mercredi 9 juin 2010

Service militaire à vie: un ancien enfant soldat érythréen raconte son calvaire

Alors que la Suisse veut durcir les conditions d'asile pour les déserteurs érythréens, un jeune réfugié témoigne sur ses années passées sous les drapeaux de l'un des pires régimes de la planète. Un article de Simon Petite dans le Courrier.


«J'ai eu beaucoup de chance», dit le jeune Erythréen, très reconnaissant envers la Suisse qui lui a accordé l'asile à la fin de l'année 2006. A partir de cette même année, les demandes d'asile en provenance d'Erythrée, l'un des pays les plus répressifs de la planète, se sont multipliées. A écouter ce réfugié, on comprend mieux pourquoi. Six ans après son arrivée en Suisse, il a souhaité témoigner au nom de toutes celles et tous ceux restés au pays, mais aussi pour se reconstruire. Mais Frank, appelons-le ainsi, a voulu conserver l'anonymat, par peur de représailles contre sa famille. Son histoire familiale se confond avec celle de l'Erythrée, pays de cinq millions d'habitants qui a gagné son indépendance en 1993, après une longue guerre contre l'Ethiopie. La rivalité n'a pas cessé, puisque les deux voisins se sont à nouveau affrontés entre 1998 et 2000.
La famille de Frank a le tort d'être mixte, père érythréen et mère éthiopienne. Quand la guerre éclate, la famille, qui vivait côté éthiopien, est coupée en deux. Lui, son père et sa petite soeur sont expulsés vers l'Erythrée. «A l'école, on me traitait de bâtard en raison des origines de ma mère. J'ai changé plusieurs fois d'établissement mais sans résultat. J'ai alors décidé de travailler dans l'entreprise de mon père», raconte Frank.
A l'école de l'armée
Nous sommes en 2002 et Frank a 15 ans. Malgré la fin du conflit avec l'Ethiopie, l'Erythrée est plongée dans un climat de paranoïa dirigée contre «les ennemis intérieurs». L'ouverture politique qui avait marqué la période après l'indépendance est révolue. Les élections ont été repoussées, les opposants et les journalistes emprisonnés.
En 2002, le gouvernement décide que tous les Erythréens et les Erythréennes sont mobilisables pour une durée indéterminée, alors que le service militaire était auparavant limité à dix-huit mois. C'est dans ce contexte que la police arrête Frank. «Je n'avais pas de carte d'étudiant. Pour eux, j'avais forcément fui l'armée.»
Frank est donc envoyé dans le camp d'entraînement de Sawa, perdu dans l'ouest de l'Erythrée. «Nous étions environ vingt mille personnes. Les plus jeunes avaient 12 ou 13 ans, les plus vieux 50 ans. Eux non plus n'avaient pas le choix.»
L'ancien enfant soldat décrit les vexations, les mauvais traitements comme le «supplice de l'hélicoptère», suspendu, pieds et mains liés dans le dos. Les déserteurs enfermés dans des containers enterrés dans le sol et «qu'on ne revoyait jamais». Il se souvient aussi de ces deux prisonniers, un sac sur la tête, qui ont pris place à l'arrière de son véhicule. «Nous avons roulé quarante-cinq minutes. On m'a dit de m'arrêter. Ils sont sortis, puis j'ai entendu des coups de feu. Je n'ai rien demandé, car il n'y avait rien à demander.»
Pire pour les filles
Signe de la militarisation du pays, les élèves effectuent leur dernière année d'école dans le camp de Sawa. Il ne s'agit pas seulement de combler les pertes de la guerre avec l'Ethiopie. Les soldats servent aussi de main-d'oeuvre corvéable à merci pour construire des routes, des ponts, rénover les maisons des généraux ou travailler dans des entreprises liées à l'armée. «Un service militaire à vie», comme le décrivait Human Rights Watch dans un rapport édifiant rendu public l'an dernier.
«C'est encore pire pour les filles, explique Frank. Elles travaillent prétendument comme secrétaires ou infirmières mais en réalité elles servent de prostituées pour les gradés. Quand elles tombent enceinte, elles sont complètement marginalisées.»
La guerre continue
Frank, lui, a été envoyé dans une unité de démineurs sur la frontière éthiopienne. «Les combats étaient officiellement terminés, mais nous continuions à poser des mines côté éthiopien et à en enlever côté érythréen. Nous étions censés établir des cartes mais en théorie seulement. Résultat: ce sont les paysans qui sautaient sur les mines», témoigne-t-il. Les accrochages entre les deux armées sont quotidiens et parfois meurtriers.
Un jour, son unité est décimée par un avion de chasse éthiopien. «Je me souviens encore des corps calcinés, rabougris comme des bébés», dit-il. Avec l'aide de son père, il se résout à fuir l'Erythrée. Il traverse la frontière soudanaise avec un passeur. «Nous avons marché deux jours. L'armée érythréenne tire à vue et s'ils t'attrapent, tu finis dans un container.»
Mais Frank a de la chance. Après plusieurs mois au Soudan, il part pour la France, puis arrive au centre d'enregistrement pour requérants de Vallorbe. Il tente aujourd'hui de se construire un avenir en Suisse mais il n'oublie jamais le sort des soldats perdus, là-bas en Erythrée.

