Des milliers de réfugiés, notamment soudanais et érythréens, sont arrivés récemment après avoir traversé le Sinaï. Le gouvernement israélien évoque une «menace stratégique» et est en train de créer un immense camp dans le désert du Néguev.
«Ne jouez pas au justicier, laissez-nous agir selon les règles en vigueur.» Dans une déclaration dramatique improvisée le 22 décembre, Benyamin Netanyahou a appelé ses concitoyens à ne pas s’en prendre physiquement aux milliers de réfugiés africains qui affluent depuis quelques mois dans l’Etat hébreu. L’appel du premier ministre fait suite à la tentative d’incendie volontaire d’un appartement d’Ashdod dans lequel huit Soudanais s’étaient retrouvés enfermés le 16 décembre. Il répondait également aux manifestations qui se multiplient dans le sud de Tel-Aviv pour exiger l’expulsion de ces «étrangers qui nous apportent la délinquance et les maladies».
Dans la nuit du 13 au 14 décembre, Israël a déjà expulsé par charter 150 clandestins soudanais, et d’autres rafles devraient suivre. Cette mesure radicale fait partie d’une politique mise au point par le ministre de l’Intérieur, Elie Yishaï (Shas). Dans ce cadre, le gouvernement israélien a entamé il y a un mois la construction d’une nouvelle «barrière de sécurité» qui serpentera le long de la frontière égyptienne. Les unités spéciales de la police chargées de traquer les clandestins ont été renforcées et un camp géant de 10 000 places est en cours d’établissement dans le désert du Néguev.
Selon Elie Yishaï, les immigrés africains constitueraient «une menace stratégique plus grave que les Palestiniens», parce que les clandestins ne sont pas juifs et qu’ils «véhiculent le sida».
«Cas de viol et de torture»
Combien sont-ils? Nul ne le sait précisément. A Eilat, la station balnéaire israélienne la plus fréquentée, la municipalité affirme qu’ils représentent environ 10% de la population de la ville (30 000 habitants). Principalement des réfugiés soudanais (Darfour) et érythréens. Mais l’on trouve également de nombreux Ghanéens, Congolais et Nigérians à Beer-Sheva, à Tel-Aviv, et à Ashdod où s’est d’ailleurs développé un «quartier soudanais».
«La phase la plus terrible du voyage pour se rendre en Israël, c’est la traversée du désert du Sinaï car les Bédouins censés nous guider tentent souvent de nous dépouiller. Il y a eu des cas de viol et de torture», raconte Samara, une chrétienne du Darfour employée comme femme de ménage dans un quartier branché de Tel-Aviv. «Le long de la frontière avec Israël, les gardes égyptiens tirent à vue [ndlr: 30 morts depuis le début de l’année]. Quant aux militaires israéliens, certains proposent de l’eau mais la plupart nous laissent en plan au milieu de nulle part.»
Car l’armée israélienne refuse le plus souvent de prendre en charge les clandestins interpellés. Elle se contente de les repousser de l’autre côté de la frontière égyptienne en sachant qu’ils risquent la mort. Au début de novembre, un officier de réserve a toutefois refusé d’exécuter un ordre de renvoi qui concernait 13 Africains exténués, dont plusieurs enfants. «Je ne pouvais pas faire une chose pareille. Je serai peut-être puni, mais je pourrai me regarder dans un miroir», a-t-il déclaré en apprenant qu’il serait traduit devant une juridiction militaire pour insubordination.
Originaire du Congo, Mathias s’est installé en Israël avec un visa de touriste. Il réside depuis lors dans un taudis que se partagent neuf autres compagnons d’infortune. «C’est dur mais nous ne dormons pas sur les trottoirs comme beaucoup d’autres et l’on ne se plaint pas, affirme-t-il. Chaque matin, on attend dans un parc qu’un entrepreneur nous embarque pour travailler sur les chantiers. En général, il paie 20 euros pour quinze heures de travail. Ce n’est pas beaucoup mais, avec ça, j’ai de quoi manger pour une semaine en faisant attention.»
Au fil des opportunités, le Congolais a ainsi nettoyé des restaurants pendant la nuit, coulé du béton et trié des légumes dans une épicerie de quartier. «Le patron de ce magasin ne me payait pas, mais il me donnait de la marchandise, se rappelle-t-il. Depuis mon arrivée, je sais que je n’ai aucun avenir ici, mais j’ai toujours trouvé du travail. J’ai vraiment beaucoup de chance par rapport à d’autres qui mènent une vie de chien.»
Serge Dumont dans le Temps