Angela Merkel célèbre mercredi un demi-siècle d’immigration. Mais l’intégration est en panne.
Petit, le crâne dégarni, l’œil malicieux, Ahmet Bayram, 66 ans, est arrivé en 1971 à Berlin avec un contrat de travail dans une grosse entreprise de machines-outils. Quarante ans après, «je suis pratiquement devenu un Berlinois», sourit-il. Il passe toujours ses vacances «au pays» mais sa vie est ici, au nord du Danube. «Mes trois enfants et mes petits enfants vivent à Berlin», explique-t-il devant les rayons de la librairie turque Kitapçi, tenue par son fils.
«Il y a quarante ans, tout le monde avait du travail. Avec la crise, regrette-t-il, les Allemands ont commencé à nous dire qu’on leur piquait leur boulot et nous ont reproché de rouler en grosse Mercedes, en profitant de leur sécurité sociale.» Ahmet a le passeport allemand mais a conservé sa nationalité turque.
«Cinquante ans de mariage blanc!» La banderole barre l’immeuble à l’entrée de Berlin-Kreuzberg, le «petit Istanbul». C’est le titre d’une pièce de théâtre montée pour le 50e anniversaire des accords du 30 octobre 1961, organisant l’afflux des travailleurs turcs dont l’industrie avait cruellement besoin.
«Nous sommes tolérés»
«Nous restons des gens tolérés», résume Bekir Yilmaz, dans les bureaux voisins de la communauté turque. Il nous montre une lettre anonyme arrivée le matin. «Pourquoi votre association proteste-t-elle contre l’interdiction des grillades dans le Tiergarten (ndlr: le parc central de Berlin, à deux pas de la résidence du président de la République) ? Vos compatriotes sont incapables de se tenir correctement et proprement. Allez à Ankara ou à Istanbul faire vos barbecues! Ici vous êtes seulement des invités tolérés.» L’été, les grillades au Tiergarten étaient une vieille tradition pour les familles de la communauté turque berlinoise.
Bekir Yilmaz a rejoint son père à Berlin en 1977, il était alors âgé de 8 ans. Aujourd’hui père de quatre enfants nés en Allemagne, il se sent citoyen allemand. «Mais je ne suis quand même pas un Allemand. Je ne peux pas renier mon origine, précise-t-il. J’ai eu la chance d’acquérir la nationalité allemande avant 2000.» Depuis, la loi exige le renoncement préalable à la nationalité turque. Faute de l’avoir respectée, 55 000 personnes se sont vu retirer leur «nouveau» passeport de la République fédérale.
Dominant Berlin-Neuköln, la mosquée du cimetière turc dresse ses minarets le long de l’ancien aéroport de Tempelhof. «Nous n’avons aucune difficulté à pratiquer notre religion», souligne Ender Çetin, qui siège à la présidence de la mosquée. Né à Berlin en 1977, il se sent Berlinois à 100%, mais n’a jamais demandé la nationalité allemande. Il lui faudrait pour cela renoncer à sa nationalité turque. Or, rien ne dit qu’il n’ira pas vivre un jour dans le pays de ses parents. «Le racisme, la haine de l’Islam se sont renforcés ces dernières années.»
Serdar Taçi ou Mesut Özil, les étoiles turques de l’équipe de foot nationale, n’y changent rien. Diplôme en poche, nombre de jeunes Turcs nés en Allemagne repartent travailler dans le pays de leurs parents. Cinquante ans après, le solde migratoire s’est inversé.
Le défi de Merkel
Aujourd’hui, il reste néanmoins 2,5 millions de Turcs d’origine vivant en Allemagne, dont 1,5 million ont acquis la nationalité allemande. La communauté a ses artistes, ses millionnaires, ses responsables politiques. Mais la définition même de l’intégration reste contestée. Peut-on devenir Allemand et rester Turc? C’est le défi auquel font face le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et la chancelière allemande Angela Merkel, qui célébreront le cinquantenaire mercredi à Berlin .
Michel Verrier, Berlin, pour 24 Heures