Environ 250 000 albanophones vivent en Suisse. Une grande majorité sont Kosovars. Si des clichés tenaces sont encore véhiculés, leur intégration est toujours plus évidente. Depuis le 29 mai, ils disposent de leur propre «Assemblée des Albanais de Suisse». Le Temps a choisi de raconter six parcours de vie, des exemples de réussite.
Ils ont beau être là depuis dix ou vingt ans, ils peinent encore parfois à se débarrasser de clichés, tenaces. Environ 250 000 albanophones vivent en Suisse: 190 000 sont des Kosovars, 50 000 des Macédoniens, 10 000 des Albanais de Serbie, 2000 viennent d’Albanie et environ autant du Monténégro. La plupart sont arrivés dans les années 90 pour fuir les événements des Balkans, le pic ayant été atteint en 1998 et 1999, avec l’arrivée de 50 000 réfugiés kosovars. D’autres ont émigré plus tôt, dès les années 60, comme simples saisonniers, puis par le biais du regroupement familial.
Et qu’ils soient naturalisés ou non, installés depuis de longues années dans le même village ou pas, ils se voient encore trop souvent assimilés à des «chauffards», «trafiquants» ou «magouilleurs». Le récent rapport de Dick Marty accusant le premier ministre du Kosovo Hashim Thaçi et d’autres ex-membres de l’UÇK, l’Armée de libération du Kosovo, de trafics d’organes, n’a pas vraiment contribué à redorer l’image des Kosovars. A cela s’ajoutent les préjugés liés à l’islam. Or, les exemples d’intégration rapide et d’ascension sociale réussie ne sont pas difficiles à trouver. Nous avons choisi de raconter six trajectoires originales, du plongeur devenu patron de restaurant à la jeune socialiste élue au parlement lucernois, en passant par une psychiatre devenue cheffe de clinique.
Une étude commandée par l’Office fédéral des migrations sur les Kosovars en Suisse, parue en août 2010, souligne la faible qualification de la majorité d’entre eux. D’où une intégration difficile sur le marché du travail. Les discriminations à l’embauche ne facilitent pas les choses. De même que certaines mesures, comme dans le domaine des assurances auto où les ressortissants des Balkans doivent parfois payer une prime plus élevée, qui ne font que stigmatiser davantage cette population.
Mais l’étude donne aussi l’exemple de simples salariés qui, à force de persévérance et de travail, ont su se hisser à des postes à responsabilités. Et confirme que les entrepreneurs albanophones ne sont plus rares. Après s’être lancés dans le tourisme, puis dans l’édition (publication de journaux kosovars), le bâtiment, l’horticulture et la gastronomie, ils se sont aussi tournés récemment vers les assurances. Malgré certaines difficultés. «Je connais des chefs d’entreprise qui ont bien réussi, mais certains pensent aussi qu’engager des gens au noir leur permettra de faire plus de profit», témoigne l’avocat Asllan Karaj, qui tient un cabinet de conseil à Lausanne. «J’essaie de leur expliquer qu’il y a des démarches et des cotisations à respecter en Suisse.»
L’étude conclut sur une note positive: le processus d’intégration des immigrés kosovars devrait suivre une évolution comparable à celle des migrants italiens et espagnols. Lentement, mais sûrement. «Le processus d’intégration s’est accéléré dès la fin de la guerre, mais s’est encore accentué avec l’indépendance du Kosovo en 2008», commente Naim Malaj, ambassadeur du Kosovo à Berne. «Avant la guerre, les Kosovars étaient physiquement ici mais leur esprit était encore «là-bas». Aujourd’hui, ceux qui décident de rester en Suisse peuvent enfin s’y projeter vraiment: ils investissent dans l’éducation de leurs enfants, commencent à acheter des biens immobiliers et sont toujours plus nombreux à se naturaliser. C’est un signe.» Naim Malaj a lui-même connu une ascension aussi rapide que surprenante dès la proclamation de l’indépendance du Kosovo. Travailleur social à Genève, il a été, presque du jour au lendemain, appelé à exercer la fonction d’ambassadeur à Berne, alors que rien ne l’y prédestinait.
Bashkim Iseni, qui dirige le site internet Albinfo, tient un discours similaire. Les Kosovars se sont bien libérés d’un poids depuis la fin de la guerre, dit-il, mais beaucoup, après s’être investis pour soutenir la cause nationale, sont écoeurés par la corruption qui sévit dans leur pays et déçus par une classe dirigeante qui ne parvient pas à redresser le pays économiquement. Voilà qui renforce encore leur volonté de construire leur avenir en Suisse. «Je connais beaucoup de gens qui, partis de rien, ont gravi les échelons à force de persévérance. Il y aurait par ailleurs aujourd’hui plus de 1000 étudiants albanophones dans les universités suisses alors que, dans les années 90, j’étais un des seuls. Tout cela est très encourageant!» commente-t-il.
L’intégration grandissante des Albanophones se révèle aussi à travers une organisation plus visible, mieux structurée de la diaspora. Les associations culturelles sont nombreuses et le rôle de l’Université populaire albanaise ou de la «Albanian International Scholarship Foundation», basées à Genève, connu. Mais depuis le 29 mai, ils disposent de leur propre «Assemblée des Albanais de Suisse», sorte d’organisation faîtière dont la constitution a été encouragée par les autorités fédérales. Elle est présidée par Orhan Spahiu, un étudiant de 28 ans. Le site Albinfo, lui, a été créé en octobre. Cette plateforme d’informations sur l’actualité suisse et des Balkans est disponible en albanais, français et allemand. Réalisée en partenariat avec Edipresse, elle est soutenue par la Direction du développement et de la coopération et la Commission fédérale pour les questions de migration.
Autre fait marquant: l’implication grandissante d’Albanophones dans la vie politique suisse. Dans le canton de Lucerne, 180 Kosovars viennent de créer l’Association des Kosovars démocrates-chrétiens, intégrée à la section cantonale du PDC.
Valérie de Graffenried dans le Temps
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