mercredi 2 mars 2011

Alard du Bois-Reymond: «Le risque d'une migration massive est bien réel»

a du bois-reymond sur les migrants arabesComment réagira la Suisse si une vague de migrants se présente à nos portes? Le directeur de l’Office fédéral des migrations évoque les scénarios auxquels le pays se prépare. Interview d'Alard du Bois-Reymond réalisée par Yves Lassueur pour l'Illustré.

Les premiers migrants qui fuient l’Afrique du Nord et débarquent par milliers sur l’île de Lampedusa ont-ils déjà fait leur apparition à nos frontières pour demander l’asile?

Jusqu’ici, en tout cas, nous n’avons pas noté d’augmentation du nombre habituel de demandes. Et, à Lampedusa même, après avoir été massif pendant quelques jours au début de février, le flux des arrivées est tombé à 250 personnes dans la semaine du 14 au 20. Il a donc nettement baissé, ce qui s’explique peut-être par la météo. Maintenant, les choses vont-elles en rester là ou le mouvement va-t-il au contraire s’accélérer? C’est très difficile à évaluer, mais le risque est bien réel. De là la nécessité de se préparer à toutes les options.

Avec quels services examinez-vous cette situation d’urgence?

Nous tenons des séances de coordination avec les cantons, avec le Corps des gardesfrontière, le Département des affaires étrangères et celui de la défense. Il s’agit de définir les scénarios auxquels se préparer.

Quels scénarios? Envisagez-vous d’accélérer le rythme des procédures en cas d’arrivée massive de requérants?

Ça dépend des pays. Dans le cas de la Tunisie, on peut être assez confiant: tous les indicateurs montrent qu’il s’agit de jeunes sans emploi qui cherchent un travail. Pour ces gens-là, la situation est claire: on peut appliquer des procédures expéditives, qui seront vite réglées. Maintenant, si une guerre civile ravage la Libye, ce qu’on ne peut exclure, c’est autre chose. La rapidité des procédures sera moins importante, vu qu’on ne pourra pas renvoyer systématiquement les gens arrivant de là. Il faut se préparer différemment selon les situations qui peuvent survenir.

Pendant longtemps, la Libye a été le point de départ d’une bonne partie des migrants de toute l’Afrique vers l’Europe, selon les humeurs de Kadhafi qui ouvrait ou fermait les vannes de ce flux. A quel scénario s’attendre si le régime s’effondre?

C’est juste, le cas libyen pose une double question. Parmi les requérants d’asile arrivant d’Afrique du Nord à partir des côtes de Libye figurent une bonne partie des migrants d’Afrique noire. Ce qu’ils feront en cas de chute du régime, ou ce qui sera fait pour éviter qu’ils ne poursuivent leur chemin, personne ne peut vous le dire aujourd’hui. C’est pour cela qu’il est important de se préparer à toute éventualité.

L’Italie est aux premières loges de cet afflux de migrants. De quelle façon coopérons-nous avec elle?

Il est effectivement important que nous coordonnions nos efforts avec ce pays et avec toute l’Union européenne, dans le respect des Accords de Dublin.

En clair, selon ces fameux Accords de Dublin, cela signifie que les requérants d’asile arrivant en Suisse via l’Italie y seront systématiquement renvoyés? C’est ça?

C’est ça.

Vous ne transigerez pas sur cette question, même si l’afflux est massif en Italie?

Il ne faut pas seulement dire aux Italiens qu’on va leur renvoyer les migrants arrivés chez eux. Il faut aussi les soutenir pour qu’ils soient en mesure de faire face à la situation.

Les soutenir avec l’envoi de trois douaniers, comme on a appris que la Suisse s’apprêtait à le faire?…

En cas d’afflux massif, il faudra probablement aller au-delà de cette mesure. Mais ne la sousestimons pas. N’oublions pas que nous sommes un petit pays et que les autres Européens doivent aussi fournir leur contribution.

L’an dernier, l’Italie ne nous a guère aidés dans l’affaire des otages retenus par Kadhafi. Elle nous a même plutôt mis les bâtons dans les roues…

Qu’est-ce que vous voulez insinuer?

Qu’on pourrait être tentés de se montrer aussi «solidaires» avec elle dans le dossier des migrants qu’elle l’a été avec nous dans celui des otages…

Je vous pose simplement la question: sommes-nous dans une position de force? Sommes-nous en mesure d’imposer quoi que ce soit? Nous dépendons d’une collaboration efficace avec tous les pays, qu’ils soient européens, africains ou autres, pour mener une politique de migration raisonnable. C’est bien cette nécessité qui rend cette politique difficile.

Que se passera-t-il si des proches de l’exdictateur tunisien Ben Ali ou de l’Egyptien Hosni Moubarak, peut-être même demain de Mouammar Kadhafi, se disent en danger dans leur pays et déposent une demande d’asile en Suisse?

On examinera cette demande au même titre qu’on examine celle de tout requérant. Mais je ne peux vous donner aucune garantie quant au résultat de la procédure.

Entrerez-vous même en matière s’il s’agit de proches du régime qui ont les mains couvertes de sang?

Leur demande sera effectivement examinée. Mais je rappelle que ces gens-là ne sont pas à l’abri d’une interpellation et d’une condamnation pour crime de guerre ou crime contre l’humanité par le Tribunal pénal international de La Haye.

La semaine dernière, en collaboration avec les cantons, vous avez fait le point sur nos capacités d’hébergement. Sont-elles suffisantes?

Actuellement, oui. Nous avons 16 000 requérants en attente d’une décision. Et, pour cet effectif-là, ça va bien. L’objectif de notre récente réunion avec les représentants des cantons visait à déterminer dans quelle mesure il est possible de trouver de nouveaux logements et d’accomplir les procédures dans l’éventualité d’un afflux massif.

A quels chiffres êtes-vous parvenus? Combien de logements supplémentaires la Suisse pourrait-elle mettre à disposition?

A court terme, il est toujours possible de se serrer les coudes. Lors de cette séance, les représentants des cantons se sont dits prêts à étudier les possibilités de renforcer leurs capacités en matière d’accueil et d’exécution des mesures. Quant au Département de la défense, il s’est engagé à examiner les moyens de mettre provisoirement à disposition des logements de l’armée. Mais on ne peut citer aucun chiffre pour le moment.

