samedi 17 septembre 2011

Renvois forcés: «La solution idéale n’existe pas»

Simonetta Sommaruga, ministre de Justice et police, s’exprime pour la première fois en détail sur les renvois forcés. Et sur le cas spécifique de Geordry, menacé au Cameroun en raison d’une fuite de documents confidentiels suisses. Elle se dit préoccupée par cette situation.

simonetta sommaruga

Simonetta Sommaruga ira voir Vol spécial de Fernand Melgar dimanche à Bienne. Avant ce rendez-vous, la ministre de Justice et police a accepté de s’exprimer en détail sur la délicate pratique des expulsions forcées. Et sur le cas de Geordry, menacé au Cameroun en raison d’une fuite de documents confidentiels suisses (LT du 14.09.2011).

Le Temps: Les expulsions forcées par vols spéciaux, où les requérants sont ficelés, menottés, parfois casqués et langés, sont toujours plus controversées. Faut-il mettre fin à cette pratique?

Simonetta Sommaruga: La solution idéale n’existe pas. C’est la pire des situations pour tout le monde et surtout pour les principaux concernés. Mais si l’Etat renonce à faire appliquer ses décisions, tout le système de l’asile s’écroule et perd sa crédibilité. Il ne faut pas oublier que ces vols spéciaux n’interviennent qu’en dernier recours: un requérant débouté a d’abord le choix de rentrer de son plein gré, avec un soutien financier de la Confédération. Et même placé en détention administrative, il peut à tout moment décider de rentrer seul ou accompagné de deux policiers sur un vol de ligne. Les vols spéciaux sont donc la toute dernière solution. S’ils ne peuvent pas être évités, ils doivent être organisés le plus dignement possible.

– Mais ces renvois sous la contrainte ont provoqué des morts, dont celle d’un Nigérian sur le tarmac de Kloten en mars 2010. La Suisse peut-elle accepter de prendre ce risque?

– L’Etat doit tout mettre en œuvre pour éviter que des êtres humains encourent un danger. Après la mort de cet homme, nous avons suspendu les vols spéciaux (ils ont repris depuis, ndlr) et instauré de nouvelles mesures. Désormais, un médecin, un ambulancier et des observateurs indépendants participent à ces vols. Sur ceux vers le Nigeria, une délégation nigériane est aussi présente. Une démarche importante, qui vise à éviter les malentendus culturels.

– La présence d’observateurs neutres va-t-elle vraiment améliorer la situation?

– Cela nous permettra précisément d’évaluer s’il faut changer ou améliorer certains points. Je salue le courage de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse d’avoir accepté ce mandat. Ce n’est pas évident de prendre cette responsabilité. Dans ce domaine, endosser une responsabilité est beaucoup plus courageux que critiquer.

– Moins d’entraves mais davantage de policiers pour encadrer les requérants: serait-ce une meilleure solution? La Fédération suisse des fonctionnaires de police (FSFP) demande au contraire des mesures plus sévères.

– Je le répète: la solution idéale n’existe pas. Certains pays entravent beaucoup moins le requérant, mais en cas de problème, une dizaine de policiers se jettent sur lui. Difficile de dire ce qui est préférable. La Suisse est au moins un des rares pays où les mesures de contraintes policières sont réglées dans une loi. La loi précise par exemple que les policiers ne peuvent pas administrer des médicaments pour neutraliser les requérants.

– Or c’est ce que revendique la FSFP. Excluez-vous de modifier la loi pour l’autoriser?

– Des policiers le demandent, mais des parlementaires aussi. Cette question sera donc forcément examinée. Pour moi, le respect de la dignité et de la sécurité des requérants est primordial. Mais j’insiste: les professionnels qui encadrent ces vols, comme les policiers, ont aussi droit au respect. C’est un travail difficile.

– Trouvez-vous vraiment que les vols spéciaux se déroulent aujourd’hui dans la dignité?

– Tout est entrepris pour convaincre les personnes qui n’obtiennent pas l’asile en Suisse de quitter le pays de leur plein gré. Cela vaut mieux pour elles, pour leur dignité. Si, tout à la fin de la procédure, un renvoi forcé est nécessaire, on est dans une situation extrême. Mais même là, il y a encore la possibilité de respecter la dignité humaine. Et il faut y arriver.