La Libye expulse le HCR sans lui dire pourquoi

Tripoli a ordonné au Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de quitter la Libye. L’organisation onusienne, basée à Genève, a vivement protesté hier contre cette décision, dont les raisons ne lui ont pas été communiquées.

«Notre départ va créer un grand vide pour les milliers de réfugiés et demandeurs d’asile que nous assistons, a déclaré Melissa Fleming, porte-parole du HCR. Nous n’arrivions pas à couvrir tous les besoins, mais nous avons pu enregistrer en Libye quelque 9000 réfugiés ainsi que 3700 demandeurs d’asile.» L’ordre de fermer le bureau de Tripoli a été communiqué mercredi dernier au HCR, qui est présent dans le pays de Muammar Kadhafi depuis 1991. «Nous devons obéir et faire nos valises», a affirmé la porte-parole.

Maltraitances et tortures

L’expulsion du HCR inquiète profondément les défenseurs des droits humains. «La situation des requérants d’asile en Libye était déjà un thème de préoccupation majeur pour nous, explique Manon Schick, d’Amnesty International Suisse. Ce pays n’a jamais signé la Convention de l’ONU sur les réfugiés. Le sort des migrants y est déjà extrêmement difficile. Alors, si le HCR, qui était la seule organisation à s’occuper d’eux, n’est plus là, cela va devenir catastrophique.»

La Libye est déjà depuis longtemps un pays de transit pour des migrants venus d’Afrique subsaharienne qui tentent de traverser la Méditerranée pour gagner l’Europe. Et la situation s’est encore compliquée l’année dernière, lorsque Tripoli et Rome ont passé un accord permettant à l’Italie de refouler vers la Libye les clandestins interceptés en mer. Une décision qui avait déjà été fortement critiquée.

«Tripoli n’examine absolument pas la situation de ces migrants. Ils sont détenus dans des prisons ou simplement parqués dans des camps, explique Manon Schick. Nous avons collecté de nombreux témoignages concordants sur des maltraitances et des tortures. Et certains requérants d’asile sont tout simplement renvoyés chez eux. Sans que les autorités libyennes ne se soucient des risques qu’ils encourent dans leur pays.»

Silence de Rome

Pour l’heure, Rome ne s’est pas prononcée sur l’expulsion du HCR. Mais Melissa Fleming a déjà affirmé que «tous les gouvernements européens qui utilisent la Libye comme un endroit où peuvent être reçues les personnes qui fuient des persécutions devraient réexaminer avec soin leur position».

Sur le même sujet, lire l’article du Matin ou celui paru dans l’Express

“Moutons noirs”: coup de pouce à l’UDC

Antonio Hodgers, conseiller national (Verts/GE), désapprouve le contre-projet à l’initiative de l’UDC, simple réplique du texte initial. La faute à une stratégie timorée des autres partis gouvernementaux.

