lundi 22 août 2011

Mauvais objet

anna lietti Dans le dernier film de Fernand Melgar, le directeur du centre de détention de Frambois refuse d’assumer le rôle du méchant. Il est loin d’être le seul. Ça sent le mal d’époque.

A Locarno comme dans le film, il portait une cravate rose.  Après la projection, il a dit sa reconnaissance: je fais un travail difficile, merci de le comprendre. Le directeur du centre de détention de Frambois, personnage central de Vol spécial de Fernand Melgar, est soucieux de son image et son message est clair: je suis un gentil.

Certes, Monsieur Claude remet des sans-papiers à la police pour qu’elle les embarque plus ou moins brutalement dans des avions, après les avoir plus ou moins «entravés». Mais il ne fait qu’exécuter la volonté du peuple citoyen. Sa mission, sa fierté, c’est d’accomplir sa tâche le plus humainement possible.

C’est ainsi que l’on voit, dans Vol spécial, ce fonctionnaire sensible promettre aux expulsés que les choses se passeront «bien gentiment.» Leur tapoter la nuque en leur souhaitant bonne chance. Et leur expliquer qu’ils ne sont pas seuls à souffrir: on est des êtres humains, on s’attache, et pour le personnel du centre aussi, la séparation est éprouvante.

C’est à ce moment du film que j’ai explosé intérieurement. Le documentaire de Fernand Melgar sortira en salle dans un mois et chacun pourra alors se faire une opinion sur la polémique qu’il a suscitée. Mais qu’elle ait éclaté ne me surprend pas: Vol spécial suscite un malaise lourd comme un ciel d’orage.

Pas du tout parce que c’est un film «fasciste», comme le prétend le président du jury du Festival de Locarno. Le documentaire de Melgar est remarquable et sa démarche pertinente: montrer, sans prendre parti, la réalité humaine derrière la loi, c’est fort, utile et suffisant dans le cadre d’un documentaire.

Non, si Vol spécial crée le malaise, c’est parce qu’il montre une décision brutale exécutée avec une douceur excessive. Parce qu’on y voit des expulsés recevoir un message paradoxal et que les messages paradoxaux, ça rend fou. Parce que celui qui exécute une sanction doit accepter, à un moment donné, d’assumer le rôle du méchant et que Monsieur Claude s’y refuse.

En psychanalyse, le méchant s’appelle le «mauvais objet», m’explique un ami qui en a vu d’autres. Il ne s’agit pas d’une personne mauvaise, mais d’une fonction: le mauvais objet est celui qui accepte de voir se cristalliser sur lui les frustrations et la colère, même s’il n’a rien fait de mal. Ainsi du parent qui relaie les interdits sociaux. Mais vous allez me dire: les parents aujourd’hui rêvent de n’être qu’amour et gentillesse, ils détestent interdire. Et vous aurez raison.

Je repensais à tout cela l’autre soir, en parcourant la rue de Bourg à Lausanne. Je slalomais entre les dealers de coke qui ont trouvé dans la capitale vaudoise un asile sûr et paisible. Je rentrais de Locarno, ma sensibilité était à vif: comment se peut-il, me disais-je, que malgré la sévérité de nos lois, ces clients rêvés pour un vol spécial continuent à narguer la police et à conforter les pires clichés anti-étrangers? Lausanne serait-elle gouvernée par l’UDC qui en fait une vitrine-repoussoir? Ben non, c’est le contraire. La majorité lausannoise est à gauche et elle rechigne à se montrer trop méchante avec des dealers africains.

Je résume: les parents répugnent à jouer les flics de service, les flics de service ne peuvent plus faire leur travail. Plus personne ne veut être le mauvais objet, tout le monde veut porter une cravate rose, comme Monsieur Claude. Les psychiatres ont de beaux jours devant eux. L’UDC aussi.

Chronique d’Anna Lietti dans le Temps

Pour Gerold Bührer, l’attitude de l’UDC est «irresponsable»

Le président d’EconomieSuisse condamne avec force l’initiative contre l’immigration.

gerold bührer opinion udc

Quand il siégeait au Conseil national, Gerold Bührer appartenait à l’aile économique du Parti libéral-radical. Il nouait régulièrement des alliances avec l’UDC. Mais aujourd’hui, le président d’EconomieSuisse, qui a quitté le National en 2007, critique vertement l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse», car elle s’en prend à la libre circulation des personnes en demandant une nouvelle négociation. Interview.

Les questions liées aux migrations et à la libre circulation posées par l’UDC ne sont-elles pas légitimes?

Bien sûr. En démocratie directe, on ne refuse pas le débat. Mais l’UDC sait parfaitement que ses solutions sont inapplicables. Et que, même si elles devaient l’être, elles seraient négatives pour l’économie et l’emploi. C’est une attitude irresponsable. Ce parti crée et exploite politiquement les peurs au lieu de chercher des solutions aux problèmes qui découlent de l’ouverture.

Près des 40% des entreprises contrôlées ont été épinglées par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) pour sous-enchère salariale. Il y a un problème!

