En projetant d'engager des apprentis sans statut légal, la ville veut briser l'immobilisme des autorités fédérales, explique le municipal socialiste Oscar Tosato. Une interview de Michaël Rodriguez dans le Courrier.
«Maintenant, ça suffit! La situation devient grave. Nous franchissons le pas.» Municipal lausannois de l'enfance, de la jeunesse et de l'éducation, le socialiste Oscar Tosato ne craint pas de défier les autorités fédérales en prévoyant d'engager des apprentis sans papiers en dépit des obstacles légaux. L'exécutif de la ville a dévoilé ce projet mercredi (notre édition d'hier), en réponse à une motion popiste déposée en 2002. Interview.
Qu'est-ce qui vous a poussé à lancer ce pavé dans la mare?
Oscar Tosato: C'est dramatique d'imaginer que l'on bloque à 16 ans des jeunes qui, pour quelques-uns, sont nés en Suisse, et qui y ont fait toute leur scolarité. On ne peut décemment pas penser que la solution soit le retour dans leur pays d'origine: pour eux, il n'y a plus de pays d'origine. De par ma fonction, je dois faire respecter l'égalité des chances entre tous les enfants qui sont à Lausanne. Ce qui signifie, selon la Convention internationale des droits de l'enfant: tous les jeunes de moins de 18 ans. Aujourd'hui, les autorités cantonales acceptent les jeunes sans papiers au gymnase. Il n'y a pas de raison que seuls ceux qui ont le plus de capacités scolaires puissent se former.
La ville de Lausanne ne se mettrait-elle pas dans l'illégalité?
Oui, mais quand on le fait en termes politiques, on veut montrer qu'il y a dans la législation quelque chose qui ne joue pas. Si, en politique, on ne peut pas faire des propositions pour faire avancer les choses, je ne vois pas où cela serait possible.
Avez-vous averti les autorités fédérales de cette démarche?
Non. Nous n'avons demandé l'aval à personne.
Si les autorités fédérales vous lancent un avertissement, vous laisserez-vous impressionner?
Je me laisserai impressionner par des solutions. Pas par des avertissements.
Pourquoi ne répondre que huit ans plus tard à la motion popiste?
Pour plusieurs raisons. La ville voulait attendre le résultat d'une étude qu'elle a commandée sur la situation globale des sans-papiers à Lausanne. Il s'agissait aussi de voir si une solution cantonale se profilait, dans le cadre du groupe de travail mandaté par le Conseil d'Etat. Ce groupe de travail a émis un certain nombre de propositions qui, pour l'essentiel, n'ont pas été suivies d'effets. Les travaux se sont bloqués pour les mêmes raisons que partout ailleurs: la loi fédérale sur les étrangers fixe comme condition absolue l'obtention d'un permis de travail. Enfin, nous voulions attendre la réponse du Conseil fédéral aux interventions parlementaires demandant un accès pour les jeunes sans papiers à la formation professionnelle. Mais le Conseil fédéral ne fait que répéter qu'il faut se contenter des solutions au cas par cas, une voie qui est le plus souvent sans issue.
Le 3 mars, les Chambres fédérales traiteront justement ces interventions parlementaires. Vous voulez leur mettre la pression?
Oui, absolument. Il faut maintenant que l'Assemblée fédérale légifère. Un autre élément déclencheur a été le soutien à cette revendication exprimé récemment par le Grand Conseil vaudois. Troisième facteur: la campagne exécrable de l'UDC sur les minarets a montré qu'il n'y a rien à attendre d'une politique de concertation avec ce parti.
Les socialistes se plaignent régulièrement qu'il n'y a pas assez d'inspecteurs pour lutter contre le travail au noir dans le canton de Vaud. N'êtes-vous pas en pleine contradiction?
Les inspecteurs du travail sont absolument essentiels, afin de contrôler des entreprises dont on sait qu'elles font du dumping et qu'elles cassent le marché du travail. Le principe du travail au noir ne consiste pas à donner un emploi à des gens qui n'en ont pas, mais à payer de la main-d'oeuvre à vil prix. Il faut combattre le travail au noir en contrôlant les entreprises et en donnant plus de permis de séjour.
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Des ministres courroucés
Le projet de la ville de Lausanne s'attire les foudres de plusieurs ministres cantonaux. Le chef du Département de l'intérieur, Philippe Leuba, vitupère contre cette manière de «violer sciemment la loi». Le conseiller d'Etat libéral a demandé un avis de droit aux juristes du canton. Les premiers éléments qu'il a reçus par oral «ne souffrent aucune discussion: c'est illégal». Pour le ministre de l'Economie, l'UDC Jean-Claude Mermoud, l'engagement d'apprentis sans papiers «relève du travail au noir».
Les deux conseillers d'Etat avertissent donc la ville qu'elle s'exposerait à des sanctions administratives et à une dénonciation pénale. Philippe Leuba souligne en outre que la législation sur les étrangers oblige les syndics à dénoncer les infractions dont ils ont connaissance. «Si M. Brélaz est au courant de l'emploi d'une personne sans statut légal, il a l'obligation légale de dénoncer l'employeur au juge d'instruction», s'exclame le ministre. L'UDC de la ville de Lausanne s'en prend également à la décision municipale. Dans un communiqué diffusé mercredi soir, elle menace de lancer un référendum.
Au Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers, Jean-Michel Dolivo se réjouit à l'inverse de cette démarche. Il ne craint guère que les apprentis sans statut légal deviennent des cibles faciles pour les opérations de renvoi. «La situation de la plupart des sans-papiers qui travaillent actuellement est connue des autorités, parce qu'ils cotisent aux assurances sociales». MR