mercredi 4 novembre 2009

La Suisse a aussi sa droite religieuse

L'Union démocratique fédérale (UDF) croit réellement que l'islam représente une menace, constate le politologue Hans Hirter.
L'Union démocratique fédérale (UDF) croit réellement que l'islam représente une menace, constate le politologue Hans Hirter. (Ex-press)

Si l'UDC (droite conservatrice) est à la pointe de la campagne en vue de la votation sur les minarets, un autre parti – beaucoup moins connu – y est également très actif: l'Union démocratique fédérale (UDF / droite religieuse). Présentation avec le politologue Hans Hirter.

La plupart des personnalités qui défendent l'initiative populaire visant à interdire la construction de minarets proviennent de l'UDC. Avec en tête d'affiche les députés Oskar Freysinger en Suisse romande et Ulrich Schlüer en Suisse alémanique.

Ce que le public sait moins, c'est qu'un autre parti fait également campagne, l'UDF. Plus encore, cette formation politique est même à l'origine de cette initiative.

Pourtant, le public ne connaît que très peu ce parti. Pour en savoir plus, swissinfo.ch s'est entretenu avec Hans Hirter, politologue à l'Université de Berne et auteur de l'article du Dictionnaire historique de la Suisse consacré à l'UDF.

swissinfo.ch: Comment expliquer que l'UDF soit si peu connue du grand public?

Hans Hirter: Tout d'abord parce que c'est un petit parti qui n'a même pas réalisé 2% des voix lors des dernières élections fédérales, même s'il se présentait dans une quinzaine de cantons.

De plus, il s'agit également d'un parti assez nouveau, puisqu'il n'existe que depuis 1975.

swissinfo.ch: Il y a tout de même des régions où l'UDF est davantage présente.

H. H. : Là où l'UDF est forte, c'est en principe dans le canton de Berne – où elle obtient plus de 4% des suffrages – ainsi que dans les cantons de Zurich, Thurgovie et Argovie.

Ce qui est caractéristique, c'est que ce sont des cantons majoritairement protestants. Ce parti vit spécialement bien dans les régions conservatrices protestantes, surtout là où une bonne partie de la population est membre des Eglises libres, c'est-à-dire de groupes évangéliques indépendants du protestantisme officiel.

Le politologue Hans Hirter.
Le politologue Hans Hirter. (BZ/Andreas Blatter)

swissinfo.ch: Comment est né ce parti?

H. H. : Il s'agit d'un amalgame. D'un côté, il y avait des gens qui venaient des Républicains, c'est-à-dire le parti xénophobe des années 1960 de James Schwarzenbach. Outre le côté xénophobe, les Républicains ont toujours été très conservateurs.

D'autre part, il y avait aussi – surtout dans le canton de Berne – des gens qui venaient du Parti évangélique et qui trouvaient que celui-ci était trop au centre, voire à gauche, notamment dans les domaines de l'environnement et du social.

Certains membres très conservateurs de ce Parti évangélique se sont donc réunis avec les Républicains pour fonder l'UDF.

swissinfo.ch: Peut-on dire qu'il s'agit d'un parti fondamentaliste au niveau religieux?

H. H. : Dans une certaine mesure oui, puisque dans toutes ses publications, l'UDF dit que le fondement de sa politique est la Bible. La Bible n'est pas à interpréter, mais doit être prise au pied de la lettre, et c'est d'elle que découlent toutes ses directives politiques.

swissinfo.ch: Est-ce un parti que l'on peut qualifier de clairement à droite?

H. H. : Pas tout à fait, car sur certaines questions, l'UDF est même proche de la position des syndicats. Je pense par exemple à la question de l'ouverture des commerces le dimanche. Comme la gauche, ce parti est également opposé aux aliments génétiquement modifiés.

Cela signifie que sur certaines questions, l'UDF n'a pas peur de se rallier à la gauche. Mais en général, il reste bien clair qu'il s'agit d'un parti conservateur en ce qui concerne l'ordre économique du pays.

swissinfo.ch: Plusieurs partis se réclament du christianisme. Quelle différence essentielle et quelles similitudes entre ceux-ci et l'UDF?

H. H. : Les chrétiens-sociaux (gauche) et les démocrates-chrétiens (centre-droit) sont des partis en majorité très fortement influencés par le catholicisme et les idées sociales du catholicisme. En revanche, l'UDF est à 100% protestante.

