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courrier PUBLICATION - Fruits d'un concours littéraire interculturel, seize récits évoquent autant d'exils et de reconstructions.
«Et s'ils se mettaient à ma place? J'aimerais bien voir ces gens débarquer dans un pays lointain dont ils ne maîtriseraient que le nom et seulement dans leur langue maternelle, travailler d'arrache-pied chaque jour de la semaine ou presque, plus de dix heures d'affilée, avec d'autres étrangers comme eux, tout en subissant constamment la loi de préjugés tenaces, ainsi que les refus polis d'entamer une conversation. Supporteraient-ils d'être classés toute leur vie dans la catégorie de ceux à qui l'on demande quand ils retournent «chez eux»»? La question est posée par un vieux sage. Il s'est éteint l'année dernière, à l'âge de 92 ans, à Lausanne, où il a vécu plus de cinquante ans après y avoir ouvert le premier restaurant chinois de la ville. Son récit, recueilli par sa petite-fille juste avant sa mort, en côtoie quinze autres dans un ouvrage collectif. Le Chameau dans la neige et autres récits de migrations est le fruit d'une démarche originale: un concours d'écriture interculturel qui répondait visiblement à un vif besoin, puisque 287 auteurs ont répondu à l'appel. Les seize qui ont été primés et publiés proviennent d'horizons très divers, et pas toujours si lointains. C'est que l'exil peut aussi être intérieur, comme l'a éprouvé cet enfant zurichois contraint à changer d'idiome et confronté aux guerres entre catholiques et protestants pour avoir dû partir s'établir quelques dizaines de kilomètres plus loin, sur les rives du lac de Constance. Le choc culturel et les distances ont évolué avec le temps, ainsi que le rappelle cette Italienne, arrivée en Suisse en 1946 comme jeune mariée, et chassée de son logis pour atteinte aux bonnes moeurs. Le crime du couple? Avoir voulu installer un lit français dans la chambre à coucher.
Accueil glacial
Aujourd'hui, les provenances migratoires ont souvent changé. Mais l'accueil reste tout aussi glacial, à l'image de la réponse reçue par ce réfugié burundais alors que, cinq heures après son arrivée en Suisse, il demandait son chemin vers Genève à une passagère du train: «Plutôt que de me demander quoi que ce soit, rentre vite dans ton pays!»
Dans tous ces récits, pourtant, une constante: un exil qui n'est jamais vraiment choisi. Et un fil rouge, celui qu'évoquent deux migrantes, l'une congolaise, l'autre roumaine: cette «corde fine» ou ce «fil suspendu entre deux mondes» sur lequel elles ont l'impression de marcher.
Au final, une interrogation, posée en postface par Spomenka Alvir, une enseignante bosniaque: «Est-ce la terre qui nous adopte ou nous qui l'adoptons?» Une question particulièrement actuelle en cette année électorale, au vu de la passion mise par certains pyromanes à s'emparer de la thématique de l'intégration et des efforts que refuseraient d'y consentir les migrants. Une «logique du formatage», dénonce Spomenka Alvir, qui fait l'impasse sur une autre question: «Quand on veut passer par la langue pour s'intégrer, il ne s'agit pas de parler de son apprentissage, mais, avant tout, de son usage. Il faut donc qu'il y ait des interlocuteurs à l'autre bout de la table.» I
Note : Le Chameau dans la neige et autres récits de migrations, Editions d'En bas, Lausanne, 2007