour pour jour au passage de Montriond est presque invisible au profane, malgré ses 1300 m2. De l’extérieur, rien ne signale la nouvelle affectation de ce vaste bâtiment d’allure postindustrielle, un ancien garage et entrepôt dont l’architecture n’a pas été modifiée.

«La mosquée est à l’intérieur», commente un habitué des lieux, croisé sur le trottoir d’en face. Vrai. Passée la porte vitrée, retirées les chaussures, on est transporté dans un décor grandiose et paisible. L’espace a été totalement réorganisé. L’immense salle de prière, au sol recouvert d’un profond tapis de Turquie, est baignée par la lumière du jour, qui tombe d’un dôme translucide. La chaire de bois précieux (minbar), le lustre monumental où sont gravés des versets du Coran et les balustrades en tek ouvragé de la mezzanine des femmes composent un fastueux tableau.

De l’avis général, le nouveau lieu de culte et de culture s’est intégré sans heurts dans la vie du quartier. Mouhammad Kaba soigne les relations avec le voisinage. Le dialogue passe par Denner, la Coop ou la Maison de quartier.

C’est pourquoi il ne veut rien brusquer. Pourtant, même si aucune demande formelle n’a été déposée, le minaret de Lausanne est pour lui davantage qu’un vœu pieux: un vrai projet, lié à la construction du deuxième étage de la mosquée, prévu dans les cinq prochaines années. «Nous voulons un minaret qui s’insère dans la culture locale. Pas un minaret d’importation. Ce sera une construction innovante, avec le savoir-faire d’ici. Pourquoi pas en verre?»

Joëlle Fabre


«Mahmoud, adolescent né en Suisse, a d’autres soucis que les minarets»

Enseignant à l’Université de Fribourg et président du Groupe de recherche sur l’islam en Suisse, le scientifique Stéphane Lathion répond à nos questions.

Qui sont les musulmans de Suisse?

Le dernier recensement, qui date de l’an 2000, établit leur nombre à plus de 310 000, mais on estime aujourd’hui qu’ils approchent plutôt les 400 000. Ils sont originaires des Balkans et de Turquie à près de 80%. Les arabophones sont nettement minoritaires, contrairement à l’image que les Suisses s’en font. On constate aussi que ces personnes proviennent de pays dans lesquels la laïcité de l’Etat est acceptée. Culturellement, ils ont l’habitude de négocier avec des autorités laïques. Le problème se pose différemment en France, avec les musulmans originaires du Maghreb, par exemple.

Concrètement, qu’est-ce que cela change?

Dans ces communautés, la religion est une question privée et elles ne ressentent pas le besoin de trop la revendiquer publiquement. Le foulard, par exemple, n’est pas prioritaire pour les musulmanes des Balkans ou de Turquie. Souvent, les femmes le portent parce qu’elles viennent d’un village où cela se fait, sans qu’il faille y voir un message du type: «Regardez-moi, je suis musulmane». Ce n’est pas une revendication essentielle.

Ces hommes et ces femmes sont-ils heureux en Suisse?

Oui, dans le sens où la Suisse offre de bonnes conditions socio-économiques en comparaison des pays d’où ils viennent. Pour la première génération, l’intégration se passe bien. Le vrai problème, on le rencontre avec les enfants qui sont nés en Suisse, ont notre passeport mais s’appellent Erkan, Mahmoud ou Mohammed.

Ces jeunes parlent le français, mais leur nom et leur physique font qu’on leur renvoie l’idée qu’ils ne seront jamais vraiment d’ici. A l’école, par exemple, le prof va demander à Mahmoud d’où il vient. En soi, la question est légitime, elle témoigne même d’un intérêt pour l’élève. Mais quand l’interlocuteur insiste et réitère plusieurs fois son interrogation malgré le fait que Mahmoud a répondu clairement qu’il était Suisse, cela peut commencer à exaspérer. A force, ce jeune se sent exclu. Et après quelques années, soit on lui donne du Valium, soit il explose.

Avez-vous des solutions?

Pas concrètement… On doit chercher ensemble des pistes, des matelas qui permettront d’atténuer les chocs. Car on va droit dans le mur. Il faut avoir conscience que Mahmoud existe et qu’il est Suisse. Le problème, c’est que si ce jeune ne fait pas confiance au système et au cadre légal – parce qu’il se sent exclu, parce qu’il réalise que son copain Jean-Louis a deux fois plus de chances de trouver du travail – il n’aura plus aucune raison de le respecter.

Mais si ces jeunes posent des difficultés, il faut hausser le ton!

Bien sûr, mais il ne faut pas mettre la religion là où il n’y en a pas. Avant d’être des musulmans, ces personnes sont des individus, constitués notamment de leur croyance. Souvent, les problèmes ne sont pas liés à la religion, mais à des questions socio-économiques. L’islam, c’est l’argument des paresseux et de ceux qui veulent simplifier le débat. Et les délinquants musulmans doivent être traités comme les autres.

Comment cette communauté vit-elle la campagne autour des minarets?

Mahmoud ne s’intéresse pas à la question des minarets. Il a des soucis d’ado, comme tous les Suisses. Et il n’est pas le seul: les minarets, c’est vraiment un faux débat. La plupart des musulmans ne se sentent pas concernés et ne demandent même pas à pouvoir en construire. En même temps, on leur demande leur avis et s’ils ne répondent pas, on le leur reproche. Alors que voulez-vous qu’ils disent d’autre que, oui, en général, les mosquées sont accompagnées d’un minaret?

Caroline Zuercher