Il y a tout de même des similitudes, par exemple dans la politique familiale où tous ces partis sont très proches. Pour eux, la famille est le centre de la société; elle doit être protégée et même promue par l'Etat.

swissinfo.ch: L'UDF peut-être s'agrandir ou est-elle vouée à rester une toute petite formation?

H. H. : Un développement n'est guère envisageable, car beaucoup des ses idées conservatrices sont déjà défendues par l'UDC. C'est une concurrence presque imbattable.

Ensuite, l'UDF est trop liée à un évangélisme qui, en Suisse, ne peut faire force que dans certaines régions protestantes. Elle n'a presque aucune chance dans les villes et les agglomérations.

swissinfo.ch: Que pensez-vous de l'action de l'UDF contre les minarets?

H. H. : Je ne crois pas qu'il s'agisse de populisme afin de gagner des élections. Sur ce point, l'UDF diffère donc de l'UDC.

L'UDF croit réellement que l'islam représente une menace. On le voit dans ses positions. Ce parti défend par exemple très fortement l'Etat d'Israël.

swissinfo.ch: Les Eglises officielles sont hostiles à l'interdiction des minarets. L'UDF se singularise donc là aussi.

H. H. : Oui, mais cela s'explique par sa base. Ses adhérents ne font en effet partie ni de l'Eglise catholique ni des Eglises protestantes officielles, mais de petits groupes évangéliques libres qui sont indépendants de toute organisation nationale

Les organisations islamiques jugent l'initiative anti-minarets discriminatoire

Les organisations islamiques de Suisse sont montées au créneau jeudi contre l'initiative antiminarets soumise au peuple le 29 novembre prochain.

Elle discrimine les musulmans en tant que minorité religieuse en Suisse, ont critiqué les représentants lors d'une conférence de presse à Berne. L'initiative suscite des peurs chez les musulmans aussi et polarise la société.

Les musulmans de Suisse s'identifient à la Suisse comme patrie dont la Constitution garantit protection, liberté et sécurité, a expliqué Farhad Afshar, président de la Coordination des organisations islamiques en Suisse. A ses yeux, l'initiative s'en prend à une construction sacrée et voudrait forcer les musulmans à considérer leur religion comme une affaire privée. Mais la liberté de religion n'est pas une question privée.

Les constructions sacrées, avec leurs coupoles, minarets, fenêtres rondes, piliers ou arcades sont une partie de l'identité religieuse. Les croyants de chaque communauté religieuse doivent être libres de déterminer, dans le cadre du droit en vigueur, quelles constructions ils érigent. Aucun parti politique n'a le droit de prescrire ce qui est nécessaire ou pas pour une pratique religieuse, selon Farhad Afshar. La campagne incorrecte et dénuée de sens contre les minarets ne blesse pas seulement les musulmans, mais nuit aussi à l'image de la Suisse.

Pour Hisham Maizar, président de la Fédération des organisations islamiques faîtières de Suisse, l'initiative est discriminatoire. Les musulmans vivant en Suisse ont injustement dans la cible des populistes. Ils sont pourtant prêts à contribuer à une société ordonnée et s'engagent expressément contre la violence, le terrorisme et l'extrémisme.

Adel Mejri, membre du Bureau exécutif des organisations musulmanes de Genève, a fait le point notamment sur la situation à Genève, qui possède une mosquée avec un minaret depuis 1979. Il constate une crispation croissante vis-à-vis des musulmans et s'inquiète d'une islamophobie qui met en cause le sentiment d'appartenance des musulmans à la société suisse et constitue un frein à leur intégration.

Lu dans 20 minutes

LES MINARETS, UN DÉBAT ENTRE FANTASME ET SYMBOLE

Le nouvelliste

3 novembre 2009 - PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIANE IMSAND -

VOTATIONL'interdiction des minarets est-elle un faux problème ou un garde-fou contre le fondamentalisme islamique? Duel entre l'UDC Oskar Freysinger et le PDC Jacques Neirynck.

