Le canton de Vaud s'apprête à priver une fillette de son père, requérant d'asile béninois en instance de renvoi. Le grand-père maternel de l'enfant, un Fribourgeois, interpelle les autorités. Un article de Michaël Rodriguez dans le Courrier.
«Ma petite-fille souffre de plus en plus de l'absence de son père. On est en train de détruire sa vie!» C'est un véritable cri d'alarme que lance Bernhard Hugo, un jeune retraité établi à Domdidier dans la Broye fribourgeoise. Grand-père d'une enfant de sept ans, il ne supporte pas de la voir privée de son père, un Béninois détenu dans l'attente de son expulsion.
Lettre aux autorités
Bernhard Hugo a envoyé récemment une lettre au ministre vaudois Philippe Leuba et à la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf pour plaider en faveur de Dieudonné, le père de la fillette. Le 27 mars dernier, la Ligue suisse des droits de l'homme et la Coordination asile lui ont emboîté le pas.
«En renvoyant Dieudonné, vous punissez non seulement le requérant débouté mais aussi sa fille, qui «perdra» son père à un âge où tout le monde reconnaît l'importance des liens parentaux», écrit Bernhard Hugo. Depuis plus d'un mois, le jeune papa est incarcéré à la prison de Frambois, à Genève. Il aurait probablement déjà été renvoyé si les vols spéciaux n'avaient été suspendus par les autorités fédérales suite à la mort d'un requérant d'asile nigérian le 17 mars dernier.
Des zones d'ombre
Même si sa fille est séparée du jeune Béninois, Bernhard Hugo a décidé de se battre pour lui comme s'il était son beau-fils, à la fois parce qu'il a «appris à l'apprécier» et en raison de «la relation très forte» de l'enfant avec son père. Le retraité est bien placé pour en juger, puisqu'il vit sous le même toit que sa fille et sa petite-fille, dans la ferme familiale de Domdidier. La mère de la fillette confirme que Dieudonné entretient un lien étroit avec cette dernière. «Ce serait mieux pour elle qu'il reste ici et qu'il puisse travailler», juge-t-elle.
Le parcours de Dieudonné n'est pourtant pas sans zones d'ombre. Lorsqu'il raconte son histoire, le jeune Béninois ne cherche d'ailleurs pas à dissimuler ses démêlés avec la justice. C'est spontanément qu'il relate – tout en clamant son innocence – sa condamnation à 18 mois de prison avec sursis en 2005, pour trafic de drogue. En 2008, il a aussi été pincé en possession d'un faux passeport français, ce qui lui a valu de passer deux mois à la prison de la Croisée, à Orbe.
«Je fais tout pour m'en sortir, affirme Dieudonné. Mais on ne me laisse pas ma chance.» D'abord celle d'avoir une vie professionnelle. A son arrivée en Suisse, en 2002, le jeune Béninois a trouvé un emploi, mais il a dû le quitter huit mois plus tard suite au rejet de sa demande d'asile. En 2005, il a entamé une nouvelle démarche de régularisation. «Les autorités m'ont dit que je devais avoir un emploi et une adresse de résidence.» Dieudonné obtiendra finalement un logement et une promesse d'engagement dans une pizzeria à Villeneuve. En vain: la réponse des autorités est négative.
Droit à la famille menacé
Les antécédents judiciaires du père ne changent rien au problème de fond: est-il acceptable de punir un enfant en le privant d'un de ses parents? L'histoire de Pitchou, un jeune papa congolais libéré in extremis après une demande de réexamen à Berne, avait déjà fait craindre une violation du droit à la famille.
La Convention relative aux droits de l'enfant veut que les Etats «veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré», sauf si son intérêt supérieur l'exige. Et dans le cas où il y aurait tout de même séparation, il s'agit de respecter «le droit de l'enfant (...) d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents».
Qu'en serait-il si Dieudonné était expulsé? «C'est dramatique, lance Laurent de Mestral, avocat du jeune homme et ancien juge cantonal. Avec un renvoi, l'enfant ne verra plus son père. D'ici qu'il obtienne un visa depuis le Bénin pour rendre visite à sa fille, il se passera beaucoup de temps!»