Vous avez récemment laissé entendre que vous souhaitez réduire le temps moyen que passent les requérants d’asile en Suisse. Vous l’estimez trop long?

Oui, d’une façon générale, cette durée est bien trop longue. Mais, attention, cette question- là n’a rien à voir avec l’actualité. Elle est complètement indépendante des événements d’Afrique du Nord. En janvier déjà, nous avons eu une réunion avec la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats et elle nous a demandé d’étudier ce qui ne fonctionne pas dans notre politique d’asile. Il nous apparaît que l’un des éléments clés qui posent problème, c’est la durée des procédures. Entre le moment où un requérant frappe aux portes de la Suisse et celui où il s’en va parce que sa demande a été refusée, il s’écoule en moyenne 750 jours. Et souvent même beaucoup plus s’il a multiplié les recours contre nos décisions.

D’une moyenne de 750 jours, vous aimeriez tomber à combien?

Il faudrait veiller à ce que ce délai n’excède pas une année. Voyez ce qui arrive avec les requérants qui passent cinq ans ici, qui ont même des enfants chez nous et tissent un réseau de relations. Passé ce temps, ils ont pris racine. Comment peut-on expliquer qu’on les renvoie? C’est l’une des raisons pour lesquelles notre système d’asile a perdu de sa crédibilité. Corriger cet état de fait en diminuant la longueur des procédures, c’est l’une des tâches auxquelles nous devons nous atteler maintenant.

"Pas de quoi avoir peur des migrants arabes"

Alors que 14 000 réfugiés de Libye arrivaient à la frontière tunisienne dans la seule journée de lundi, le spectre d'une immigration massive en provenance d'Afrique du Nord hante le Palais fédéral. Cantons et Confédération élaborent des scénarios de crise et certains partis réclament un débat urgent aux Chambres. Craintes infondées, estime Jean-Philippe Chauzy, porte-parole de l'Organisation internationale des migrations. «La pression migratoire ne s'exerce pas sur l'Europe», insiste cet expert.

jp chauzy oimLe spectre d'une immigration massive en provenance d'Afrique du Nord hante le Palais fédéral. L'UDC et le Parti libéral-radical réclament un débat urgent sur un afflux présumé de Tunisiens et de Libyens, dans le sillage des soulèvements dans leur pays (voir ci-contre). Pendant ce temps, cantons et Confédération élaborent des scénarios de crise. Les craintes qui se propagent à Berne sont-elles justifiées? Porte-parole de l'Organisation internationale des migrations (OIM), Jean-Philippe Chauzy apporte son éclairage.
La Suisse a-t-elle raison de craindre un afflux de migrants d'Afrique du Nord?
Jean-Philippe Chauzy: Pour l'instant, rien ne permet d'étayer cette hypothèse. Ce sont des déclarations à l'emporte-pièce, alarmistes, qui surviennent dans un contexte de ralentissement économique et de rejet de la migration. Et ceux qui les tiennent se servent de la situation actuelle pour justifier l'érection de murs.Il faut le rappeler, la Libye est un pays de destination pour la majorité des migrants, pas un pays de transit. Seuls 10% des Africains qui gagnent ce pays le font dans le but de rallier ensuite l'Europe. Et aujourd'hui, la plupart cherchent essentiellement à rentrer dans leur pays, de peur de subir des violences xénophobes en Libye. Ainsi, 6000 Nigériens ont franchi la frontière sud de la Libye ces derniers jours. Et toutes les informations en notre possession nous disent que les autres aspirent au retour le plus rapide possible chez eux.
Pourquoi ne tenteraient-ils pas leur chance vers l'Europe?
Les filières, qui ne sont pas actives pour l'instant, ne fonctionnent pas gratuitement. Le passage vers l'Europe coûte entre 1000 et 1500 euros. C'est hors de prix pour les immigrés clandestins présents en Libye, qui peinent déjà à se nourrir et à se loger.
L'Europe cède à l'hystérie, à vous entendre...
Il est normal que les Etats anticipent de possibles flux migratoires. Mais si l'Europe se soucie vraiment du risque accru de migration, elle devrait commencer par augmenter son aide aux pays concernés par l'exode, à savoir la Tunisie et l'Egypte.
De quoi ces deux pays ont-ils besoin?
Dans un premier temps, d'une aide dans les zones frontalières actuellement submergées, surtout côté tunisien. Dix à douze mille personnes y arrivent chaque jour de Libye, c'est énorme!Dans un deuxième temps, les autorités tunisiennes ont besoin que l'on mette en place un programme d'évacuation humanitaire. L'idée est de pouvoir fournir dans les 24 heures des documents de voyage aux personnes qui passent la frontière, puis de leur fournir une aide tant logistique que financière afin qu'ils rentrent chez eux. C'est ce que l'OIM fait depuis la Tunisie avec des ressortissants du Mali et du Bengladesh. Enfin, à moyen terme, il faut penser à investir dans ces pays en transition pour permettre aux jeunes de migrer par choix, et plus par nécessité.
Et si l'Europe ne fait rien?
Des migrants risquent alors de se retrouver bloqués dans les zones frontières entre la Tunisie et la Libye. Les filières de passeurs en profiteront pour s'installer. Mais pour l'instant, je le répète, la pression migratoire ne s'exerce pas sur l'Europe!
Si le verrou libyen saute, cela pourrait encourager la migration en provenance d'Afrique noire...
En 2009, l'Italie et la Libye ont en effet signé un accord par lequel Tripoli s'engageait, contre paiement, à verrouiller un peu mieux sa frontière sud, à empêcher le départ de bateaux de migrants, à ramener les navires interceptés vers ses côtes et à rassembler leurs occupants dans des centres de détention. Nous ignorons combien de personnes se trouvaient dans ces camps. Nous avons par contre des estimations qui font état de 1,5 million de travailleurs dans le secteur informel en Libye. Venus du Ghana, du Togo, du Bénin ou du Burkina Faso, ces clandestins étaient recrutés à la journée et étaient de ce fait très vulnérables. Mais nous sentons chez eux une très forte envie de rentrer chez eux plutôt que de tenter leur chance en Europe.
Qu'en est-il d'un possible afflux de Tunisiens?
La chute du régime de Ben Ali a donné lieu à un moment de flottement de la part des autorités, et des filières se sont rapidement mises en place pour permettre à des jeunes de partir. Mais a priori, le flux de migrants vers Lampedusa s'est tari. Ces derniers jours, on n'a par ailleurs observé aucun nouveau départ des côtes libyennes, tunisiennes ou égyptiennes.