Pour «Le Nouvelliste», les conseillers nationaux Jacques Neirynck (PDC) et Oskar Freysinger (UDC) ont bien voulu se prêter au jeu de l'interview croisée avant la votation du 29 novembre sur l'initiative «Contre la construction de minarets». Un débat animé qui s'est tenu dans la Ville fédérale. BITTEL



La votation du 29 novembre sur l'interdiction des minarets suscite une discussion qui a des accents de Kulturkampf. Membre du comité d'initiative, l'UDC valaisan Oskar Freysinger veut barrer la route à l'application de la charia en Suisse. Pour le PDC vaudois Jacques Neirynck, auteur d'un livre d'entretiens avec l'intellectuel musulman Tariq Ramadan, c'est un pur fantasme. Face-à-face.
L'initiative a été lancée par un comité proche de l'UDC. M. Freysinger, quels problèmes espérez-vous résoudre avec une mesure architecturale?
FREYSINGER: L'islam est une religion qui ne fait pas de distinction entre l'Eglise et l'Etat. On pourrait la qualifier de religion politique. Dans certains pays européens, cela débouche sur des exigences de législation parallèle. Nous ne voulons pas de ça en Suisse. En s'en prenant au minaret qui est un symbole de pouvoir, notre initiative entend placer un garde-fou avant que la situation soit irréversible.
NEIRYNCK: Les problèmes politiques de la Suisse sont le déficit budgétaire, la crise et le financement des assurances sociales. Il y a en tout et pour tout quatre minarets en Suisse et les musulmans qui vivent chez nous n'ont jamais demandé l'application d'une quelconque prescription de la charia. C'est un faux problème fabriqué par l'UDC, faute de programme pour résoudre les vrais problèmes du pays. Les nazis ont fait de même quand ils ont incendié le Reichstag pour accuser les juifs, en 1933. On transforme les musulmans en boucs émissaires.
FREYSINGER: Si vous tenez à vous référer à l'histoire, je note qu'il ne faut pas sous-estimer l'impact de petites minorités très déterminées. En 1938, tout le monde croyait avoir sauvé la paix. En 1917, quelques centaines de bolcheviks ont pris la Russie en otage pour septante ans. En Suisse, la situation est encore gérable mais je constate que les frontières sont devenues très poreuses et que nous risquons de connaître la même évolution que les pays voisins. En Grande-Bretagne, il y a déjà une législation parallèle. Je ne veux pas qu'on introduise en Suisse des principes d'un autre âge, comme le refus de la mixité dans les cours de natation, au nom du multiculturalisme.
M. Neirynck, êtes-vous pour la tolérance ou la fermeté en matière de mode de vie?
NEIRYNCK: Je ne cautionne aucune exception motivée par des différences culturelles dans le domaine de la scolarité. L'école est obligatoire pour tous, quel que soit le cours. Il suffit d'appliquer le règlement. Je n'admets pas davantage qu'on introduise des distinctions entre les religions sous prétexte que l'une serait plus politique ou plus agressive que l'autre. Les chrétiens ont fait des croisades, envoyé des missionnaires et construit des églises dans le monde entier sans demander l'avis de quiconque. Ils ont aussi souvent instrumentalisé la religion à des fins politiques. Voyez aussi les conflits entre catholiques et protestants. Dans le canton de Vaud, le culte catholique a été interdit après la Réforme. Il a fallu du temps pour que les églises, puis les clochers, soient autorisés. La Suisse a réussi à sortir de cette problématique et à créer une société tolérante. Le combat des initiants est une régression au niveau du XIXe siècle.
FREYSINGER: La situation entre catholiques et protestants s'est réglée avec le temps. Nous devons aussi laisser le temps opérer avec les musulmans. Si l'islam fait son siècle des lumières, l'interdiction des minarets n'aura plus de raison d'être. Pour l'instant, on n'en est pas là. Les chrétiens portent un regard critique sur leurs textes sacrés alors que le Coran est un dogme juridique pour les musulmans. Notre initiative est un signal destiné à préserver la laïcité et l'Etat de droit.
NEIRYNCK: N'oublions pas d'où nous sommes venus. La critique historique de la Bible remonte à la fin du XIXe siècle. Les initiants ont une vision caricaturale de l'islam. C'est comme si l'on jugeait le christianisme sur la base de l'Opus Dei vu par les lunettes de Dan Brown. L'application de la charia en Suisse est un fantasme. On ne peut pas inscrire dans la Constitution une interdiction des minarets qui ne repose sur rien de concret au niveau global.
FREYSINGER: Il n'y a pas d'islam modéré, il n'y a que des musulmans qui s'adaptent. Je crains une politique de grignotage. Cela commence par les carrés musulmans dans les cimetières ou la mise en cause de la mixité pour des raisons de pudeur, puis les demandes se radicaliseront. Il y a 50 millions de musulmans en Europe. Ils seront 100 millions dans quinze ou vingt ans et ils seront dès lors en mesure de peser sur les décisions, surtout si un petit groupe d’extrémistes se montre actif. Je m’inquiète pour l’avenir. Voyez la situation dans les banlieues françaises. Il est naïf de croire que ces germes iberticides ne vont pas entrer chez nous.
Neirynck: Vous invoquez la sécurité, parlons-en! Nous n’avons pas eu d’attentat islamiste en Suisse jusqu’à présent. Si l’interdiction des minarets est prononcée, nous nous désignerons nous-mêmes ainsi que tous les citoyens suisses voyageant dans des pays musulmans comme des cibles privilégiées. C’est ce qui s’est passé pour les Danois lors de l’affaire des caricatures. Il y a aussi eu des mesures de rétorsion économique. Il ne faut pas provoquer inutilement une situation de conflit sur laquelle un parti d’extrême-droite pourrait surfer.
Freysinger: La tolérance qui est inspirée par la peur n’est pas de la tolérance. Si nous montrons à ces milieux que nous les craignons, nous avons déjà perdu.