– Des requérants expulsés sont parfois emprisonnés dans leur pays pour avoir demandé l’asile en Suisse. Que fait la Suisse dans ces cas précis?

– Je sais que le fait d’avoir demandé l’asile à l’étranger peut être un motif de persécution dans certains pays. C’est préoccupant. Nous devons tout mettre en œuvre pour éviter cela. Et donc agir avant, pendant la procédure d’asile. Lorsqu’une personne est déboutée, elle n’est pas automatiquement renvoyée. Nous étudions d’abord si son renvoi est exigible ou non. Comme nous vérifions aussi si une personne avec des problèmes de santé pourra avoir accès aux soins nécessaires une fois de retour dans son pays.

– Mais si, malgré les précautions, une personne est emprisonnée, la Suisse admet-elle sa responsabilité?

– La Suisse doit agir. Elle a déjà admis son erreur à propos d’un Birman expulsé de force (Stanley Van Tha, condamné à Rangoon à 17 ans de prison sans procès, ndlr). Il a maintenant le statut de réfugié en Suisse.

– «Le Temps» vient de relater le cas de Geordry, arrêté et emprisonné au Cameroun parce que des documents suisses sont tombés entre les mains des autorités locales. Cela vous choque-t-il?

– J’ai connaissance de ce cas. La Suisse a des règles strictes pour éviter que des documents prouvant l’existence d’une demande d’asile ne se retrouvent entre les mains des autorités du pays d’origine. Une enquête va déterminer ce qui s’est passé. Cette personne a par ailleurs déposé une nouvelle demande d’asile. La procédure est en cours, donc je ne peux pas en dire plus. Mais je suis ce dossier de très près. Si vraiment les autorités suisses sont responsables d’une fuite de documents qui l’a mis en danger, c’est inacceptable.

– Comment avez-vous réagi en apprenant cette affaire?

– Mon premier réflexe est de vouloir savoir précisément ce qui s’est passé. Je ne peux pas me prononcer avant les résultats de l’enquête. Mais l’idée qu’il puisse se trouver dans cette situation à cause des autorités suisses me préoccupe.

– Allez-vous accorder une attention particulière aux expulsions forcées pour éviter des drames? Le film de Fernand Melgar a remis ce thème au centre de l’actualité.

– Je n’ai pas attendu son documentaire pour savoir qu’il s’agit d’un thème sensible de mon département. Je me suis rendue à Bâle très vite après mon élection au Conseil fédéral, la veille de Noël 2010. J’y ai visité un centre d’accueil, mais aussi le centre de détention administrative. J’ai parlé aux requérants. J’ai aussi discuté avec les personnes qui y travaillent. Je vais continuer à le faire. C’est important que je me laisse émouvoir, que je ne parle pas que de chiffres et d’articles de lois, mais que je parte à la rencontre des gens, que je les regarde dans les yeux. Je veux aussi parler avec les policiers et les observateurs indépendants.

– Mais pour l’instant, vous ne voulez rien changer…

– La question que l’on doit se poser est: quelle est l’alternative? Supprimer les renvois forcés décrédibiliserait notre politique d’asile. Les personnes qui ont vraiment besoin de protection n’auraient rien à y gagner. Et puis je n’ai pas dit qu’il ne fallait rien changer. Mais qu’il faut réévaluer la situation en continu. Je suis contente de voir le film de Fernand Melgar. Il thématise un sujet dont il faut parler. N’oublions jamais que nous parlons d’êtres humains.

Propos recueillis par Valérie de Graffenried dans le Temps

“Pour que les communes soient consultées”

L'UDC a officiellement lancé hier son initiative cantonale intitulée "Halte au diktat du canton: pour un droit des communes d'être consultées et associées en matière d'asile."

Le droit d'être entendu

"Nous ne demandons pas un droit de veto pour les communes en matière de centres pour demandeurs d'asile", explique le député et conseiller communal saviésan Jean-Luc Addor, "par contre, nous estimons qu'il est normal que les communes soient consultées par le canton, alors qu'aujourd'hui elles sont considérées comme de simples exécutantes." Grégory Logean, conseiller communal à Hérémence et président du comité d'initiative, constate: "Aujourd'hui, le dialogue entre le canton et les communes n'existe toute simplement pas, comme l'ont démontré les exemples de Vouvry et de Vex. La politique du fait accompli doit cesser. La mise en place d'un centre de requérants d'asile dans une région crée un foyer de désordre et d'insécurité, les autorités locales doivent pouvoir s'y préparer et, s'il y a dialogue, proposer d'autres solutions." C'est la première fois que l'UDC lance, seule, une initiative cantonale en Valais. C'est donc un test pour elle.