Propos recueillis par Serge Gumy pour la Liberté

«Le sort des migrants en Suisse est inadmissible»

Manon Schick a passé du statut de porte-parole à celui de directrice de la section suisse d’Amnesty International. Elle évoque l’importance de la solidarité avec le monde entier. Mais aussi les droits humains en Suisse et la progression d’un discours politique raciste et xénophobe. Interview.

manon schick aiCette année, Amnesty International fête ses 50 ans. Pour l’occasion, des gens de toute la Suisse seront invités le 20 mai à porter «le toast de la liberté», en mémoire de l’événement qui avait présidé à la fondation de l’organisation en 1961 par l’avocat britannique Peter Benenson.

swissinfo.ch:  Vous êtes la responsable d’Amnesty International Suisse, depuis le 1er mars. Qu’est-ce qui va changer?

Manon Schick: Je ne crois pas que la section suisse va beaucoup changer puisque je suis déjà membre du comité exécutif et je n’ai pas l’intention de tout changer. Mais bien sûr je suis différente de mon prédécesseur (Daniel Bolomey, ndlr), qui a près de 60 ans. Je suis une jeune femme et donc j’ai peut-être des vues un peu différentes.
J’ai également travaillé comme bénévole pendant des années et je veux mobiliser les gens, pas seulement les membres d’Amnesty, leur expliquer à quel point il est important de militer en faveur des droits humains.

swissinfo.ch: Comment comptez-vous procéder à cette mobilisation ?
M.S.: C’est très difficile à une époque qui n’est pas très favorable. Cela fait plusieurs années que nous assistons à la guerre contre le terrorisme et à un important recul de la situation des droits humains. Par exemple, la Convention contre la torture a été presque anéantie par des pays comme les Etats-Unis.
Je suis bien consciente que je n’aurai pas la tâche facile. Mais je pense que c’est important de montrer aux Suisses que, si nous organisons une manifestation contre la Libye, par exemple, nous n’avons peut-être pas l’impression d’aider, alors que nous savons que la population libyenne est encouragée de savoir que le monde entier se mobilise en solidarité avec son mouvement.
Nous devons saisir les chances qui nous sont offertes en Suisse, comme la liberté d’expression etc, pour en faire profiter des gens qui n’ont pas ces chances.

swissinfo.ch: Le gouvernement suisse aime à dépeindre le pays comme un bastion des droits humains. Les Suisses s’intéressent-ils à ces questions de manière générale ?
M.S.: Beaucoup, je crois. Amnesty International bénéficie ici d’un important soutien, comme d’autres organisations de défense des droits de l’homme. Nous-mêmes comptons plus de 45'000 membres et plus de 100'000 donateurs. La proportion de la population qui nous soutient est plus importante que dans des pays comme la France ou l’Allemagne, qui ont presque le même nombre de donateurs pour une population beaucoup plus nombreuse.
Je pense que c’est un signe que, même si les Suisses n’ont pas beaucoup de temps pour descendre dans la rue ou pour écrire des lettres, etc, ils s’intéressent aux droits humains.

swissinfo.ch: Dans le rapport 2010 d’Amnesty, vous dites que le discours public est de plus en plus raciste et xénophobe dans ce pays. Qu’entendez-vous par là ?
M.S.: Amnesty n’est pas la seule à faire ce constat. Dans le débat politique, on entend de plus en plus souvent parler d’«islamisation de la Suisse» ou de «danger pour les valeurs suisses», ce qui était plutôt rare auparavant.
Ces dernières années, cette tendance s’est aggravée depuis que les partis politiques tendent à utiliser les sentiments xénophobes de la population pour faire le plein de voix. Au point qu’on a l’impression qu’il y a un gros problème entre l’islam et les autres religions dans ce pays, ce qui n’est pas vrai.
Les partis ont une lourde responsabilité et il faut qu’ils cessent de jouer ce jeu dangereux pour la cohabitation entre Suisses et étrangers, ou entre les religions de ce pays.

swissinfo.ch: Et c’est le plus gros défi lancé aux droits de l’homme en Suisse, selon vous ?
M.S.: En tout cas, c’est l’un des plus gros. L’autre grand problème est posé par les migrants. Depuis une trentaine d’années, la situation s’est nettement détériorée et la législation sur l’asile est presque toujours devenue plus sévère.
Actuellement, la situation est très, très difficile pour les migrants. Certains demandeurs d’asile n’ont droit ni à une procédure équitable ni à des conseils juridiques et, lorsque leur recours est rejeté, ils n’ont aucun droit à une existence digne: des familles n’ont que 10 francs par jour pour survivre, même lorsqu’elles n’ont pas les papiers nécessaires pour retourner dans leur pays. C’est inadmissible dans un pays tel que la Suisse.

swissinfo.ch: Lorsque Amnesty critique la Suisse, de nombreux lecteurs réagissent en écrivant que vous défendez des étrangers qui menacent les valeurs suisses. Que leur répondez-vous ?
M.S.: C’est toujours très facile de critiquer la Chine ou, actuellement, la Tunisie ou la Libye, parce que tout le monde sait que la situation est mauvaise dans ces pays. Mais personne ne veut entendre parler des problèmes qui peuvent exister en Suisse.
Je dis toujours, bon c’est vrai, la Suisse est un pays où il fait bon vivre, où les droits humains sont respectés, mais cela ne suffit pas, nous devons montrer une certaine cohérence entre la manière dont la Suisse se présente à l’étranger, en disant que les droits de l’homme sont importants, et la façon dont les autorités suisses agissent à l’intérieur du pays, par exemple à l’égard de la population migrante.
C’est aussi une question de crédibilité. Nous ne pouvons pas toujours critiquer ce que font les Etats-Unis en Afghanistan ou à Guantanamo, et ignorer les problèmes que nous avons, même s’ils sont mineurs. Nous devons nous montrer critiques envers tous les pays.

