Yves Christen et Philippe Leuba sont les invités de la page Débat du quotidien 24 Heures.
Il est dans notre intérêt de dire oui
Pourquoi accorder le droit de vote aux étrangers établis chez nous depuis dix ans et quasiment intégrés, alors qu’ils rempliraient les conditions de la naturalisation? C’est la question à laquelle vous devez répondre le 4 septembre.
J’y ai longuement réfléchi et j’ai fini par me convaincre de voter oui. Ce n’est ni par provocation, en ces temps de redoublement de la xénophobie, ni seulement par esprit d’ouverture, mais parce qu’il en va de l’intérêt à long terme de notre canton. Tout m’incite à penser que la société de demain sera plus ouverte et qu’elle tendra inéluctablement à distinguer la citoyenneté de la nationalité, cette dernière n’étant qu’une couche supplémentaire dans le millefeuille de nos identités.
Bien sûr, l’Europe entière vit une crise qui renforce les mouvements nationalistes populistes. On voit naître des alliances entre extrême droite et gauche dure pour lutter contre la mondialisation qui générerait une croissance néfaste. On propose de rétablir des frontières et des barrières douanières. Mais l’évolution prévisible de la démographie en Europe, et dans notre pays en particulier, indique que le Vieux-Continent va vers une décroissance naturelle du fait du vieillissement de sa population.
Dans vingt ans, il n’y aura plus assez de Suisses actifs pour financer les retraites. C’est grâce à l’immigration des pays dits jeunes que nous compenserons le manque de travailleurs, de cerveaux et de bras, dans toutes les branches de l’économie. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais le phénomène s’amplifiera. Autrement dit, la libre circulation va devenir la règle en matière d’emplois au-delà de l’Union européenne. Quelles que soient les gesticulations électoralistes de l’UDC.
Il faut s’y préparer en intégrant encore mieux ces hommes et ces femmes que jusqu’ici on qualifiait de main-d’œuvre. Prêts à quitter leur pays, ces immigrés, qui seront de mieux en mieux formés, renforceront le dynamisme de notre population. Ils seront mobiles et se fixeront où ils se sentent le mieux reçus. Beaucoup renonceront à se lancer dans un processus de naturalisation qui reste compliqué. Sans parler des nombreux pays où la double nationalité n’est pas la règle.
Notre chance est que tous ces travail- leurs puissent vivre en harmonie avec nous pour créer des richesses, payer les impôts et les cotisations sociales afin de nous maintenir parmi les pays les plus prospères. Que perdrons-nous en leur offrant la possibilité de devenir de vrais citoyens et en complétant les droits civiques communaux sur le plan cantonal? Quels sont les devoirs auxquels les opposants font référence et que n’accompliraient pas les étrangers établis au plan cantonal? Je n’en vois pas.
C’est un pari où nous avons tout à gagner, et j’invite les Vaudoises et les Vaudois à faire le pas, au-delà des mots d’ordre des partis peu enclins à prendre des risques en période électorale.
Ne dévalorisons pas la naturalisation!
Faire et défaire les lois, élire les juges, gouverner le canton, représenter les Vaudois au Conseil des Etats, tels seraient les droits que l’initiative «Vivre et voter ici» entend octroyer aux étrangers, sous la condition qu’ils résident depuis une certaine période en Suisse et dans le canton de Vaud.
Aveuglés par l’illusion qu’une idée est juste dès lors qu’elle serait généreuse, les initiants proposent de conférer aux étrangers – à ceux qui précisément ne sont ni Suisses ni Vaudois – le droit de décider de l’avenir d’une communauté dont ils ne se réclament pas.
Nombre de bénéficiaires potentiels de cette initiative sont en effet des ressortissants étrangers qui remplissent déjà les critères, aujourd’hui largement assouplis, leur permettant de demander leur naturalisation, mais qui n’ont pas pour autant entrepris cette démarche. Au travers de cette dernière, ils peuvent témoigner le sentiment qu’ils se sentent au moins aussi Vaudois que Zaïrois, Serbes, Turcs ou Allemands.
Est-ce trop demander à celui qui veut décider de l’avenir de la communauté vaudoise qu’il démontre que le canton de Vaud lui est au moins aussi cher que sa patrie d’origine? Cette exigence est d’autant moins excessive que, dans la plupart des cas, il n’est plus nécessaire de renoncer à sa nationalité première lorsque l’on acquiert celle de notre pays et que le coût de notre procédure de naturalisation est aujourd’hui modique.
Les partisans du droit de vote et d’éligibilité des étrangers commettent l’erreur de croire que l’octroi des droits civiques favoriserait l’intégration des étrangers. Or, en bonne logique, les droits politiques doivent être octroyés une fois l’intégration démontrée et non en vue d’une intégration hypothétique.
L’an passé, dans notre canton, près de 6000 étrangers ont obtenu la nationalité suisse. Ils ont ainsi, dans les faits, prouvé leur attachement au pays dans lequel ils vivent et leur appartenance à la communauté vaudoise et suisse. C’est d’ailleurs souvent avec une grande émotion qu’ils prêtent serment devant le Conseil d’Etat, signe de l’importance qu’ils confèrent au passeport à croix blanche.
En octroyant les droits politiques indépendamment de la nationalité, en permettant leur obtention par le seul écoulement du temps, l’initiative vide la naturalisation de l’un de ses attributs fondamentaux. L’étranger obtiendrait ainsi le droit de vote et d’éligibilité, et il intégrerait le peuple souverain du seul fait qu’il a vécu dix ans en Suisse, dont trois dans notre canton. Il n’aurait même pas à déposer une demande ni à démontrer un quelconque attachement au pays dont il pour- rait néanmoins façonner le destin.
Par leur texte, les initiants commettent davantage qu’une erreur: ils font la faute de dévaloriser les droits politiques. Il est regrettable qu’ils n’éprouvent pas autant de respect pour les institutions de ce pays que n’en témoignent les Suisses fraîchement naturalisés.
24 Heures