Est-ce que vous reconnaissez que la construction des minarets est secondaire et que ce n’est pas vraiment ce qui vous préoccupe?
Freysinger: Oui, mais c’est un symbole externe de prise du pouvoir territorial. Si c’était juste un élément décoratif, les musulmans qui veulent vraiment s’intégrer pourraient y renoncer. Je note que le minaret pourrait avoir un rôle utilitaire s’il était équipé de haut-parleurs pour l’appel à la prière. Actuellement ce n’est pas le cas en Suisse mais il y a plusieurs endroits en Europe où l’appel à la prière est autorisé.
Neirynck: Quand je suis à la campagne et que j’entends sonner des cloches, j’ai parfois une prière. Les cloches me rappellent que je suis chrétien. Quand je suis en voyage dans un pays musulman et que j’entends l’appel du muezzin, je me dis qu’il parle au nom du même Dieu. Nous sommes tous héritiers d’Abraham.
Cela dépasse infiniment les pauvres constructions humaines et les instrumentalisations de ces religions. Lorsque j’ai écrit mon livre avec Tariq Ramadan, j’ai senti que nous faisions une prière en commun pour le Dieu qui nous réunit et qui ne nous divise pas. Si je défends les musulmans en Suisse, c’est en tant que croyant catholique pratiquant.
Freysinger: Je me garde de toute confrontation théologique. Je constate simplement si Dieu est vraisemblablement le même pour tous, les hommes l’instrumentalisent et qu’actuellement l’islam l’interprète de manière plutôt agressive.

Journée portes ouvertes samedi dans les mosquées de Suisse


Plus d'une centaine de mosquées ouvriront leurs portes au public samedi. Organisée dans le cadre de la semaine des religions, cette journée aura cette année un aspect plus politique puisqu'elle a lieu à trois semaines de la votation fédérale sur l'initiative anti-minarets.

"Nous espérons que ces rencontres permettront de construire un dialogue et d'améliorer la compréhension", a expliqué Hisham Maizar, président de la Fédération faîtière des communautés musulmanes de Suisse orientale. La journée portes ouvertes aura lieu dans onze cantons, dont Fribourg et Vaud.

A Genève, où se trouve l'une des quatre mosquées de Suisse dotée d'un minaret, la communauté musulmane a relevé la semaine dernière qu'elle est régulièrement la cible de campagnes de stigmatisation et de propos discriminatoires. Face à l'initiative contre la constructions de minarets, elle revendique les mêmes droits, "ni plus ni moins", que les autres citoyens du pays.

Les musulmans constituent 5% de la population suisse et seuls 10% d'entre eux "demandent à pratiquer leur foi tranquillement."

Les musulmans disposent de quelque 200 lieux de prière en Suisse, la plupart très discrets. Outre celle de Genève, trois mosquées possèdent un minaret: à Zurich, à Winterthour (ZH) et à Wangen bei Olten (SO). Un cinquième pourrait être prochainement construit à Langenthal (BE).

Aucun de ces minarets ne sert pour l'appel à la prière. Si une requête en ce sens était déposée, les dispositions relatives aux nuisances sonores, qui permettent d'interdire tout ce qui pourrait générer du bruit, s'appliqueraient, fait valoir le Conseil fédéral.

Le plus vieux minarets de Suisse ne dérange personne

Quand clocher et minaret se côtoient sans faire de vagues...
Quand clocher et minaret se côtoient sans faire de vagues... (swissinfo.ch)

Dans le quartier huppé de Balgrist, à Zurich, la mosquée Mahmud passe inaperçue. Premier de Suisse, son minaret de 18 mètres inauguré en 1963 ne dérange personne, contrairement à l'initiative voulant les interdire. Reportage.

