L'ODM a ouvert les portes du Centre d'Enregistrement et de Procédure de Vallorbe, espérant "que cette visite permettra de connaître tous les aspects du quotidien du CEP et sera riche en enseignements". Voici le compte-rendu de cette visite guidée.
Suivez le guide
Dans la cour d'entrée, l'ODM sur son 31 assure l'accueil. Distribution de numéro à chaque visiteur, ainsi que quelques guides touristiques et un dépliant officiel, qui souhaite que cette visite « nous permettra de connaître tous les aspects du quotidien du CEP et sera riche en enseignements ».
Un petit groupe de visiteurs se forme et nous faisons la connaissance de notre guide: Jean-François. Il nous annonce que nous allons suivre le « parcours du requérant », dans les premières heures qui suivent son arrivée. Nous lui remettons le billet numéroté reçu à l'entrée, puis il nous ouvre la porte du centre à l'aide de son passe. Ici, il y a beaucoup de portes: elles permettent de sortir, mais pas d'entrer librement. D'ailleurs ici, tout est réglementé:
- interdiction de faire du bruit, de fumer, de boire de l'alcool dans le centre
- interdiction d'avoir un téléphone, un appareil photo, une radio
- obligation de se conformer aux horaires de repas, d'ouverture de l'infirmerie, de l'économat
- obligation de respecter les horaires du centre: 8H-11H30 et 13H-17H00. Dès 17H, la porte est fermée et celui qui reste à l'extérieur est considéré comme « non-rentré ». Il devra passer la nuit dans la salle d'attente extérieur, qui fait aussi office de salle de dégrisement. Une personne « non-rentrée » est considérée comme « disparue » après 24 heures.
- la circulation entre les différents secteurs des dortoirs est impossible pendant la nuit
Dans le hall, un guichet, auquel le requérant présente une feuille d'identification, puis un local de fouilles derrière un rideau. Jean-François nous invite à le suivre au fond d'un long couloir. Au passage, l'attention est attirée par une pièce sombre, sans meuble, où des gens attendent le long des murs. Mais il faut suivre le guide. Première étape: l'économat, où le requérant reçoit son « paquetage »: une couverture, une taie d'oreiller, deux draps, un linge de bain et un strict nécessaire de toilette. Jean-François nous précise la cadence de renouvellement d'un tube de dentifrice.
Puis une petite pièce, où sont dispensés des cours de français. Jean-François souligne la forte fréquentation de ces cours: « Jamais je n'aurais pensé que les gens s'intéressent autant à la langue française! ». Ces cours sont donnés par des assistants du centre.
Nous passons ensuite à la buanderie. Accès autorisé une fois par semaine pour une personne seule, deux fois pour les familles. Il est fortement recommandé aux requérants de collaborer à la lessive, lorsqu'on le lui demande. Celui qui refuse devra se débrouiller pour laver son linge ailleurs.
Dans les couloirs, les groupes se croisent et les assistants qui servent de guide se saluent, se sourient et échangent quelques mots qui les font rire. De leur côté, les visiteurs sont progressivement plombés par l'ambiance. On se sent mal à l'aise. Pour compenser ce fort sentiment d'intrusion et la présentation des lieux froidement administrative, notre groupe salue chaque requérant qu'il rencontre.
Le Paradis des Enfants
Nous prenons un ascenseur qui nous emmène au cinquième étage. Longue enfilade de couloirs, toujours beaucoup de portes fermées à clé. Devant nous une salle d'attente très sobre. Le requérant fraîchement arrivé y attend son passage dans les différents bureaux. Il y a celui où l'on prend les empreintes et une photo d'identité, pour le dossier. Puis vient la salle de dépistage de la tuberculose. On pose des questions au requérant, s'il obtient dix points, il y a suspicion de tuberculose et il est dirigé vers un hôpital. « Ici, on ne joue pas avec la santé des gens! », précise notre guide, qui nous fait voir la porte de l'infirmerie. On n'y pratique pas d'actes médicaux: au mieux, on distribue une aspirine pour les maux de tête, tous les cas plus graves sont envoyés dans un hôpital.
Jean-François est heureux de nous apprendre qu'il y a eu deux accouchement dans le centre ces derniers jours et qu'il a bien failli devoir en assister un. Il précise qu'il a été responsable médical par le passé, ce qui ne signifie pas qu'il soit médecin.
Au passage, on note les horaires d'ouverture de l'infirmerie: du lundi au vendredi de 9H à 9H30 et de 13H à 13H30. Ces horaires sont nécessaires, sans quoi « les requérants défileraient toute la journée pour trois fois rien ».
