dimanche 9 octobre 2005


Francisco Aguirre, le butteur du Yverdon Sport photographié par Yvain Genevay




Le permis C plus dur à obtenir: «Une gifle pour les étrangers!»
NOUVELLE LOI Plus d'un million d'étrangers sont visés par le dernier coup du Parlement. Un référendum sera lancé contre ce qui pourrait devenir une incontrôlable machinerie administrative. Réactions de travailleurs que l'on croyait intégrés
LUDOVIC ROCCHI dans Le Matin Dimanche revient sur les difficultés nouvelles que les étrangers installés en Suisse auront à affronter pour obtenir un permis d'établissement (permis C)


Ils font souvent la gloire de nos équipes de football. Pour ces étrangers-là, la question du permis se résume en général à une formalité. Star d'Yverdon Sport, l'Argentin Fransisco Aguirre confirme: «Nous bougeons beaucoup d'un pays à l'autre, et nous avons moins peur que d'autres pour nos permis.» Les anonymes, les petites mains ont davantage de souci à se faire, comme certains ont accepté d'en témoigner dans ce journal.

Mais d'où vient cette crainte, alors que plus d'un million d'étrangers vivent et travaillent tranquillement en Suisse sous le régime du fameux permis C? Son octroi semblait devenu automatique, une formalité qu'un étranger remplissait après dix ans au maximum passés en Suisse. «La pratique actuelle équivaut à un octroi quasi automatique dans 90% des cas», confirme Dominique Boillat, porte-parole de l'Office fédéral des migrations.

Le référendum se prépare déjà
Cette pratique aurait dû se traduire par un droit au permis C dans la réforme de la loi sur les étrangers voulue par le Conseil fédéral. Le Parlement n'a pas suivi, comme l'a confirmé un vote serré du Conseil national la semaine dernière. C'est même une version plus sévère que la pratique actuelle qui a été retenue, en exigeant un «examen approfondi» de chaque candidat au permis C.

«Ce durcissement est blessant, c'est une gifle aux étrangers, qui, pour la plupart, vivent en Suisse depuis des décennies», s'indigne Claudio Micheloni, secrétaire général du Forum pour l'intégration des migrantes et des migrants. Au nom de l'organisation faîtière des immigrés de Suisse, il prévient: «S'il le faut, nous lancerons nous-mêmes le référendum. Même si on nous annonce perdants d'avance, il faut un débat sur cette révision de la loi sur les étrangers, dont le seul point positif a été balayé.»

Le vote final interviendra en décembre aux Chambres fédérales. Le sénateur partant et conseiller d'Etat neuchâtelois Jean Studer estime aussi que le refus d'ancrer le droit au permis C en échange d'autres durcissements (regroupement familial, etc.) représente «la goutte d'eau qui fait déborder le vase». Le socialiste, qui passe plutôt pour un centriste, voit là un argument «pour soutenir un référendum».

A la direction du Parti socialiste suisse, la priorité est donnée au référendum contre la révision de la loi sur l'asile. Celle sur les étrangers concerne pourtant plus d'un million de détenteurs de permis C, qui doivent le renouveler tous les trois à cinq ans. Faudra-t-il leur faire passer un «examen approfondi»? Et, pour les suivants, qui fixera les critères d'intégration, jusqu'où pousser le tri?

Risque d'arbitraire
«Nous sommes les premiers à dire qu'il faut maîtriser une langue nationale, argumente Claudio Micheloni. Mais, pour le reste, on ouvre la porte à l'arbitraire total. Qui dit qu'une activité politique, comme dans mon cas, ou un problème de chômage, de santé ne deviendra pas des prétextes pour trier les étrangers, même après dix ans?» Actuellement, il faut vraiment avoir fait de grosses bêtises - pénales, en général - pour se voir refuser le permis C et, plus encore, son renouvellement.

«Mieux vaut se naturaliser si le permis C devient aussi lourd à obtenir!» provoque le conseiller national Josef Zisyadis (POP/VD). Il voit mal les cantons se lancer dans une pratique plus restrictive qu'actuellement, qui va leur coûter cher en moyens administratifs. Dans les milieux visés, la peur de perdre son permis s'est pourtant déjà installée. «Quel autogoal: on désécurise les plus intégrés, les plus stables des étrangers établis en Suisse», témoigne Josef Zisyadis.

Chez Blocher, on positive
Dans les services de Christoph Blocher, on tente d'apaiser ces craintes. «Les cantons ne vont pas vraiment devoir changer leur pratique», tempère Dominique Boillat, à l'Office fédéral des migrations. Il avance que l'introduction de critères d'intégration se veut positive: «Ceux qui seront considérés comme bien intégrés pourront obtenir leur permis C plus vite. Ils n'auront plus besoin d'attendre dix ans.» Si le référendum aboutit, le peuple tranchera. Quant au permis C, il donne tout sauf le droit de voter...