Thomas Stephens, swissinfo.ch, traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger

Les requérants du «bunker» ne font plus peur aux Boveresses

L’hébergement de 50 requérants dans un abri PCi avait inquiété. Visite du quartier un mois plus tard

Malabar débonnaire, Vincent est un vigile qui a en vu d’autres: «Ici, tout est tranquille. Rien de fâcheux à signaler.» Ici, c’est la «structure de jour» de l’abri du complexe scolaire de Coteau Fleuri, perché sur une hauteur lausannoise.

La crainte de l’inconnu

Depuis un mois, une cinquantaine d’«hommes seuls au bénéfice de l’aide d’urgence» sont hébergés dans le quartier des Boveresses. L’arrivée de ces requérants d’asile déboutés avait poussé à la manifestation des mères d’élèves.

Le 2 février au soir, une quinzaine d’entre elles avaient protesté dans le préau contre ce nouveau voisinage. Maria Gonzales n’était pas la moins remontée. Aujourd’hui, du haut de son jardin qui surplombe l’entrée de l’abri, elle dédramatise: «Mine de rien, tout se passe bien.» Le soir de la manif déjà, puis le 16 février lors d’une rencontre plus formelle, les responsables de l’Etablissement vaudois pour l’accueil des migrants (EVAM) ont rencontré les gens du quartier que la situation préoccupait.

Directeur de cette institution mandatée par l’Etat pour gérer l’hébergement des requérants dans tout le canton, Pierre Imhof indique que ces discussions se prolongeront avec la constitution d’un groupe de contact. «Des habitants nous ont apporté de la nourriture pour nos pensionnaires», relève Pascal Rochat, responsable du secteur lausannois de l’EVAM, pour souligner l’évolution du climat.

Le dilemme de l’«info»

Maria Gonzales tient tout de même à exprimer un reproche. «Si on avait pris la peine de nous informer avant l’arrivée des requérants, nous n’aurions pas alarmé nos enfants en manifestant dans la cour de leur école.» Pascal Rochat accepte la critique: «Mais nous étions confrontés à un dilemme.»

Le 5 janvier, des heurts s’étaient produits entre la police et des requérants du foyer que l’EVAM gère à Nyon. «Comme d’autres, cette structure était saturée, rappelle Pierre Imhof. En décembre déjà, nous avions obtenu l’autorisation de la Municipalité de Lausanne d’ouvrir l’abri de Coteau Fleuri.»

Pour l’EVAM, ces 50 places supplémentaires étaient indispensables. Mais l’annonce anticipée du transfert aux Boveresses d’une vingtaine de requérants de Nyon aurait pu provoquer des oppositions insurmontables. Responsable politique du dossier, le Département vaudois de l’intérieur a décidé qu’il valait mieux informer au moment du déménagement. D’autant que le bail de la structure de jour a été signé in extremis.

abri pc coteau fleuri

En parallèle, plusieurs dispositions ont été prises pour que l’installation des requérants aux Boveresses dérange le moins possible. Fermeture de l’abri entre 9 et 23 heures, itinéraire évitant les places de jeux pour rejoindre la structure de jour, surveillance régulière des lieux par la police… «L’EVAM a mis les points sur les i. Et cela a l’air de jouer», admet Maria Gonzales.

Incitations au départ

Vu de l’intérieur, cela joue moins bien. Ce mardi matin, Ibrahim, venu du Ghana, est dans tous ses états. Son copain a été malade toute la nuit: «Impossible de sortir de l’abri, impossible de téléphoner pour demander des secours à l’extérieur, c’est pas humain!» L’ambulance est arrivée dans la matinée.

Même en bonne santé, le sommeil est parfois difficile à trouver sous terre. Alors les requérants ont surnommé leur abri «le bunker de Guantánamo».

A 10 heures, dans la salle de la maison de jour qui sert de réfectoire, l’ambiance n’est pas meilleure. Les NEM n’ont droit qu’à une aide en nature. Mais quelques-uns se chargent de la mise en place des repas, de la vaisselle, des nettoyages. Ils touchent une «indemnité» de 37 fr. 50 par semaine. On leur avait promis de les payer ce 1er mars. Mais le transfert a pris du retard car, pour la première fois, le versement s’opère sur des cartes à prépaiement. Ce qui suscite passablement d’incompréhension et quelque énervement.

Dans leur ensemble, ces rudes conditions de vie visent à encourager les requérants frappés par une «non-entrée en matière» à s’en aller sous d’autres cieux. Mais il faut aussi éviter de faire trop monter la pression. Satisfait du comportement général de ses pensionnaires, Pascal Rochat a accepté de retarder la fermeture nocturne des portes de «Guantánamo» à 2 heures du matin.

Daniel Audétat dans 24 Heures

«Le foulard à la mosquée, un signe de respect»

Le foulard que portait Marlène Bérard, candidate à la Municipalité de Lausanne, lors d’une célébration à la mosquée, fait toujours jaser. Des religieux commentent.

U ne histoire de foulard – et non de voile comme il a été dit – met en émoi la classe politique lausannoise en pleine campagne électorale. Evoquée par La Liberté puis par Le Matin Dimanche , la tête couverte de Marlène Bérard, candidate à la Municipalité lausannoise sur la liste du PLR, lors d’une fête à la mosquée de Lausanne le 12 février, lui a valu des remarques courroucées de la part d’élus socialistes.

«Ce n’est pas une marque de respect que de singer les coutumes des autres», a fustigé Silvia Zamora. Contrairement à sa collègue de parti, la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey dont le sourire et le foulard arborés lors de sa visite au président iranien Ahmadinejad restent dans toutes les mémoires, la municipale socialiste lausannoise affirme n’avoir jamais porté de «voile».

Marlène Bérard, elle, a déclaré avoir pris un châle dans son sac lors de cet événement marquant la naissance de Mahomet, auquel près de 400 personnes avaient été conviées.

«Je l’ai pris au cas où. C’est un signe de respect dans un lieu de culte, comme le port de la kippa dans une synagogue ou de vêtements longs dans une église.» Un point de vue unanimement partagé par les représentants des communautés religieuses que nous avons interrogés et qui dénoncent une tempête dans un verre d’eau.