Lors des débats parlementaires sur l’initiative de l’UDC «Pour le renvoi des étrangers criminels», une majorité composée du PLR, du PDC et du PS s’est entendue pour lui opposer un contre-projet qui n’est, en réalité, qu’une reformulation juridiquement plus cohérente du texte de l’initiative. «Il faut limiter les dégâts», «l’initiative a tout de même été signée par plus de 200 000 citoyens», «on ne peut pas revivre le traumatisme des minarets», entend-on ci et là, du ton de celui qui est conscient d’aller contre ses convictions, mais qui s’absout lui-même en prétextant qu’il n’a pas eu le choix. De plus, pour certains, les arrière-pensées électorales ne sont pas loin: «Il faut coûte que coûte éviter de donner un succès à l’UDC à la veille des élections fédérales.» Ces stratèges pensent qu’une victoire du contre-projet sur l’initiative sera une victoire des partis PRL-PDC-PS sur l’UDC, même si leur texte en est un plagiat. Que cela soit de bonne foi ou par calcul, à mon sens, ces trois partis se trompent.

Tout d’abord, ils ont perverti l’usage du contre-projet. En effet, une initiative populaire est soumise à deux traitements parlementaires distincts: le premier concerne sa validation juridique, et le second son acceptabilité politique, avec l’éventualité de lui opposer un contre-projet plus consensuel. Or, la majorité parlementaire a validé juridiquement l’initiative, tout en lui opposant un contre-projet similaire sur le fond, mais juridiquement respectueux du droit international et des droits fondamentaux. On donne une réponse politique à une question juridique.

Le plus cohérent aurait été de décider une invalidation partielle, imputant l’initiative de ses aspects contraires aux droits supérieurs et fondamentaux, et soumettant en votation le texte restant. Faute de courage, et niant son mandat constitutionnel, le parlement a préféré utiliser un contre-projet en laissant ainsi de manière malsaine le peuple arbitrer une question juridique.

Ensuite, avec ce contre-projet, le triumvirat gouvernemental pense faire un pied de nez à l’UDC en la privant de sa (très probable) victoire devant le peuple. Mais comment peut-on prétendre avoir battu politiquement un adversaire quand on a repris à son compte toutes ses thèses? En réalité, l’alliance PLR-PDC-PS a déjà perdu. L’UDC n’a même plus à se battre pour trouver des majorités sur ses propositions, les autres partis gouvernementaux s’en chargent. La menace suffit pour que ces trois partis se mettent à travailler avec zèle à la concrétisation politique et juridique de leurs idées. Mais l’acceptation du contre-projet par le peuple au lieu de l’initiative sera une victoire à la Pyrrhus. Car les citoyens finissent toujours par préférer l’original à la copie…

Enfin, il faut s’inquiéter de la teneur des débats autour de l’initiative des «moutons noirs» qui montre une nouvelle fois le glissement électoraliste de la classe politique lorsqu’il s’agit de débattre du cocktail étrangers-sécurité. «Il faut répondre au sentiment d’insécurité de la population», répète-t-on comme un leitmotiv. Or, personne au sein du parlement ne s’est posé la question de la réelle pertinence de l’instrument de sanction proposé par l’initiative, à savoir l’expulsion systématique. Comme la criminalité étrangère est avant tout le fait de groupes organisés, ceux-ci, lorsqu’ils sont appréhendés, font déjà aujourd’hui l’objet de mesures d’expulsion. Si elles ne sont souvent pas appliquées – ce qui est un réel problème –, c’est faute d’accords de réadmission ou d’établissement de l’identité réelle des prévenus. Dès lors, les textes de l’initiative et du contre-projet n’apporteront aucune solution à cette situation. Que l’UDC émette des propositions qui n’améliorent pas la sécurité, c’est normal: ce parti cherche à utiliser la peur des gens, pas à y répondre. De plus, si la Suisse devenait plus sûre, le parti d’extrême droite perdrait des voix; il n’a donc aucun intérêt à défendre des solutions efficaces.

Par contre, que les trois autres partis gouvernementaux ratifient des propositions creuses et valident ainsi une politique dénuée de fondement matériel, cela relève d’une dangereuse tendance démagogique. Les lois doivent être faites pour répondre de manière efficace à des problèmes réels, non pas pour donner crédit à des «ressentis».

Le PLR, le PDC et encore moins le PS ne devraient chercher à reformuler les thèses de l’UDC; à force de jouer au pompier, on en vient à légitimer l’incendiaire. Au contraire, les partis républicains nécessitent de se concentrer sur la résolution réelle des situations à risque par des mesures efficientes et respectueuses de droits fondamentaux. Et, quand il le faut, résister aux propositions aussi populistes qu’inefficaces, quitte, parfois, à perdre en votation.

Antonio Hodgers dans le Temps