Le symbole est on ne peut plus fort: ils se font face, les deux «clochers», mais l'un est carré, gris et imposant, l'autre est fin, menu et blanc. Dans le quartier zurichois de Balgrist, à l'est de la ville, la mosquée Mahmud, son minaret, et l'Eglise réformée sont en effet construits l'une en face de l'autre.

Mais dans ce riche quartier, le minaret fait désormais partie des meubles. Cette passante, habitant la commune voisine de Zumikon, ne l'avait même jamais remarqué. «C'est nouveau, alors?», demande-t-elle, ouvrant ensuite de grands yeux quand on lui révèle la date de construction.

Le 22 juin 1963, du beau monde avait fait le déplacement lors de l'inauguration: l'ancien ministre pakistanais des affaires étrangères Zaffrullah Khan était présent, de même que le maire de Zurich Emil Landolt.

Courte polémique après l'inauguration

Ce n'est qu'ensuite qu'une très courte polémique avait éclaté: au parlement de la ville, comme le rappelait en 2006 le quotidien Neue Zürcher Zeitung, quelques représentants des églises chrétiennes avaient critiqué l'attitude de l'exécutif, coupable d'avoir laissé un terrain à une «secte» (la communauté des ahmadis) et de l'avoir exonérée d'impôts.

Le maire avait répondu aux députés que la liberté de croyance et de conscience était un droit pour tous. De plus, l'Eglise réformée et la ville de Zurich se vantent, ajoutait-il, de leur ouverture au monde et de leur tolérance. Ville internationale attirant de nombreux étrangers, Zurich ne pouvait que les accueillir dignement. Fin de la polémique.

Aujourd'hui, le pasteur de la paroisse réformée de Balgrist évoque lui aussi le caractère urbain et international de Zurich. «Dans une ville moderne comme Zurich, une mosquée occupe une place toute naturelle, affirme Jürg Kaufmann, mais dans d'autres endroits, à la campagne par exemple, cela serait moins évident. D'ailleurs, on ne peut pas non plus construire des églises partout.»

Cohabitation harmonieuse

«La collaboration se passe globalement bien, depuis le début, ajoute le pasteur. Nous mettons des places de parc à disposition pour la prière du vendredi et nous louons aussi des locaux à la communauté musulmane. Mais, comme dans toute relation, il y a des choses qui se passent bien et d'autres qui 'coincent' un peu.»

Point sensible, pour Jürg Kaufmann, la ségrégation des femmes, «qui est davantage une question politique que religieuse, estime-t-il. Ce point pose aussi la question de l'intégration: à quel point les nouveaux venus acceptent-ils notre culture?»

Le muezzin, les cloches...

Si la patronne de la boulangerie située juste à côté de la mosquée ne veut rien dire, Felix Härter, qui sort avec ses courses, s'arrête pour répondre. «Le minaret ne me gêne absolument pas, affirme-t-il, et je voterai non le 29 novembre. S'il y avait un muezzin, ce serait autre chose...»

Une crainte que confirme Jürg Kaufmann: «Si des demandes étaient faites dans ce sens, nous aurions une grande controverse. Nous avons nous-mêmes dû emballer les cloches dans du verre acrylique pour diminuer les décibels...»

Finalement, le plus critique est un passant d'origine serbe. «De toute façon, le résultat sera mauvais. Si c'est oui à l'interdiction, la Suisse aura l'air intolérante. Si c'est non, les minarets vont pousser comme des champignons. Or les Emirats ont beaucoup d'argent. Ils peuvent faire construire en une nuit...», craint ce Zurichois d'adoption.

Une des plus grandes mosquées arabophone de Zurich, celle de l'association Al Hidaya, se trouve à l'étage, derrière la verrière de cette rangée d'ateliers du quartier d'Altstetten.
Une des plus grandes mosquées arabophone de Zurich, celle de l'association Al Hidaya, se trouve à l'étage, derrière la verrière de cette rangée d'ateliers du quartier d'Altstetten. (swissinfo.ch)

«Mahomet n'a pas eu de minaret»

Crainte démentie par Lahoussine Kharbouch, délégué de l'Association des organisations islamiques de Zurich (VIOZ). Ce comptable d'origine marocaine reçoit dans une autre mosquée, Al Hidaya, l'une des plus importantes pour les arabophones, située dans une rangée de maisons plus ou moins délabrées, dans le quartier d'Altstetten, à l'ouest de Zurich.