«C’est un signe d’égard pour l’autre, une manière de dire: «Je m’approche de vous en toute liberté», selon sa conscience, sans pression», estime Martin Hoegger, membre du comité de l’Arzillier, association pour le dialogue interreligieux. Le pasteur protestant cite les paroles de l’apôtre Paul. «Avec les Grecs, je suis Grec, avec les juifs, je suis juif, avec les faibles, je me sens faible.»

Même approche de la part de Marc Guedj. L’ancien grand rabbin de la communauté de Genève, aujourd’hui directeur de la Fondation Racines et Sources en faveur du dialogue interreligieux, regrette que ce genre d’événement soit monté en épingle. «Cela ne fait qu’alimenter les extrémismes», analyse Marc Guedj, qui insiste sur la prise en compte de la sensibilité de l’autre. «Il n’y a jamais aucune obligation. Les non-juifs ne doivent pas porter la kippa à la synagogue, mais nous apprécions qu’ils le fassent, tout comme il est d’usage de se découvrir lorsqu’on entre dans une église», affirme Marc Guedj, qui relève qu’une femme qui ne se couvre pas la tête dans une mosquée peut estimer qu’elle «détonne».

Imam de la mosquée de Lausanne, El Rifai confirme que les femmes se couvrent la tête dans le lieu de prières. «Cela nous touche qu’une non-musulmane le fasse aussi mais, dans le cas contraire, nous ne faisons pas de remarque», affirme l’imam, qui ajoute qu’il n’a jamais demandé aux étudiantes qui visitent la mosquée de porter un foulard.

Francine Brunschwig dans 24 Heures

Paris face à la crainte d'un afflux de migrants

Les révolutions arabes font redouter une arrivée massive de clandestins, une peur attisée par la droite populiste. Nouveau ministre de l’Intérieur, Claude Guéant sera chargé de la lutte contre cette immigration.

Le remaniement ministériel du week-end dernier ne vise pas seulement à redonner du souffle à la politique extérieure de la France. Les changements au sein du gouvernement sont également guidés par des ambitions de politique intérieure.

Pour le président Nicolas Sarkozy, il s’agit de «protéger le présent des Français». La mission a été endossée par un proche du président, Claude Guéant. Ancien préfet, ancien directeur général de la police nationale, il connaît tous les rouages du Ministère de l’intérieur, où il a déjà occupé de nombreux postes. Dès sa prise de fonction, le successeur de Brice Hortefeux a donné le ton, égrenant ses priorités: améliorer la sécurité et «lutter contre l’immigration irrégulière qui, c’est un fait, […] inquiète» les Français.

Le gouvernement se prépare

Avec trois politiciens aguerris dans trois ministères régaliens – Claude Guéant, Alain Juppé aux Affaires étrangères (LT du 1.3.11) et Gérard Longuet à la Défense –, Nicolas Sarkozy espère être prêt à «affronter les événements à venir dont nul ne peut prévoir le déroulement». Derrière cette menace à peine voilée, l’ombre de flux migratoires massifs en provenance de la rive sud de la Méditerranée et plus particulièrement de la Tunisie et de la Libye, secouées par la révolution. Les images de l’île italienne de Lampedusa et les propos de son maire, expliquant que les migrants tunisiens ont la France pour but final de leur périple, ont attisé les peurs.

Comme en Suisse, la droite populiste s’est emparée du sujet. Brandissant le «risque de tsunami migratoire», Marine Le Pen, présidente du Front national et candidate à l’élection présidentielle, demande des mesures de «salut public». Elle évoque le rétablissement temporaire de frontières douanières avec l’Espagne et l’Italie pour «éviter l’arrivée massive de clandestins» ou la négociation d’un accord avec ces deux pays «afin de coordonner la protection des eaux territoriales par nos marines communes». En visite au Salon de l’agriculture le week-end dernier, elle a lancé une de ces phrases qui font mouche, suggérant de «repousser dans les eaux internationales les migrants qui voudraient entrer en Europe».

Les sondages de leur côté commencent à enregistrer l’inquiétude des Français. Près de la moitié (49%) des personnes interrogées dans une enquête Ifop ont dit leur crainte des révolutions dans le monde arabe. Une très forte majorité (81%) estime probable l’augmentation du nombre d’immigrés en Europe.

«Réponse collective»

«Avec les autres pays européens, nous ferons preuve d’une très grande fermeté à l’égard de l’immigration illégale», a déjà devancé le premier ministre sur RTL, en appelant à une «réponse collective» de l’Union. Pour François Fillon, «le meilleur moyen» de limiter le flux migratoire, «c’est d’aider la Tunisie à réussir, d’aider l’Egypte à réussir, c’est faire en sorte que la situation se stabilise rapidement en Libye».

Les socialistes sont également entrés dans le débat. Ils ripostent à Marine Le Pen en proposant eux aussi d’agir à la source. Sur France Inter, l’ancien premier ministre Laurent Fabius a lancé l’idée d’un «pacte des libertés» entre l’Europe, la Tunisie, l’Egypte et la Libye. Son projet: apporter à ces pays «un soutien massif sur tous les plans, économique, sanitaire ou social, afin d’éviter une immigration massive».

Catherine Dubouloz dans le Temps

Débat urgent sur les réfugiés en Afrique du Nord

Tous les partis militent en faveur d’un débat urgent, qui aura lieu le 16 mars. Pour évoquer les craintes d’«immigration massive». Ou les modalités d’aide sur place.

Ils ne pouvaient pas ne pas en parler. Les mouvements de révolte dans les pays d’Afrique du Nord et leurs conséquences ont occupé les groupes parlementaires mardi après-midi. Tous réclament un débat urgent. Si, formellement, le Bureau du National doit rendre une décision jeudi, il ne fait aucun doute que le débat aura lieu. Et en l’occurrence le troisième mercredi de la session, soit le 16 mars.

Sans surprise, l’UDC se dit préoccupée par la vague de réfugiés qui pourrait atteindre la Suisse. Elle veut «empêcher les passages frontaliers illégaux par une surveillance des frontières nationales et appliquer rigoureusement l’Accord de Schengen». Le parti compte notamment demander au Conseil fédéral s’il est prêt, en cas d’augmentation de l’immigration illégale, de réintroduire immédiatement les contrôles aux frontières. Et s’il compte recourir à l’armée pour renforcer le Corps des gardes-frontière. Il se préoccupe aussi de l’application, par tous les Etats de l’UE, de l’Accord de Dublin, qui permet théoriquement de renvoyer un requérant vers le premier pays européen par lequel il est arrivé.