Personne ne le conteste, même si, sur ces 40%, seuls 10% sont des cas graves selon le SECO. De plus, les contrôles sont ciblés sur les branches où les problèmes sont connus. EconomieSuisse et l’Union patronale veulent corriger les défauts du système avec l’amélioration des mesures d’accompagnement. On peut aussi envisager de discuter d’une nouvelle clause de sauvegarde migratoire avec l’Union européenne (UE) en cas d’urgence. Toutefois, remettre en cause le système de la libre circulation serait fatal pour l’économie et l’emploi!

Pourtant, c’est ce que font avec succès le Mouvement citoyens genevois (MCG) ou la Lega dei Ticinesi. Autant de voix pour le texte de l’UDC?

Je sens un malaise même dans mon canton, Schaffhouse. Des secteurs comme la médecine ou la finance sont soumis à une nouvelle concurrence. Mais, tout compte fait, cette concurrence est positive et ne fait pas augmenter le chômage. De plus, des emplois ont été créés grâce à cette flexibilité. Ces migrants viennent pour travailler. L’UDC sait d’ailleurs très bien que les problèmes d’intégration, qui parfois conduisent à la criminalité, ont plutôt leurs racines dans les années des contingents, et pas dans la libre circulation. Mais elle joue sur des amalgames.

Christoph Blocher affirme que «la Suisse s’en sortirait très bien sans les accords bilatéraux».

C’est faux! La Suisse doit miser sur trois piliers: le multilatéralisme, certes mal en point, de l’Organisation mondiale du commerce; les accords de libre-échange bilatéraux, comme celui en cours avec la Chine; les accords bilatéraux avec l’UE, vers laquelle près de 60% de nos exportations se dirigent toujours. Le prix de l’accès aux marchés, c’est l’ouverture du nôtre. Briser un de ces piliers serait irresponsable.

La Suisse a longtemps misé avec succès sur des contingents. Pourquoi ne pas recommencer?

Ces contingents n’ont pas été un grand succès, mais avant tout un système administrativement lourd, notamment pour les entreprises. Et depuis lors, le monde a évolué. Notre réseau d’accords internationaux s’est densifié. Changer de système constituerait un trop grand risque. Pour les entreprises, le retour des contingents constituerait aussi un surcroît de bureaucratie et une perte de flexibilité. Cela surprend de voir l’UDC, un parti bourgeois aux dernières nouvelles, proposer cela.

Christoph Blocher s’affiche à la pointe dans ce combat. L’UDC a-t-elle divorcé des milieux économiques qui l’aimaient tant?

Disons que, chez Christoph Blocher, il y a le brillant entrepreneur et le politicien. Dans ce dossier, le second a pris le dessus. Et si nous sommes sur la même longueur d’onde sur des thèmes comme les dépenses publiques, la fiscalité ou l’énergie, ce dossier est celui qui nous divise le plus. Mais l’initiative «Contre l’immigration de masse» divise aussi l’UDC, puisque plusieurs chefs d’entreprise ont pris leurs distances.

Craignez-vous le prochain élargissement, qui concernerait les Balkans avec la Croatie?

Non. Les Suisses sont certes critiques, mais ils sont avant tout rationnels et pragmatiques. Se jeter dans l’inconnu ne leur plaît pas. Ils continueront à soutenir la voie bilatérale.

Romain Clivaz, Zürich, pour 24 Heures

Le profil d’un UDC sert de défouloir anti-islam

udc ge racisme fb Un membre du parti aurait proféré des paroles ordurières sur le web. La direction de la section condamne ces déclarations. L’intéressé dit avoir été piraté.

«A quand le concours de lancer de pied de porc dans les mosquées?» C’est l’une des suggestions émises sur le profil de Lee Ramirez, membre de l’UDC genevoise, dans une discussion sur Facebook. Il propose aussi le jet de «tranches de bacon sur les vitrines de magasins halal» ou la diffusion de «couinements de porc» devant les «repères muzz».

La direction de la section cantonale du parti se distancie fermement de ces propos diffamatoires. «Ces paroles sont inacceptables et n’engagent que lui», réagit la présidente, Céline Amaudruz. Le comité directeur a convoqué Lee Ramirez aujourd’hui pour éclaircir les choses. «Nous cherchons à comprendre, souligne Patrick Hulliger, responsable des campagnes. Ces paroles sont intolérables. Si elles sont du fait de M. Ramirez, des sanctions seront prises à son encontre.»

L’intéressé dément avoir tenu un tel discours. Samedi, il a précisé sur Facebook qu’un «pseudo portait des accusations» contre lui sur le réseau social et prié ses amis de ne «pas considérer ces propos calomnieux». Joint hier, ce presque quadragénaire dit avoir déjà été victime de piratage cette année et s’en être plaint à la plate-forme. «Je n’ai ­jamais écrit une chose pareille. Ce peut être un montage. Les attaques ont commencé lorsque j’ai créé le profil de l’UDC genevoise sur YouTube et que nous avons patrouillé autour de l’Usine, en mars.» Le politicien espère obtenir l’appui du comité directeur.

Irène Languin dans 20 Minutes