L'accompagnement médical des renvois forcés est la cible de vives critiques. Un article publié au début du mois de mars dans le Bulletin des médecins suisses appelle la profession à refuser son concours lors des expulsions par vols spéciaux.
L'auteur de ce texte, le cardiologue et président de l'association Ethique et médecine Michel Romanens, estime que la sécurité des personnes expulsées ne peut pas être garantie. Selon lui, les médecins ne doivent pas légitimer des renvois qui se déroulent dans des conditions «éthiquement inacceptables». Le président de la Fédération des médecins suisses (FMH), Jacques de Haller, a également fait part de son scepticisme dans la presse, et critiqué l'absence de formation spécifique pour les accompagnants.
Expertise contestée
Dans son article, Michel Romanens revient sur la mort d'un requérant d'asile nigérian à l'aéroport de Kloten, en mars 2010. Il accuse les autorités en charge des expulsions d'être «entièrement responsables» de la tragédie, et conteste les résultats de l'autopsie. L'Institut de médecine légale de l'université de Zurich est arrivé à la conclusion que le Nigérian souffrait d'une grave maladie cardiaque presque impossible à détecter.
Pour Michel Romanens, ce diagnostic s'apparente davantage à une «construction» permettant de couvrir les autorités qu'à une démonstration scientifique solide. En l'état, rien ne prouverait que l'homme souffrait d'une maladie cardiaque. Il n'est pas exclu que l'état de faiblesse dans lequel il se trouvait après au moins quarante jours de grève de la faim, combiné au stress de la situation, ait suffi à provoquer une arythmie mortelle. Cela aurait en tout cas dû dissuader les autorités d'exécuter le renvoi.
Contacté par téléphone, le cardiologue affirme que l'expertise médicale zurichoise est entachée d'un conflit d'intérêts: elle a été réalisée par le mari de la conseillère d'Etat saint-galloise Karin Keller-Sutter, présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police et adepte de la ligne dure en matière d'immigration.
L'article du cardiologue et les démarches de l'avocat de la famille du défunt ont poussé le Ministère public zurichois à ordonner le 15 mars dernier une nouvelle autopsie. Elle sera réalisée par l'Institut de médecine légale de l'université de Giessen, en Allemagne. Une décision saluée par Michel Romanens. Selon lui, il sera possible de déterminer si le requérant d'asile souffrait réellement d'une maladie cardiaque, notamment en procédant à des tests génétiques.
Manque d'informations
Un accompagnement médical lors des expulsions ne permettrait-il pas d'éviter de tels drames? Michel Romanens en doute. D'une part, les médecins ne sont pas assurés de connaître suffisamment bien l'état de santé des personnes concernées. En vertu du secret médical, certaines informations ne leur sont pas transmises par les médecins pénitentiaires, affirme le cardiologue. Comme ils sont mandatés par l'autorité d'expulsion, il leur est en outre difficile d'obtenir la confiance du «patient» et de procéder eux-mêmes à des examens.
D'autre part, les conditions de renvoi compromettent les chances de survie en cas d'arrêt cardiaque. Durant leur transfert à l'aéroport, les expulsés sont attachés à une chaise et revêtus d'une cagoule. Cela empêche les médecins de détecter une éventuelle situation de détresse et d'intervenir à temps pour réanimer la personne. Le requérant d'asile nigérian «est mort plus ou moins sans qu'on le remarque et sans assistance médicale adéquate», note Michel Romanens. En l'état, les médecins ne peuvent pas se porter garants de la sécurité des personnes expulsées et «doivent refuser de participer à ces procédures».
Michaël Rodriguez dans le Courrier