L’UDC parle également, dans son communiqué, «d’invasion en masse de réfugiés économiques». Pas un mot en revanche sur la chute des régimes autoritaires et le nouveau vent de liberté qui souffle dans ces pays. Idem en ce qui concerne le Parti libéral-radical. Le titre du communiqué du PLR en allemand (la version française a été adoucie) donne le ton: «La Suisse doit s’armer contre la vague menaçante de réfugiés.» Le parti qualifie la Tunisie et l’Egypte de «pays sûrs» et estime donc que ses migrants ne seraient que des réfugiés économiques, que la Suisse devrait renvoyer. Pour les Libyens, touchés par une guerre civile, la situation est différente. S’ils atteignent la Suisse, ils ne pourraient pas être renvoyés tout de suite, convient le PLR. Mais le parti prévient: en cas de venue massive de Libyens, la Suisse frôlerait «le chaos, la répartition des réfugiés entre les cantons ne fonctionnant pas». Il prône l’utilisation de bâtiments de l’armée. Dans ses questions, le PLR prend prétexte de l’actualité pour s’interroger de façon plus large sur les problèmes du système d’asile en Suisse.

Bons offices diplomatiques?

Le PDC? Il revendique aussi un débat urgent. Mais de façon plutôt discrète. Le PS salue, lui, les soulèvements et «le triomphe de l’aspiration à la liberté sur des structures étatiques autoritaires et corrompues dont l’objectif était de confisquer l’exercice du pouvoir et les ressources économiques au seul bénéfice de leurs proches et affidés». Il estime que la Suisse doit revoir la nature de ses relations économiques avec les régimes autoritaires. Et veut imposer les thèmes suivants: les mesures que la Suisse serait prête à prendre pour ne plus abriter d’argent illégalement soustrait, le gel des exportations d’armes en direction du Proche et du Moyen-Orient, ou encore la question de l’acheminement de l’aide humanitaire sur place.

Les revendications des Verts vont dans le même sens. La Suisse doit soutenir les revendications démocratiques dans ces pays «par des moyens civils», insistent-ils. Comme l’aide humanitaire, le soutien économique à la reconstruction et les bons offices diplomatiques.

Valérie de Graffenried dans le Temps

«La Suisse doit aider mon frère à quitter l’Irak. La police veut à nouveau l’arrêter»

maytham al-zaïdiMaytham al-Zaïdi, le frère du lanceur de chaussures, était hier à Berne pour demander de l’aide.

Aux dernières nouvelles, Mountazer al-Zaïdi devait s’établir en Suisse. Après avoir fait 9 mois de prison en Irak pour avoir lancé ses souliers sur George Bush, alors président des Etats-Unis, il avait demandé l’asile politique. A l’époque, fin 2009, il avait même rendu visite au parlement suisse avec son frère, Maytham al-Zaïdi. Hier, ce frère, désormais établi à Bulle (FR), est revenu rendre visite à Josef Zisyadis (POP/VD) pour demander de l’aide. Les nouvelles ne sont pas bonnes.

En fait, le lanceur de chaussures, qui avait créé un buzz mondial, est finalement parti vivre au Liban où une chaîne de télévision lui avait proposé du travail. Mais, la semaine dernière, Mountazer al-Zaïdi a décidé de retourner en Irak pour participer aux manifestations contre le gouvernement en place, suscitées par le Printemps arabe. Joint hier par téléphone, il raconte: «Je me promenais dans la rue quand une voiture de l’armée m’a arrêté. Ils m’ont dit de venir avec eux car je ne pouvais pas rester là, beaucoup de gens voulant ma mort. J’ai répondu que je n’irais pas et qu’ils devaient m’arrêter pour que j’accepte de mettre les pieds dans un bâtiment du gouvernement officiel, que je considère comme un ennemi. Ils m’ont dit qu’ils m’invitaient simplement à boire le thé.»

La communication est coupée. «Inutile d’essayer de rappeler, explique son frère Maytham. Les autorités ont dû repérer son numéro et couper la ligne. Il doit changer de téléphone.» Et, effectivement, une bande enregistrée en arabe signale désormais un faux numéro.

Pression et intimidation

Le reste de l’histoire, c’est donc le frère qui la raconte: «Ils l’ont arrêté de force et emprisonné pendant trois jours. Sans rien lui donner à manger.» Selon Maytham, son frère a dû signer des documents pour promettre qu’il n’organiserait ni manifestation ni conférence de presse. Le buzz de l’arrestation et des photos de Muntazer menotté ont commencé à circuler sur Facebook. Une centaine de personnes ont menacé de le libérer de force si les autorités ne le relâchaient pas.

Grâce à la pression populaire, Mountazer s’est donc retrouvé libre lundi. Et première chose qu’il a faite: c’est se replonger dans son combat en appelant à manifester ce vendredi. Il a également appelé des journalistes pour une conférence de presse. «Plusieurs de ces journalistes ont été arrêtés, explique le frère. Preuve qu’il est sous écoute.» Hier, des voitures de police se sont rendues à son domicile. «Cette fois, il s’est enfui, ajoute Maytham. La police lui avait bien dit que, s’il l’arrêtait une deuxième fois, il ne retrouverait pas aussi facilement la liberté.»

bush shoe

Depuis, le lanceur de chaussures se cache chez des amis. Il est bien décidé à participer à la manifestation de vendredi. «Il sait que sa vie est en danger, explique le frère, mais les manifestants formeront un cordon de sécurité autour de lui et empêcheront la police de l’approcher. Il veut absolument dénoncer le manque de nourriture et le chômage qui frappent le peuple irakien.» Reste que Mountazer est en fuite avec un autre de ses frères arrêté en même temps que lui et que la police détient encore un troisième frère.

En Suisse, Maytham se sentait hier bien démuni. «Mon frère m’a demandé de rendre visite à Josef Zisyadis pour lui demander de l’aider à revenir en Suisse après la manifestation de vendredi.» Le popiste vaudois a promis de prendre contact avec l’ambassade sur place, ainsi que le Département des affaires étrangères. Mais Mountazer est recherché, il n’osera probablement pas se rendre dans un aéroport pour quitter l’Irak. L’affaire s’annonce des plus compliquées .

