Pressenti pour devenir «Monsieur Roms» à Lausanne, le sergent Glassey tord le cou aux idées reçues.
Les Roms, Gilbert Glassey a appris à les connaître en Roumanie. Il y est allé une bonne trentaine de fois en vingt ans et maîtrise la langue du pays. Tant et si bien que le municipal Marc Vuilleumier souhaite en faire le «Monsieur Roms» de Lausanne.
Rien n’est décidé, vu la controverse exacerbée par l’initiative pour l’interdiction de la mendicité. Gilbert Glassey, 56 ans, est sergent à la police de Lausanne. Uniforme et médiation sont-ils compatibles? A la Municipalité de trancher. Ce qui est sûr, c’est que le sergent Glassey n’a pas attendu la campagne électorale pour s’employer à «cadrer» les mendiants venus de Roumanie.
Qui sont-ils?
Les premiers sont arrivés en 2007. Rattaché au poste du quartier de la gare, au bas du Petit-Chêne, le sergent Glassey est allé à leur rencontre. «Le moment où ils se retrouvent pour partager leur casse-croûte est pratique pour nouer le dialogue.» La démarche n’est pas répressive. «Je leur explique les règles minimales, les invite à se déplacer quand ils provoquent une gêne, et réponds à leurs questions. Par grand froid, je les encourage à bouger.»
Et la délinquance dont on les accuse? «Il ne faut pas mettre tous les Roms dans le même panier.» Les groupes claniques sont nombreux, chacun provenant en général d’un même village ou quartier. «Certains sont spécialisés dans les cambriolages mais jamais vous ne les verrez mendier», garantit Gilbert Glassey. Idem pour ceux qui pratiquent l’arnaque à la bague d’or, celle qu’on laisse tomber devant une passante avant de tenter de la monnayer. «Ce sont des Fusars, trop fiers pour tendre la main.» Alors, qui sont ces mendiants affalés dans les rues commerçantes de Lausanne? «Ils sont une cinquantaine. La plupart viennent de villages des districts de Sibiu et d’Alba, dans les Carpates.» Le sergent Glassey connaît presque chacun d’eux: «Cela fait déjà quelques années qu’ils passent ici l’hiver, saison durant laquelle ils ne trouvent aucun travail chez eux.»
Ne font-ils que mendier?
Les activités de ces Roms se limitent-elles vraiment à la mendicité? «Oui, et même le plus souvent à une mendicité passive. Parfois, à la sortie d’un supermarché, ils aident des personnes âgées à ranger leur caddie et tendent la main ensuite. Mais nous n’avons connaissance d’aucun cas où une marchandise aurait été dérobée.»
Tout de même, on a vu des jeunes femmes roms mendier avec leur bébé dans les bras. «Cette pratique était celle d’un groupe de femmes en provenance du district de Lalomita, au sud-est de la Roumanie. Nos discussions l’ont amené à partir. Depuis, nous n’avons plus constaté de situation de mendicité impliquant des enfants.»
Et cette suspicion selon laquelle les mendiants roms seraient sous la coupe de réseaux de nature mafieuse? «A Lausanne, rien ne laisse supposer une telle organisation.» Tout au plus les quelques dizaines de francs récoltés durant la journée sont-elles réparties sous l’autorité du chef de famille.
Reste la prostitution à laquelle seraient contraintes de jeunes femmes roms, évoquée notamment par le chef des affaires sociales lausannoises. «Cette accusation ne repose sur aucun fait constaté par la police», réagit le sergent Glassey, qui s’en réfère à Joël Vincent, chef de la brigade lausannoise des mœurs. Celui-ci confirme: «Nous n’avons enregistré la présence d’aucune femme d’origine rom parmi les prostituées de Roumanie ou de Bulgarie. Et aucun Rom n’a été impliqué pour proxénétisme.»
Qu’en faire?
Si ces Roms ne font que tendre la main, pourquoi suscitent-ils autant d’émotion? Le sergent Glassey se garde d’entrer sur le terrain politique. Il se limite à une analyse fondée sur ses observations: «Les mendiants troublent la tranquillité publique, mais pas la sécurité.» La réponse est encore plus lapidaire quand on l’interroge sur l’intérêt d’une interdiction de la mendicité: «Le problème n’est pas là.»
Alors que faire? «Je leur explique qu’ils n’ont aucun avenir ici.» Dans certains cas, ça marche. Comme avec ces Roms venus de Constanza qui, l’an dernier, lavaient les pare-brise des voitures à un carrefour. Quelques explications de vives voix et une dénonciation auprès de la préfecture pour infractions à la loi sur la circulation routière les ont convaincus de s’en aller.
Mais les Roms les plus démunis continuent à gagner davantage en mendiant dans nos villes qu’en restant chez eux. «En Roumanie où ils sont marginalisés, ils souffrent durement de la montée des prix.» Pourquoi ne pas leur offrir une prime au départ? «Parce que rien ne les empêcherait de revenir. Et l’aubaine en attirerait d’autres.»
Agir en Roumanie?
Hors d’une répression aveugle, le problème serait-il insoluble? Gilbert Glassey sourit doucement: «Dans mon village de Nendaz, en Valais, nous avons commencé à aider Gherla il y a 20 ans déjà.» Cette agglomération de Transylvanie compte 35 000 habitants. «Outre les colis que nous apportons aux habitants, nous avons collaboré au développement de l’hôpital et d’un collège, entre autres…»
Gilbert Glassey a découvert ainsi l’ampleur des difficultés auxquelles les Roms sont confrontés: «Pas facile de les aider, ils ne supportent aucun cadre.» La solution tient tout de même à une amélioration de leurs conditions de vie en Roumanie. Gilbert Glassey y conduira un nouveau convoi en octobre. «La grande priorité, c’est de lutter contre l’analphabétisme», ajoute-t-il.
Les effets de l’alphabétisation, le sergent Glassey les constate jusque sur son terrain, à Lausanne: «Ces jours, nous nous efforçons de contenir des tensions entre mendiants roms.» Certains disposent d’une certaine éducation: «Ils accusent les autres de compromettre la présence du groupe à Lausanne à cause de leur attitude.» Les Roms faisant la police entre eux, voilà qui ouvre une voie au médiateur Glassey!
Daniel Audétat