Dans ce fond de couloir, il y une porte étiquetée « Paradis des Enfants ». À l'intérieur, des jeux, des peluches, une TV et quelques films. Ici, pas d'horaire. Rien ne doit sortir, pas le droit d'emmener une peluche. Mais si un enfant brave cette interdiction, Jean-François nous assure qu'à son départ du centre, il la laissera dans son dortoir. Fin de la visite du seul endroit chaleureux du CEP et fraîchement repeint en orange.
Nous nous retrouvons devant le vestiaire. Ici les assistants distribuent des habits à ceux qui en ont besoin. Mais le requérant n'y entre pas: s'il a besoin d'un pantalon, on lui en propose deux et il choisit celui qui convient. Les critères de distribution dépendent de l'assistant. Pour Jean-François, il est clair que « celui qui est vêtu en Nike et Hugo Boss ne peut prétendre à de nouveaux habits ».
Dans ton lit tu dormiras
Par les escaliers, nous descendons au 4ème. Jean-François s'assure que nous sommes tous là et ferme l'accès au cinquième. Il semblerait que le « Paradis des Enfants » ne soit pas accessible le week-end.
Au 4ème et 3ème étages se trouvent les dortoirs des hommes, sur lesquels nous faisons l'impasse. Arrivés au 2ème, à gauche les dortoirs pour les familles où les deux parents sont présents; à droite, ceux des femmes seules avec leurs enfants. Jean-François nous ouvre la porte du dortoir 219. Huit lits à étages. Interdiction de déplacer le mobilier, sauf pour grouper les lits d'une même famille. Chaque lit est numéroté. Le requérant n'a pas le droit de s'installer dans un autre lit que celui qui lui a été attribué à son arrivée.
Malgré l'impossibilité évidente de fermer les casiers présents dans les chambres pour protéger ses affaires, notre guide nous dit que certains se procurent des cadenas. Mais d'ailleurs, qu'auraient-ils à protéger? Ils n'ont pas d'objet de valeur, pas de papier d'identité, pas de portable. Tout ce qui leur est confisqué à l'entrée leur est restitué au départ, « jusqu'au plus simple stylo bille ». Pourquoi pas de portable? Parce qu'il est interdit de faire des photos, par respect pour la sphère privée. A ce propos, les assistants ne s'appellent que par leur prénom, pour les mêmes raisons. Oui, mais si le portable ne fait pas de photo? Tant pis, il est confisqué aussi. De toute façon, il y a deux cabines téléphoniques en bas et elles sonnent toute la journée.
Nous apprenons au passage que les requérants touchent 3.-- par jour. La caisse n'est ouverte qu'une fois par semaine, le jeudi. Celui qui arrive le vendredi devra se montrer patient.
Propre en ordre
Au premier étage, salle de loisirs et un peu plus loin sur la gauche, salle de prière pour les musulmans. Un rideau y sera prochainement installé, pour apporter un peu d'intimité à ce lieu. Nous ne sommes pas invité à visiter ce secteur. Sur la droite, nous arrivons au réfectoire, pendant l'heure du repas. « Tiens, mais c'est un self! » lance une dame. « Mais non mais pas du tout! », rétorque Jean-François, qui s'empresse de nous montrer l'assistante de cuisine, en train de distribuer les portions de nourriture. Aujourd'hui, c'est spätzli et une tranche ronde de quelque chose qui ressemble à de la viande et une orange pour le dessert. Un homme qui tente de sortir du réfectoire avec deux oranges dans les mains se fait aussitôt remettre à l'ordre par un agent de sécurité: pas de nourriture dans les étages, c'est le règlement. Même ici, il semble qu'il n'y a pas de plaisir, les visages sont fermés, les regards sont vides et glissent sur nous.
Jean-François nous indique un homme affairé à vider les plateaux repas et nous fait observer à quel point certains sont empressés à donner un coup de mains. Il a l'air assez content de l'ordre qui règne ici et de cette collaboration spontanée entre requérants et assistants.
Une femme passe, elle tient six balais dans ses mains. Elle échange quelques mots avec notre guide. J'en déduis qu'elle est l'assistante de ménage. Elle peut ranger ses balais, tout est propre.
Retour au rez-de-chaussée, fin de la visite. Jean-François, pourtant très à l'aise dans son rôle de guide, peut ranger le papier qu'il a sorti plusieurs fois de sa poche entre les étages. Il nous remercie et nous salue, puis plaisante avec un autre assistant, costume beige cravate rose, qui lui est tout heureux d'avoir fait visiter son lieu de travail à ses parents.
Dans la cour, plusieurs stands d'informations, dont celui de Securitas. Je vois passer un énorme plateau de charcuterie: l'ODM sait recevoir.