Le projet pilote d’aide au retour pour délinquants d’Afrique du Nord est bien accueilli. Seule réserve à gauche: il exclut les autres détenus étrangers.
Qu’il soit un effet d’annonce ou une véritable révolution, le «Plan Maghreb» d’Isabel Rochat fait l’effet d’une bombe médiatique depuis une semaine. L’octroi d’une aide au retour à des étrangers condamnés une ou plusieurs fois à Genève est une première en Suisse. Si les partis populistes n’ont pas hésité à dénoncer une «prime à la délinquance», la gauche et la droite traditionnelle apprécient l’effort «pragmatique» de la magistrate PLR chargée du Département de la sécurité, de la police et de l’environnement (DSPE). Le projet vise à désengorger le canton de sa masse critique de trois cents à trois cent cinquante délinquants multirécidivistes en provenance du Maghreb.
En échange du retour volontaire des anciens détenus, ce programme pilote prévoit le financement à hauteur maximale de 4000 francs d’un projet professionnel dans leur pays d’origine, soit l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Faute de protocole d’accord de réadmission avec ces pays ou en l’absence de papiers d’identité, l’expulsion des ressortissants d’Afrique du Nord démunis d’autorisation de séjour s’avère difficile. Le projet a suscité l’intérêt de l’Office fédéral des migrations et pourrait faire des émules ailleurs en Suisse.
Une perspective d’avenir
«Il s’agit de personnes qui n’ont pas de futur en Suisse, explique Nadine Mudry, secrétaire adjointe au DSPE. L’idée est de leur offrir une perspective d’avenir.» Discret jusqu’à aujourd’hui, le projet a démarré sa phase concrète en août 2011 déjà. Calqué sur le modèle de l’aide au retour classique – normalement réservée aux sans-papiers dont le casier judicaire est vierge –, le Plan Maghreb veut mettre fin aux allers-retours entre la rue et la prison de certains ressortissants maghrébins.
Théoriquement, les candidats au départ doivent être en Suisse depuis plusieurs années. «Il faut avoir été condamné au moins une fois, précise Nadine Mudry, mais chaque situation est évaluée au cas par cas.» Les intéressés doivent soumettre un projet professionnel ou de formation crédible, avec l’aide de la Croix-Rouge, partenaire du projet. Ils doivent aussi décliner leur identité, qui devrait rendre tout retour clandestin en Europe presque impossible. Une fois son dossier validé, le ressortissant reçoit une enveloppe de 1000 francs au pied de l’avion. Il a ensuite trois mois pour contacter le relais local chargé de prendre en charge le financement du projet sur place à hauteur de 3000 francs.
Une dizaine de départs ont pu avoir lieu, sur cinquante-deux démarches entamées et nonante-cinq détenus approchés en prison au total. Le bilan de cette expérience sera tiré fin 2013. A terme, le DSPE mise sur une trentaine de départs par an. Côté financement, l’Etat puise dans un fonds alimenté par l’argent saisi dans les affaires de drogue.
«Ce fonds appartient aux citoyens», s’indigne le MCG Claude Jeanneret. Il partage les foudres de l’UDC, dont les multiples communiqués accusent l’Etat de transformer Genève en «eldorado de la délinquance».
Pas juste pour les autres
Au sein de la droite bourgeoise, on ne craint pas cet appel d’air. «En Suisse, ces personnes n’ont vraiment pas un sort enviable, estime la présidente du PDC, Béatrice Hirsch. A l’inverse des aides au retour traditionnelles, il y a là un intérêt bien compris pour les Genevois: celui de les débarrasser de multirécidivistes qui leur empoisonnent la vie.»
Le Plan Maghreb signe-t-il pour autant la fin de l’impunité? Il ne résoudra qu’une petite partie du problème, admet le président du PLR genevois, Alain-Dominique Mauris. «De ce point de vue, c’est de la poudre aux yeux», affirme Romain de Sainte-Marie, président des socialistes. Cela ne l’empêche pas d’applaudir une idée qui «pour une fois, ne s’inscrit pas dans une logique de durcissement».
La verte Emilie Flamand va plus loin: «Ce projet ne devrait pas se limiter aux populations du Maghreb. Il devrait être également accessible aux personnes en détention administrative dont le seul délit est de ne pas avoir de papiers», juge la présidente écologiste. Même verdict pour l’Observatoire romand de l’asile et des étrangers. «Le Plan Maghreb prouve que des alternatives aux vols spéciaux existent», analyse la coordinatrice Mariana Duarte, même si elle déplore l’intérêt exclusivement sécuritaire qui fonde le projet.
Pauline Cancela et Théo Allegrezza dans le Courrier
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«Pragmatique, humaniste et concret»
La Conseillère d’Etat Isabel Rochat s’explique sur le Plan Maghreb. Elle accuse ses détracteurs de se poser les mauvaises questions.
Certains partis vous accusent d’avoir mis en place une prime à la délinquance, que répondez-vous?
Est-il moral de remettre sur le trottoir un délinquant, qui a certes purgé sa peine, mais dont on sait qu’il reviendra en prison? Les détracteurs ne se posent pas la question de savoir s’il est éthique d’ouvrir la porte d’une prison à quelqu’un qui n’a plus d’avenir en Suisse. Rester dans ce cercle vicieux n’a rien de constructif. Je rappelle que c’est un projet pilote et provisoire, en attendant que les accords de réadmission soient signés avec les pays concernés.
Se dire algérien pour éviter le retour n’est plus possible. Cette impunité-là est terminée. De ce point de vue, le Plan Maghreb a le mérite d’être pragmatique, humaniste et concret.
Votre plan introduit une inégalité de traitement par rapport aux ressortissants d’autres pays, comment y remédier?
L’inégalité est ailleurs. Premièrement dans le fait que les ressortissants concernés par le Plan Maghreb sont issus de pays qui refusent de signer des accords de réadmission avec la Suisse, contrairement aux autres. Ensuite, les remettre à la rue implique une inégalité de traitement
vis-à-vis des détenus qui déclarent leur identité et sont renvoyés. Je souligne au passage que chacun a le droit de rentrer volontairement.
D’autre part, il s’agit de gérer la population la plus problématique à Genève, et non de s’occuper d’une minorité. Ces ressortissants sont responsables de la moitié des délits! J’ai été au plus juste.
Etes-vous prête à étendre le Plan Maghreb aux détenus administratifs?
Ainsi que l’a dit [la Conseillère fédérale] Simonetta Sommaruga, remettre en question la politique de renvoi, c’est remettre en question toute la politique migratoire de la Suisse, qui repose en partie sur la punition. Par ailleurs, la problématique de l’aide au retour est actuellement discutée à Berne par les chambres fédérales. Le débat est donc ouvert.
Propos recueillis par Pauline Cancela pour le Courrier