Fabian Muhieddine, Berne, pour 24 Heures

Réflexions à propos de l'interdiction de la mendicité à Lausanne

Jean-Michel Dolivo et Jean-Pierre Thurre sont invités de la rubrique Opinions de 24 Heures pour y débattre de la mendicité.

jm dolivoLa chasse aux pauvres est ouverte…

Les miséreux doivent impérativement rester discrets et avoir le bon goût de ne pas étaler leur malheur publiquement! La chute dans la misère, particulièrement en période de crise, ne doit pas être visible. Etre mendiant, c’est d’une certaine manière abuser de la pauvreté…

La démagogie xénophobe s’est invitée dans la campagne pour les élections communales lausannoises. Le Parti libéral-radical a lancé une initiative pour l’interdiction de la mendicité par métier, prenant de vitesse l’UDC qui venait de déposer au législatif deux postulats au contenu similaire. Les bisbilles entre droite et extrême droite pourraient prêter à sourire si la surenchère sécuritaire de l’une ne tendait pas à légitimer les discours racistes de l’autre.

En demandant une interdiction de la mendicité, on stigmatise les Roms, population vivant dans une extrême pauvreté, en Roumanie ou ailleurs en Europe. Beaucoup n’ont d’autres possibilités pour faire survivre leur famille que de venir chercher quelques sous en mendiant dans nos villes.

L’été passé, Sarkozy a pris la tête d’une croisade contre les Roms, essayant d’occuper le terrain du Front national! Cette banalisation du racisme est d’autant plus inquiétante qu’elle gagne même épisodiquement les rangs de la gauche. «Avec les Gitans, c’est inévitable. C’est dans leurs mœurs. Un trait de caractère profond», a ainsi lâché le syndic Daniel Brélaz, constatant quelques dégâts commis par les 200 personnes accueillies au Chalet- à-Gobet en juillet dernier…

A en croire les libéraux-radicaux, la mendicité serait le fait de «bandes organisées, qui simulent la maladie»: un récent rapport de la police lausannoise a pourtant montré qu’il n’y avait en réalité ni bandes ni réseaux organisés, mais seulement une vingtaine de mendiants roms de passage.

Pire encore, selon le PLR, la mendicité nuirait «à l’image de Lausanne». On pourrait le rassurer en rappelant que la ville est déjà connue internationalement comme la capitale des multinationales du tabac: Philip Morris, British American Tobacco et autres empoisonneurs publics, attirés à coups de rabais fiscaux par le canton et la Municipalité dite de gauche.

L’interdiction de la mendicité conduirait à la mise à l’amende des mendiants. A Genève, cette interdiction n’a nullement fait disparaître la mendicité! Et des dizaines de milliers de francs dépensés chaque année pour amender et poursuivre en justice les mendiants sont ainsi gaspillés! Ces moyens seraient bien mieux utilisés pour combattre la pauvreté extrême et la stigmatisation dont souffre la population rom!

Plutôt que des amendes qui ne peuvent pas être payées et des renvois qui ne résolvent rien, il y a urgence à mettre sur pied des centres d’accueil permanents pour les mendiants – roms ou non – qui permettent de surmonter, un tant soit peu, la situation d’extrême précarité dans laquelle ils se trouvent.

 

jp thurreOsons porter un autre regard sur les Roms

Le débat sur la mendicité révèle de manière assez surprenante l’état d’esprit de certains politiciens, voire de certains citoyens face à la pauvreté. Même les Eglises sont interpelées par cette réalité et cherchent une réponse appropriée.

A coups de clichés simplistes, de slogans mensongers ou d’initiative, on veut stigmatiser les Roms, qui appartiennent à la communauté la plus pauvre d’Europe. Au Pont-de-Chailly, j’ai l’habitude de rencontrer régulièrement un jeune Rom, prénommé Peter. Nous avons des échanges chaque semaine et évoquons sa situation. Il vient d’un petit village de Slovaquie, où vit le reste de sa famille. Sa mère souffre de leucémie.

La communauté rom est victime de profondes discriminations depuis des siècles, et souvent rejetée par le reste de la population en raison de préjugés bien établis. Avec ses 10 à 12 millions de membres, elle est la plus importante minorité du continent.

Sur le plan politique, douze Etats d’Europe centrale et orientale se sont engagés, avec le soutien de la Banque mondiale, du Programme des Nations Unies pour le développement et de l’OSCE, à changer la donne. Ils ont proclamé 2005-2015 Décennie de l’intégration des Roms. Il faut maintenant que cela se traduise dans les faits. A mi-parcours, on doit reconnaître que les résultats ne sont pas très encourageants. La crise économique que nous traversons y est pour quelque chose.

Une partie de l’enjeu se situe au niveau de l’éducation. Nombre d’enfants roms ne vont pas à l’école, car ils vivent à l’écart des infrastructures, voire sont victimes d’exclusion. La Confédération participe en Hongrie à un fonds pour l’éducation, qui a notamment créé une année d’école préparatoire pour les petits Roms. Mais le défi reste immense, car les conditions sont précaires. La Commission européenne peut jouer un rôle moteur pour l’intégration des Roms, mais il y a une véritable méconnaissance du problème de la part des leaders européens.

Interdire la mendicité à Lausanne ne constitue pas la meilleure réponse, car on s’attaquerait ainsi au groupe le plus vulnérable d’Europe. Je suis d’avis qu’il faut rechercher des solutions concrètes avec les pays concernés en mettant sur pied des projets sur place. Mais, dans l’immédiat, les Roms n’ont pas d’autres ressources que celle de mendier, car ils n’ont pas accès au monde du travail. La mendicité constitue bien une solution par défaut.

La Direction du développement et de la coopération suisse (DDC) a publié Roma Realities , ouvrage qui retrace la vie des Roms et donne un éclairage plus objectif sur cette communauté. Par ailleurs, on y trouve de nombreuses photos d’Yves Leresche, qui connaît très bien cette population pour avoir séjourné parmi elle à maintes reprises. Et ceux qui veulent en savoir plus peuvent s’informer auprès de l’Association Opre Rom, à Lausanne.

24 Heures

«Sans les immigrés, la France ne tournerait pas»

Ce mardi avait lieu, pour la deuxième année, la journée «vingt-quatre heures sans nous». «Nous»? Ceux qui entendent rappeler que l'immigration, ça a du bon.