«Nous n'avons pas besoin de minarets, mais de lieux de prière et d'enseignement pour nos enfants, affirme-t-il. Mahomet n'a d'ailleurs pas eu de minaret.»

«Le minaret, c'est un symbole architectural comme il en existe dans toutes les communautés une fois qu'une certaine aisance s'est installée et que l'on veut accueillir des personnes d'un certain rang, poursuit le délégué. Mais si l'initiative est refusée, ce que j'espère, la loyauté des musulmans envers leur pays d'accueil sera encore plus grande...»

Ariane Gigon, Zurich, swissinfo.ch

Ils se poncent les doigts pour obtenir l'asile

Lu dans ouest France

Un couple tchétchène a compararu, lundi, au tribunal d’Angers pour avoir empêché la prise de ses empreintes.

Il a 26 ans. Elle en a 20. Ce couple tchétchène a fui son pays fin 2008. Leur bébé est né en France où ils ont trouvé refuge depuis un an. Et où ils demeurent dans une situation précaire.
Avant leur arrivée en France, ils sont passés en Pologne où ils ont été répertoriés sur le fichier européen des demandeurs d’asile. Impossible pour eux de demander l’asile en France car la loi européenne prévoit que la demande soit examinée dans le pays où les réfugiés sont entrés. Pour rester en France et empêcher les autorités de prouver, par une nouvelle prise d’empreintes, qu’ils sont passés par la Pologne, ils se sont frottés le bout des doigts avec du papier de verre.

Décision le 19 novembre

Par ce stratagème, ils ont pu déposer une demande à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) qui a été rejetée. Le couple a fait appel de la décision ; il sera examiné le 19 novembre, devant la Cour nationale du droit d’asile, à Montreuil. Un arrêté de reconduite à la frontière avait été pris par l’État, mais la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg a imposé à la France « de ne pas expédier les requérants en Russie avant la fin de la procédure administrative ».
Hier, le couple comparaissait devant le tribunal correctionnel d’Angers
pour falsification. L’avocat, s’il ne conteste pas les faits, invoque « l’état de nécessité » : « En Pologne, la demande d’asile n’est accordée que dans 5 % des cas, contre 40 % en France. » Dans son pays, l’homme est menacé.
Le procureur adjoint conteste l’état de nécessité : « La Pologne reste un État démocratique. » Il a requis pour chacun une peine de 9 mois de prison avec sursis. Le jugement a été mis en délibéré au 17 décembre. Mais d’ici là, les deux Tchétchènes seront peut-être déjà fixés sur leur sort.

Passé par Calais, reconnu comme réfugié en Angleterre

Récit - Un hiver anglais pour Fitwi

LE MONDE | 03.11.09 | 14h06 • Mis à jour le 03.11.09 | 14h06

Elle a quelque chose de paisible, la momie égyptienne du Musée de Bolton (nord de l'Angleterre). "Ce n'est pas une copie, c'est une vraie", souligne le gardien. Penché sur la cage de verre, où gît le cadavre desséché d'une ancêtre anonyme, Fitwi hoche la tête en silence. Les derniers morts qu'il a vus, c'était dans le désert libyen. Des vrais morts, eux aussi. Sur son groupe de 92 migrants, entassés pendant deux semaines dans des Land Cruiser, quatorze sont décédés "de soif ou de fatigue". Tous n'ont pu être enterrés. "Les chauffeurs libyens étaient pressés", explique le jeune homme. Lui, par chance, est arrivé jusqu'à cette petite ville so british, proche de Manchester, après plusieurs années d'une ahurissante odyssée. Arrivé vivant : un miracle. Et finalement content : une rareté.

Agé de 32 ans, Fitwi fait partie des centaines d'Erythréens qui sont passés par la "jungle" de Norrent-Fontes (Nord-Pas-de-Calais) et sont parvenus en Angleterre, cachés dans un camion frigorifique. Mieux - et moins fréquent : il a réussi à décrocher le sacro-saint statut de réfugié. Selon les dernières estimations du ministère de l'intérieur britannique, le nombre des demandeurs d'asile au Royaume-Uni serait cette année en légère hausse (4 %) par rapport à 2008.

Parmi les 6 045 demandeurs enregistrés durant le deuxième trimestre 2009 (d'avril à juin), ils étaient 5 770 à faire cette démarche pour la première fois. Dont 72 % ont essuyé un premier refus. Les autres, c'est-à-dire près de 30 %, ont reçu d'emblée le feu vert pour rester au Royaume-Uni : au titre de la "protection humanitaire" (11 %) ou de l'asile (18 %).

