Pour de nombreux citoyens suisses, la pénurie de logements et la hausse des loyers sont dues à l’arrivée massive, ces dernières années, de migrants hautement qualifiés. Deux études nuancent cette vision.
Aux yeux de nombreux Suisses, et surtout en période électorale, l’immigration est responsable de tous les maux. Traditionnellement, c’est le marché du travail qui est censé pâtir de l’arrivée de nouveaux venus, qu’ils soient très qualifiés, comme c’est le cas avec la libre circulation des personnes, ou pas qualifiés du tout. Dans les deux cas, les étrangers feraient pression sur les salaires et «voleraient» des emplois aux citoyens suisses.
Mais, depuis quelques mois, «la discussion s’est déplacée du marché du travail au logement, note Gerhard Schwarz, directeur du groupe de réflexion libéral Avenir Suisse, financé par les milieux économiques. C’est pourquoi nous avons voulu étudier les éventuelles répercussions de l’immigration sur les prix de l’habitat en Suisse, dans le cadre d’une enquête sur la classe moyenne qui verra le jour en 2012.»
L’étude «Migration, logement et bien-être» d’Avenir Suisse, suivait de quelques jours une autre analyse, publiée par l’Office fédéral du logement (OFL). Cette dernière, portant sur les années 2005 à 2010, démontre la corrélation entre libre-circulation et évolution des prix et de la demande sur le marché du logement.
Au contraire, l’étude d’Avenir Suisse, qui élargit le champ d’analyse en remontant à 1970, révèle que la pénurie n’est pas le fait des étrangers. Ces derniers accentuent toutefois un problème inhérent à la Suisse, estime Avenir Suisse.
Augmentation des ménages étrangers
Tous les experts s’accordent pour dire que la pénurie et l’augmentation des loyers touchent principalement le bassin lémanique et la région Zurich-Zoug, la Suisse centrale n’étant pas épargnée. Selon l’OFL, le loyer des appartements a augmenté de 8,4% en moyenne en Suisse depuis 2005. A Zurich, la hausse atteint 10,35% et, en Suisse romande, 11,75%.
Sans pouvoir chiffrer le pourcentage imputable aux étrangers, l’étude conclut à une «corrélation certaine» en se basant sur l’augmentation des ménages étrangers dans la population générale. Cette hausse est particulièrement visible dans les cantons frontaliers.
Avenir Suisse et l’auteur de l’étude, Patrik Schellenbauer, expert en marché immobilier, prennent un autre angle: ils comparent la hausse des loyers, la croissance du parc des logements et l’augmentation du pouvoir d’achat en Suisse. Et, selon cette analyse, les loyers ont bel et bien augmenté, mais les salaires ont progressé encore plus.
Les chiffres: depuis 1970, déduction faite du renchérissement, les loyers ont augmenté de 38,5% ou de 0,8% par année. Une augmentation «modeste», selon Avenir Suisse, puisque, dans le même temps, la population a crû de 27% et les salaires effectifs ont progressé de 65%, ou de 1,3% par année.
«Augmentation du bien-être»
«Même si la classe moyenne a perdu quelques points de pourcents dans la croissance globale, les loyers restent supportables pour toutes les couches de la population, déclare Patrik Schellenbauer. En 2006 et 2008, le logement et l’énergie comptaient pour 15,8% des revenus bruts d’un ménage suisse moyen. La hausse des prix «est due à une augmentation importante du bien-être», telle que taille plus grande des appartements.
Pour autant, tout n’est pas au mieux dans le meilleur des mondes. Le renchérissement réel des loyers pour la dernière décennie est passé à 2,5% par année, en raison de la stagnation des constructions. La demande s’est déplacée des campagnes vers les grands centres et leurs agglomérations, «où la construction est plus chère et soumise à des règles plus strictes».
De plus, selon Avenir Suisse, dans une ville comme Zurich, outre 25% de personnes habitant dans des coopératives, 12% sont propriétaires et plus de 40% sont «captifs» et ne quittent pas leur logement pendant des années, voire des décennies. Ce sont 75% des habitants qui sont «protégés contre l’évolution des prix».
«La politique du marché du logement des grandes villes suisses est historiquement axée sur les ménages à revenus faibles, écrit Patrik Schellenbauer. Le citadin suisse de la classe moyenne se sent donc sous pression», quand bien même, selon l’expert, les loyers sont tendanciellement trop bas dans les grandes villes.
Les nouveaux venus, «qui ne sont pas tous étrangers, mais également suisses», précise le chercheur, doivent se tourner vers le marché des nouvelles constructions et des rénovations pour se loger. Dans ce segment, effectivement, les prix explosent.
Les coopératives contre-attaquent
L’étude dénonce l’encouragement aux coopératives de construction, qui fait perdre des recettes fiscales à la collectivité et entrave la mobilité des locataires. Or ce sont les travailleurs hautement qualifiés qui ont, précisément, besoin de mobilité.
Dans un communiqué, l’Association suisse des locataires (Asloca) s’est insurgée contre cette critique. «Contrairement aux gérances privées, les coopératives ne recherchent pas un rendement de leur parc locatif, ce qui permet d’abaisser les loyers. Les profiteurs ne sont certainement pas les habitants des coopératives mais les propriétaires privés qui veulent obtenir de fortes marges bénéficiaires aux centres des villes.»
Dans plusieurs cantons, l’Asloca a déposé des initiatives demandant de nouveaux instruments de régulation du marché du logement pour stopper la pénurie. Une des idées récurrentes est de créer des zones avec des quotas minimums de loyers modérés. Zoug a accepté un tel projet en votation.
Un seul point met tout le monde d’accord: il faut construire davantage de logements. Pour Avenir Suisse, la densification des centres urbains est incontournable. «C’est la seule manière de préserver le sol et le paysage tout en accueillant de nouveaux migrants hautement qualifiés, «dont la Suisse dépend pour conserver son bien-être matériel.»
Ariane Gigon, Zurich pour swissinfo.ch