Place de la Bourse à Paris.

Place de la Bourse à Paris. (C.B.)

Slogan: «24 heures sans nous». Signe de ralliement: un petit ruban jaune. Enlevez de la société française tous ceux qui ont un ancêtre étranger, que reste-t-il?

Plus grand monde, entendaient rappeler ce mardi à ceux qui l'oublieraient les organisateurs de la «journée sans immigrés». Comme l'année dernière lors du coup d'essai de l'opération, l'idée était d'appeler les Français en général, quelle que soit leur origine, à arrêter de travailler et de consommer le temps d'une journée pour montrer, en creux, l'apport de l'immigration à la société française. Et en finir avec la stigmatisation ambiante.

Derrière cette démarche, un collectif né fin 2009 d'un «ras-le-bol commun» après une petite phrase de trop, celle d'Hortefeux - «Quand y en a un, ça va...» Profs, cadres, journalistes, ils se sont organisés via Facebook en prenant soin de garder leurs distances avec toute récupération syndicale ou politique, même si des organisations comme le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) s'associent à la démarche. Un an plus tard, et à l'approche de la présidentielle, leur manifeste (à lire ici, accompagné d'un appel à signer), leur paraît plus que jamais d'actualité.

Les comités locaux organisaient ce mardi des manifestations dans une quinzaine de ville (lire ici l'interview recueillie par notre correspondante à Lille). A Paris, le rendez-vous était donné à la mi-journée place de la Bourse.

Parmi la petite foule, Nadia, Rachid, Farida ou Najib. Ils ont posé une RTT pour venir dire, en termes mesurés, leur fatigue d'être sans cesse renvoyés à leurs origines.

Nadia, 39 ans, comptable

«Mes grands-parents sont venus en 1947 d'Algérie parce qu'on est venu les chercher. Et deux générations plus tard, je devrais encore me justifier? On nous renvoie à la figure le passé colonial. Pareil sur l'islam, que Sarkozy s'ingénie à instrumentaliser dans une pure logique électoraliste. On peut être français à part entière et choisir une autre religion que le catholicisme, non ?

«L'immigration fait partie de la vie économique de la France, c'est un fait. Et malgré tout on nous considère comme des parias. Quand on nous parle immigration, on nous parle banlieue, barbus, on monte les Français les uns contre les autres. Il faudrait quand même arrêter de dire que l'immigration, c'est les petits délinquants qui tiennent les murs dans les cités. Ce racisme ouvert de la part des hommes politiques et de figures médiatiques est intolérable. Pourtant, il est toléré, regardez Eric Zemmour! Il a été condamné par la justice pour ses propos et il continue de faire des émissions.»

Najib, 31 ans, cadre marketing dans une grande entreprise

«Je suis née ici, j'y ai fait mes études, je me sens français à 100%. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir des attaches fortes avec le Maroc. Mes parents sont venus en France dans les années 70 pour le travail, mon père comme ouvrier, ma mère dans la restauration. Ils ont contribué au développement de la France et en dépit de cela, dans les médias, au gouvernement, l'immigration est toujours abordée comme un problème. Mais sans les immigrés et les enfants d'immigrés, la France ne tournerait pas! Les relents de racisme perdurent, comme une lame de fond. On continue à nous opposer aux "Français de souche".

«J'ai beau avoir avoir un bon poste, le mélange ne se fait pas dans le tissu social. Quand je suis dans un dîner, les premiers échanges sont bons mais dès que je donne mon prénom on me demande: "Ah oui? Tu viens d'où? T'habites où?", avec toutes les connotations qui vont avec: la banlieue, les Arabes... Et la religion. Car depuis quelques années, cette stigmatisation de l'origine se double d'une défiance envers les musulmans. Regardez le débat sur l'islam qui s'annonce! Ça me dégoûte. Alors que 99% des musulmans ne demandent qu'à vivre leur religion dans la paix et la sérénité, on focalise sur quelques centaines de radicaux.»
Farida, 38 ans, informaticienne dans une grande chaîne télé

«Il faut dire, ensemble, à nos dirigeants qu'ils arrêtent de systématiquement pointer l'apport négatif de l'immigration, de faire des amalgames du type musulman = arabe = terroriste = délinquant. Faisons attention à ce qu'on dit. Il n'y avait qu'à écouter, dimanche soir, Sarkozy nous faire un discours sur la peur, comme si des Tunisiens et des Algériens allaient débarquer d'un coup en masse! On ne peut laisser nos gouvernants continuer à dire des énormités comme ça impunément.

«On est nés ici, on vit ici, on participe activement au développement de ce pays, on travaille et on consomme comme tout le monde... Et à cause de ces discours, on se retrouve obligés de devoir crier au monde: "Regardez, on n'est pas des délinquants!"».

Rachid, 30 ans, cadre dans une grande entreprise du secteur industriel

«Il y a encore cinq ans, je ne crois pas que je serais venu aujourd'hui. Mais le climat s'est considérablement dégradé. Il y a maintenant une véritable cohésion de la classe politique pour dire que tout ce qui est immigré, ou plus exactement tout ce qui n'est pas blond aux yeux bleus, est un mal. Alors qu'au contraire c'est l'union qui fait qu'aujourd'hui la France est ce qu'elle est. J'en appelle simplement à un peu de mesure, un peu de respect. Mes parents sont nés en Algérie, ils sont français, je suis né ici, je suis français, point barre.

«Même dans la sphère privée et professionnelle, j'observe un repli. Je suis dans un milieu, disons, classe moyenne supérieure, et le discours m'inquiète de plus en plus. Mes collègues se permettent des remarques que je n'entendais pas avant. Par exemple, je suis le seul Beur de mon service, et ils disent: "Nous, on a notre Beur." Ce n'est pas intentionnellement méchant, mais une distinction est faite. Pareil sur la religion. Si c'est le ramadan, on va me dire: "Ben, tu manges ? Tu bois du vin ?" Je ne suis pas musulman ! C'est tout juste si on ne m'accuse pas d'être polygame... Je dois toujours me justifier. Et je ne vous parle pas du débat sur l'islam, on va se le prendre de plein fouet. »

Cordélia Bonal dans Libération