C'est le cas de Fitwi. Non seulement, il s'est vu accorder le statut de réfugié, mais il a réussi à décrocher un job - un exploit, en temps de crise. Ouvrier dans une usine de cookies, il arrive, sur ses 800 livres de salaire, à mettre chaque mois un peu d'argent de côté. Il envisage de faire des études d'infirmier. Et même de partir à Khartoum (Soudan), au moment des fêtes de Noël, pour embrasser sa mère qu'il n'a pas vue depuis sept ans... "C'est un gars qui a de la chance !", soupire une de ses compatriotes, qui attend, sans grand espoir, d'être régularisée.

Qu'ils vivent à Manchester ou dans ses proches environs, les immigrés érythréens se connaissent tous entre eux. "Quand je suis arrivé, en 2001, il n'y en avait pas plus d'une vingtaine. Aujourd'hui, on doit atteindre les 2 000", estime Seyoum Tamerat, animateur de la petite église orthodoxe érythréenne, qui réunit, chaque dimanche après-midi, les fidèles de Manchester. La capitale du football s'est d'ailleurs enrichie d'un (bon) restaurant érythréen, l'Habesha, tenu par une ancienne réfugiée, Bethy, qui a obtenu facilement, comme sa famille, la nationalité britannique.

Les histoires de ces exilés se ressemblent. Toutes ont pour toile de fond l'interminable guerre qui oppose les régimes d'Addis-Abeba (Ethiopie) et d'Asmara (Erythrée). A écouter celle, banale et terrible, que Fitwi raconte d'une voix tranquille, attablé dans un "fish and chips" du centre de Bolton, on se dit qu'il ne l'a pas volé, ce précieux statut de réfugié ! Et qu'il a eu, c'est vrai, une sacrée baraka.

Obligatoire depuis 1998, l'enrôlement "pour un temps indéfini" dans l'armée érythréenne a transformé une génération entière, filles et garçons, en chair à canon. Ou en déracinés. C'est "la raison principale des départs", estime Fitwi. La guerre et la dictature, brisant les espérances de liberté et les rêves de retour de la diaspora, ont achevé de ruiner une économie balbutiante. "C'est pour ça aussi que les gens s'en vont", souligne Fitwi, qui téléphone chaque semaine à sa famille, restée au pays. Ses frères sont à l'armée. S'étant mariée, sa soeur a échappé à l'uniforme. Fitwi, lui, a passé six ans sur les champs de bataille - "un cauchemar", dit-il. Le compatriote qui l'héberge, dans le pavillon qu'il habite avec son épouse érythréenne, est d'ailleurs un ancien copain de régiment, retrouvé, par hasard, sur le stade de football de Bolton. Cette guerre sans fin, Fitwi y pense tout le temps. Quand il a créé son adresse e-mail, l'ancien soldat a glissé dedans quatre chiffres : 1905, le 19 mai, jour de son évasion de la prison érythréenne, où, déserteur, il a failli laisser sa peau. Sur ses huit camarades de cavale, quatre vivent aujourd'hui en Angleterre, deux sont restés sur le continent africain ; les deux derniers, il ne sait pas.

Entré en Europe par l'Italie, en août 2008, Fitwi a suivi le parcours "classique" de ses compatriotes sans papiers : gagnant d'abord Paris, puis un squat de Calais - détruit cet automne - et, enfin, la "jungle" de Norrent-Fontes, près de Béthune. Après deux semaines de tentatives infructueuses, le "bon" camion l'emporte, lui et dix autres candidats au départ.

Le poids lourd franchit les trois postes de contrôle du port de Calais (deux français et un britannique) sans être repéré. Il s'immobilise dans la soute du ferry. A l'intérieur du camion, les jeunes Erythréens tremblent de froid. Ils manquent d'air. Mais personne ne bouge. Une fois dans la banlieue de Douvres, le chauffeur, alerté par les coups frappés à la paroi, appelle la police. Délivrance ? Oui et non.