Un complément à l'initiative fédérale

Aux yeux des démocrates du centre, le texte de l'initiative cantonale complète celui de l'initiative fédérale visant à stopper "l'immigration massive". Pour le président du parti, le conseiller national Oskar Freysinger, "la seule possibilité de résoudre le problème est de diminuer le nombre d'immigrés. Aujourd'hui, notre politique donne l'image de portes ouvertes vis-à-vis du tiers-monde. C'est une réputation qui fait vite son chemin. Les passeurs le savent assez. Nous devons donc être plus restrictifs. Notre but est de mettre un maximum de pression sur le monde politique pour qu'il réagisse face à ce problème, alors qu'il préfère s'enfouir la tête sous le sable." L'UDC dispose maintenant d'une année pour récolter les 4000 signatures nécessaires pour faire aboutir son initiative.

Jean-Yves Gabbud dans le Nouvelliste

Détournement médiatique de “ Vol Spécial”

Jamais sans doute un film suisse n'aura fait l'objet d'un tel battage médiatique: "Vol spécial", de Fernand Melgar, qui sort prochainement en salle, est instrumentalisé sans vergogne par les médias pour faire la leçon aux Suisses, à qui il faut faire payer le fait d'avoir voulu une politique d'asile rigoureuse.

Au Festival de Locarno déjà, on ne parlait (enfin, les médias dominants, service public en tête), que de ce film. Déjà aussi, on nous expliquait que nous devrions avoir honte, que nous devrions nous repentir et nous jeter des cendres sur la tête. Même Micheline Calmy-Rey avait poussé d'un air grave le refrain obligatoire chez les bien-pensants, quitte à dégommer par-derrière la politique de la Confédération.

Fernand Melgar est un cinéaste habile, d'aucuns diraient manipulateur. Son origine étrangère est un capital inestimable aux yeux des Justes, bien entendu; et son langage cinématographique, qui consiste à susciter l'émotion en s'intéressant à des destins individuels, mais jamais aux questions de fond, est terriblement efficace. Qui n'aurait pitié d'un destin individuel tragique, qui n'aurait envie de dire "il faut faire quelque chose"? Dans les années 70, un auteur français avait tourné le problème d'une élégante façon, parlant du chômage: "Un chômeur c'est un drame, 100000 chômeurs, c'est une statistique."

Et c'est sur ce ressort émotionnel que jouent systématiquement les groupes, paroisses, mouvements et assoces innombrables, qui veulent s'opposer à l'expulsion de tel requérant débouté: c'est le roi des bons types, il travaille, il est bien intégré, etc. En face, bien évidemment, ceux qui prennent les décisions sont des salauds, des sans-cœur, tout comme ceux - vous et moi, la majorité des Suisses - qui ont voulu cette politique d'asile, non pas par xénophobie, mais par le souci de ne pas laisser s'installer des situations qui, elles, de manière certaine, conduisent à la xénophobie.

Je ne reproche nullement à Fernand Melgar d'avoir réalisé ce film, et je ne lui reproche pas davantage de tirer à fond sur la corde émotionnelle: c'est un choix artistique et il est, on l'a dit, efficace dans son genre. En revanche, que penser, par exemple, de La Première, radio de service public financée par l'impôt déguisé de la redevance - même ceux qui n'ont ni radio ni télé payeront désormais! - qui consacre plusieurs émissions de grande écoute à "Vol spécial" - dont le ton ne sera sans doute pas très critique? On connaît les penchants idéologiques du service public, on connaît son obsession de sans cesse inculquer au public ignorant les principes de la pensée correcte, les beautés de l'immigration et les joies du métissage.

Bien sûr, le peuple, dans les urnes, manifeste régulièrement son opposition forte à cette pensée unique; mais l'arrogance de nos maîtres à penser les conduit à croire que plus ils sont isolés, plus ils ont raison, plus le peuple doit être éduqué, voire puni.

Pourquoi n'y a-t-il pas de concurrence face au rouleau compresseur de la RTS?

Philippe Barraud, journaliste, invité du Nouvelliste