jeudi 20 août 2009

[Lybie] La galère des sans-papiers africains

La galère des sans-papiers africains en Libye


LE COURRIER - Paru le Jeudi 20 Août 2009 - CHARLES NFORGANG

REPORTAGE - Regroupés dans des centres de rétention, les sans-papiers interpellés en Libye sont durement traités. Ceux qui échappent à la police vivent dans la peur de l'expulsion.

Malgré les discours de Mouammar Kadhafi sur l'unité des peuples africains, les sans-papiers subsahariens de Libye vivent les mêmes tracas que leurs homologues en Europe. Un Camerounais de 28 ans, qui y était entré illégalement en 2007, l'a appris à ses dépens. «Un jour d'octobre 2007, je rentrais du boulot en compagnie de deux amis maliens et d'un Congolais quand le taxi qui nous ramenait à la maison a été interpellé par la police de Sabha. Nous avons été immédiatement embarqués tous les quatre vers le camp de rétention des sans-papiers de cette ville (située au sud de Tripoli, ndlr)», explique-t-il.

Dure détention ou liberté surveillée

Près de vingt-deux mois plus tard, fin juillet, il était encore interné en Libye, cette fois au camp de Zawiya, près de Tripoli. C'était son septième camp, après être passé comme la plupart des centaines d'Africains retenus ici, dans six autres structures du même genre. On y retrouve principalement des ressortissants des pays d'Afrique de l'Ouest, dont de nombreux Nigérians, et quelques représentants d'Afrique centrale – Camerounais et Congolais de RDC et du Congo Brazzaville. «Depuis le début de l'année, le nombre de sans-papiers est en baisse, car les contrôles ont été fortement renforcés dans la Méditerranée. Plusieurs d'entre eux sont donc retournés dans leurs pays», soutient, sous couvert d'anonymat, un fonctionnaire libyen d'un service de l'immigration. Selon lui, tous les clandestins cherchent à gagner l'Europe. Faux, rétorquent certains détenus à qui on prête souvent cet objectif une fois interpellés et qui soutiennent avoir choisi la Libye pour la valeur de sa monnaie et ses facilités d'emploi.

Les prisonniers sont généralement libérés sur présentation d'un ticket de transport retour, payé par leur famille ou leur pays d'origine, et conduits manu militari à l'aéroport. «Les durées de rétention étaient beaucoup moins longues jusqu'en 2007, car le gouvernement libyen les transportait systématiquement à ses frais dans leurs pays après identification. Leur nombre étant de plus en plus élevé, il laisse désormais cette tâche aux détenus eux-mêmes ou à leurs gouvernements», explique le fonctionnaire qui regrette que la plupart des pays concernés ne mettent pas toujours la main à la poche.

Le gouvernement libyen a ainsi été obligé de transporter jusqu'au Cameroun, fin juillet dernier, vingt-deux Camerounais retenus en Libye depuis près de deux ans pour certains. Selon ce même agent, les personnes en attente d'expulsion seraient bien logées, nourries et soignées. Un avis contesté par un de ces Camerounais, qui a séjourné là pendant vingt mois, avant sa libération: «Nous mangeons certes, mais pas à notre faim et les quelques médicaments et vêtements que nous recevons nous sont offerts par le président de la communauté camerounaise ici. Les Ghanéens, Nigérians, Zambiens et autres sont appuyés par leurs ambassades.» Il en veut pour preuve le décès, en décembre 2008, de Didier Nyamsi, l'un de ses compatriotes, des suites d'une maladie non diagnostiquée, après un an de rétention. Les sans-papiers en liberté ne sont guère mieux lotis. Tous vivent dans la peur permanente d'une arrestation. Dès qu'un car de police s'arrête près d'eux, ils s'éloignent.

«Je vis ici clandestinement depuis six ans et je n'ai jamais été interpellé. Mais je reste conscient que je peux être pris à n'importe quel moment», explique un Ivoirien qui gagne sa vie comme maçon. Comme lui, des Subsahariens, résidents illégaux, sont recrutés dans les secteurs du ramassage d'ordures, de la chaudronnerie, de la peinture ou de la menuiserie, des métiers jugés dévalorisants et donc délaissés par les Libyens.

Alpha, un charpentier ivoirien, a ainsi formé quelques Camerounais, Nigériens et Nigérians, qui l'assistent désormais dans ses travaux. «Notre véritable problème, c'est la peur de l'arrestation, de l'internement dans un camp et de l'expulsion. Sinon, la Libye est un pays en chantier qui ne manque pas de jobs bien rémunérés», assure Hervé, un travailleur. D'autres clandestins africains, avides de gains faciles, servent de rabatteurs aux prostituées des maisons closes ou deviennent escrocs.

Faux papiers et vrais risques

Pour déjouer (provisoirement) la vigilance de la police, les clandestins se font fabriquer de fausses pièces d'identité. Ainsi, il n'est pas rare de trouver un Nigérian avec un passeport malien. «Changer de nationalité est un jeu d'enfant. Il suffit de récupérer un passeport, de remplacer sa photo par la tienne et le tour est joué», assure un Nigérian de 22 ans, spécialiste en faux papiers comme d'autres Africains qui opèrent en réseau. En 2008, la famille d'un Camerounais décédé, qui voulait rapatrier son corps au pays, a eu la surprise d'apprendre que celui-ci était devenu... Ghanéen. Il s'était fait établir une fausse pièce d'identité afin d'obtenir un permis de séjour.

La plupart des «clandestins» de Libye n'ont cependant aucun document officiel permettant de les identifier. Ils affirment les avoir perdus au cours du trajet qui les a conduits jusque dans ce pays. Sans existence légale, ils risquent à tout moment l'arrestation, l'internement en camp de rétention et l'expulsion. Les moins chanceux, eux, ne voient jamais la Libye. Ils perdent la vie en traversant le désert, aux portes de ce pays qu'il croyait accueillant.

INFOSUD/SYFIA INTERNATIONAL