Un requérant a été frappé avant le vol. Aucun observateur indépendant n’était présent.
Officiellement, tout s’est bien passé, assurait jeudi l’Office fédéral des migrations. Le matin même, peu avant 8 h, il organisait, à l’aéroport de Zurich, un vol spécial visant à expulser de force 21 requérants d’asile déboutés vers le Nigeria. Tous avaient refusé de prendre un avion de ligne. Ce vol, le premier organisé depuis la mort d’un Nigérian en mars 2010, était censé s’être bien déroulé. Mais les images de l’émission 10 vor 10 montrent, au contraire, de sérieux dérapages.
Le reportage filme l’entrée des requérants – menottés – dans l’avion. Depuis le décès de leur compatriote, la Suisse ne peut plus les ligoter entièrement. Tous montent à bord sans rechigner. Quand, soudain, l’un d’eux refuse et se met à sautiller. Les policiers stoppent son renvoi et le ramènent dans une camionnette. Mais la tension monte quand le requérant suivant se jette à terre à côté du fourgon. Près de huit policiers le maintiennent au sol, avant de le porter dans l’escalier d’embarquement.
Matraque
L’homme se débat. Les agents peinent à le tenir. Tout à coup, un policier lui donne des coups de poing. Si un agent interrompt l’expulsion, un autre sort soudain sa matraque et frappe le Nigérian.
A l’Office fédéral de la migration, on dit regretter ces évènements, mais on renvoie la balle à la police cantonale de Zurich, chargée d’exécuter les renvois. Là, Marcel Strebel, porte-parole, est étonné: «Nous allons enquêter pour savoir ce qu’il s’est passé. Les premiers éléments indiquent que cet homme s’est accroché à la barrière de l’escalier et qu’un policier a voulu le faire lâcher prise. Ensuite, le requérant aurait menacé un autre agent en s’emparant de ses parties génitales.»
«C’est inadmissible! lance Jean-Pierre Restellini, président de la Commission nationale de prévention de la torture. Un policier doit savoir garder la tête froide dans toutes les situations.»
Arrivés trop tard
L’affaire est d’autant plus grave qu’aucun observateur indépendant n’était présent. Alors que ces vols sont censés être accompagnés depuis peu par la Fédération des Eglises protestantes, celle-ci n’était pas mandatée. Et les deux membres de la Commission de prévention de la torture appelés quelques jours avant pour suivre l’expulsion sont arrivés trop tard.
«Ils n’ont rien vu, regrette Jean-Pierre Restellini. La procédure de renvoi vient de changer. Jusqu’à présent, les observateurs et les requérants effectuaient un briefing avant le vol, à l’aéroport. Mais, pour éviter que les expulsés n’attendent longtemps dans une cellule et subissent un stress inutile, la procédure a été raccourcie. Or, nos membres n’ont pas été avertis. Ils sont arrivés lorsque les Nigérians étaient dans l’avion.»
Le Nigeria n’aurait pas réagi à ces violences, alors même qu’une délégation du pays se trouvait à bord. En attendant, les images ont déjà reçu un écho international. Le Comité antitorture du Conseil de l’Europe en a parlé à Jean-Pierre Restellini. Ce dernier souhaite trouver une solution humaine à ces renvois avec l’Office des migrations.
De son côté, l’Association des juristes progressistes de Suisse exige la suspension des vols. Mais, pour l’heure, un tel arrêt n’est pas prévu. Jeudi, l’avion a finalement décollé à 8 h 15 avec 19 Nigérians et 60 policiers à bord. Le vol a coûté 150 000 franc s.
Nadine Haltiner, Zürich, pour 24 Heures