Les geôles britanniques où le groupe passe une nuit, comme l'interrogatoire et la prise d'empreintes qu'on leur fait subir, semblent douces aux voyageurs. Pourtant, l'angoisse est là, toujours, qui noue le ventre : comme ses compagnons, Fitwi redoute d'être "renvoyé en Italie, à cause des empreintes". Ah ! ces fameuses empreintes ! Prises dans le pays d'entrée en Europe, elles sont enregistrées dans le fichier Eurodac. Les migrants, dont les demandes ont été rejetées ou que l'on juge indésirables, peuvent être renvoyés vers ce pays d'entrée - même si ce n'est pas là qu'ils veulent vivre. Mais il y a pire. "D'Italie, on peut être déporté en Libye sans autre forme de procès", s'est longtemps inquiété Fitwi, non sans raison. Lui-même, avant de quitter Rome, a brûlé ses empreintes. Doigt par doigt. "Avec une cigarette", précise-t-il. La pratique est courante.

Mais comment être sûr que cela suffira ? Pour Fitwi, le suspense a duré sept mois. D'abord installé dans un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile à Croydon, au sud de Londres, le jeune Erythréen a été ensuite envoyé à Bolton. Pourquoi Bolton ? Il n'en sait rien. D'autres sont placés à Manchester, à Birmingham, à Liverpool... Durant ces mois d'attente, Fitwi a été logé gratuitement dans un appartement collectif - au système de chauffage, hélas, défectueux... - et a reçu, selon les règlements en vigueur, un pécule hebdomadaire de 42 livres "pour manger".

Ce sont les fonctionnaires de la National Asylum Support Service (NASS), département spécialisé du ministère de l'intérieur, qui "décident et suivent les dossiers", explique Malcolm Ngouala, salarié de l'association Befriending Refugees and Asylum Seekers (BRASS), une association d'aide aux migrants, créée à Bolton en 2001. "Ceux à qui l'asile a été refusé se retrouvent sans rien : sans toit, sans nourriture, sans vêtements ; et ils n'ont pas le droit de travailler", explique le fondateur de l'association, Ray Collett. Ce fervent chrétien, soutenu par l'église méthodiste, a vu en quelques années le nombre des "destitués" augmenter à la vitesse grand V. Ils sont aujourd'hui "plus de 80" à venir, chaque mercredi après-midi, aux séances "portes ouvertes" organisées par BRASS, les uns pour avoir un repas chaud, les autres pour suivre un cours d'anglais ou faire une partie de baby-foot.

"Plus de 50 % des demandeurs d'asile finissent, après des mois d'attente et de démarches répétées, par obtenir le statut de réfugié. Ou du moins finissaient. C'est à ce niveau-là qu'on ferme le robinet : les élus sont désormais de moins en moins nombreux, relève Malcolm Ngouala qui a lui-même connu plusieurs années de galère avant d'être reconnu comme réfugié. Mais ce statut, malgré des restrictions multiples, demeure très avantageux par rapport à d'autres pays d'Europe." Il facilite l'accès à la propriété. Et permet, s'il est renouvelé, de prétendre à la nationalité britannique. Encore faut-il l'avoir...

Ils sont de plus en plus nombreux à ne pas y arriver : rejetés dans les limbes, certains sombrent dans le désespoir. "Je marche des heures entières dans les rues. Je ne peux ni partir ni travailler. C'est pour ça que je hais ce pays ! Les pensées tournent dans ma tête et moi, je tourne en rond...", lâche l'un de ces malchanceux qui, contrairement à Fitwi, s'est fait "piéger par les empreintes".

Egalement "destituée", Rahel (prénom d'emprunt), arrivée à Londres à l'automne 2008, survit grâce à un couple d'Erythréens qui la loge et la nourrit. Elle sort rarement, passe son temps à lire la Bible. "Soit je deviens folle, soit je me suicide", résume la jeune femme, à l'allure impeccable. "Et en France, ils me donneraient les papiers ?", demande-t-elle brusquement.

Cet été, six Erythréens ont été arrêtés par la police dans les rues de Manchester : ils travaillaient illégalement. "On les a condamnés à six mois de prison ferme. A la sortie, ils risquent d'être expulsés", se révolte Seyoum Tamerat, qui juge le système britannique "hypocrite et de plus en plus dur". Plusieurs "destitués" érythréens se seraient suicidés, durant ces deux ou trois dernières années, insiste-t-il. Fitwi, évidemment, voit les choses autrement. "C'est un bon dispositif, le meilleur !", s'enflamme-t-il.

L'ancien déserteur de l'armée d'Erythrée rêve désormais de la nationalité britannique. Ils sont plus de 175 000 étrangers à l'obtenir annuellement (contre environ 100 000 en France). Un pourcentage en augmentation de 114 %. Ce que Fitwi déteste en Angleterre ? Il sourit : "L'hiver."

Catherine Simon
Article paru dans l'édition du 04.11.09