Un élu PLR propose des mesures d’éloignement pour les «fauteurs de troubles». Le Conseil communal est entré en matière.
La proposition a surtout le mérite de poser des questions. Mardi soir, au Conseil communal, le PLR Mathieu Blanc a enflammé les débats avec sa motion (lire ci-dessous) . Celle-ci veut instaurer des mesures d’éloignement. Le texte invite la Municipalité à introduire dans le règlement de police une disposition donnant la compétence aux forces de l’ordre «d’interdire pour une durée maximale de trois mois l’accès à un périmètre donné» en ville à des individus. Les personnes ciblées sont celles qui «créent un trouble public en raison de leur comportement».
Qui est visé?
Le motionnaire voit large: les dealers, les mendiants, mais aussi les «personnes qui dérangent délibérément les passants» ou encore les «rassemblements qui menacent l’ordre public». Mathieu Blanc pense aux marginaux de la place de la Riponne, par exemple. «Cette proposition est d’autant plus grave qu’elle touche un grand nombre de destinataires, se désole Jean-Michel Dolivo, avocat et conseiller communal de La Gauche. Quand M. Blanc nous parle de «rassemblement», cela concerne aussi les manifestations ou même le théâtre de rue.» «Ce n’est pas l’esprit de la motion, rétorque l’auteur du texte. Il s’agit simplement de s’en prendre à des personnes qui utilisent de façon intolérable le domaine public.» Côté socialiste, les largesses de la motion inquiètent aussi. «Nous avons toujours dit que nous entrons en matière sur ces mesures d’éloignement pour les dealers. Et uniquement les dealers», insiste Rebecca Ruiz. Pour la présidente de la section lausannoise, pas question de s’en prendre aux mendiants ou aux marginaux.
Délit de sale gueule?
«L’idée est de s’attaquer à des comportements, même s’il n’y a pas eu d’infraction, explique Mathieu Blanc. Alors oui, il y a un risque d’être accusé de pratiquer le «délit de sale gueule», mais certaines attitudes laissent peu de doute.» Une position qui ébouriffe Jean-Michel Dolivo. L’avocat se demande comment les policiers vont faire pour reconnaître les gens et leur notifier une interdiction de périmètre, s’il n’y a pas eu d’infraction. «Peut-être que certaines personnes ont une tête à troubler l’ordre public», ironise-t-il.
Quelle base légale?
Une commune peut-elle se doter d’un tel arsenal? L’ancienne municipale PLR de la Police, Doris Cohen-Dumani, avait déjà souhaité à l’époque «mettre en œuvre des mesures d’exclusion». Mais lors des grandes opérations de police «Delta» et «Alpha 4» en 2003 et 2004, elle s’était finalement rabattue sur des contrôles d’identité systématiques dans certaines zones. «Le but était de harceler les dealers», explique-t-elle. Mathieu Blanc estime que la base légale se trouve dans la loi sur les communes. Celle-ci leur donne les compétences pour réglementer l’usage de leur domaine public. Ce que confirme Jean-Luc Schwaar, chef du Service juridique et législatif du canton. Mais il ajoute un bémol. «Après, il s’agit de savoir si la restriction du droit fondamental d’aller et venir sur le domaine public se justifie par un intérêt général prépondérant. C’est délicat.» Quoi qu’il en soit, Mathieu Blanc a une solution. «Lorsque je serai député, en juillet, j’interviendrai au Grand Conseil pour donner une base légale aux communes.»
Renaud Bournoud dans 24 Heures
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Expérience
L’exemple genevois
Genève a doté sa police cantonale de ce nouvel outil en 2009. Depuis, les gendarmes peuvent éloigner un individu d’un périmètre donné pour une durée d’un jour à trois mois. La loi vise ceux «qui par leur comportement, importunent des tiers», mais aussi les personnes «qui se livrent à la mendicité» (ndlr: elle est prohibée à Genève) ou encore «le commerce de stupéfiants». Dans la pratique, la décision d’interdire de périmètre un individu revient à un officier de police. «A fortiori, il faut qu’il y ait eu une infraction, avec arrestation, pour que l’on puisse signifier la mesure d’éloignement au contrevenant», précise Jean-Philippe Brandt, porte-parole de la police cantonale genevoise. La décision peut faire l’objet d’un recours. «Nous lui remettons un plan de la ville avec les zones qui lui sont interdites. S’il enfreint la mesure d’éloignement cela revient à une violation de domicile», prévient Jean-Philippe Brandt. Quant aux résultats de cette disposition, le porte-parole reste dubitatif: «Disons que c’est relativement dissuasif…»
R.B.
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Gauche et droite presque d’accord
A croire que les élections restaient encore à venir, tant le débat de mardi soir a donné lieu à une passe d’armes engagée. Le débat avait été écourté une première fois il y a deux semaines, il a repris de plus belle. La proposition du libéral-radical Mathieu Blanc, visant à autoriser la police à éloigner certaines personnes du centre-ville, réunissait la droite de l’hémicycle. Mais la démarche semble également titiller les alliés Verts et socialistes. Au grand dam du groupe La Gauche, qui a vertement critiqué ses alliés traditionnels en dénonçant une «mesure moyenâgeuse».
PS et Verts estimaient toutefois que le caractère impératif de la motion libérale-radicale devait être assoupli en la transformant en simple postulat. Chasser les dealers, oui, mais pas les mendiants, s’accordent à dire les deux alliés.
Habituellement battu par la majorité de gauche, le PLR tenait une occasion de faire passer sa proposition. «Pas question de modifier cette motion en postulat», a toutefois laissé entendre Mathieu Blanc, laissant l’assemblée perplexe.
Face au refus du PLR, la socialiste Rebecca Ruiz menaçait de déposer elle-même un texte visant à étudier la question de l’éloignement, mais des dealers seuls. Sous pression, le PLR est finalement revenu sur ses pas en acceptant cette transformation de motion en postulat. Nouvelle stupeur, amenant Alain Hubler, président de La Gauche, à féliciter Mathieu Blanc pour ses qualités de «manipulateur». La pirouette du PLR avait contraint le PS, soutenu par les Verts, de sortir du bois en s’appropriant cette proposition de droite.
Au terme d’une interruption de séance, le verdict était clair. Le postulat du PLR n’a été combattu que par la gauche de la gauche, esseulée. Au soutien de l’UDC, s’est adjoint celui du PS et des Verts. Ces deux derniers mégotant toutefois: «Nous ne votons pas pour une mesure d’éloignement, mais pour une étude de cette mesure», résume Isabelle Mayor pour les Verts. La balle est dans le camp de la Municipalité.
24 Heures