Les alevis, Turcs sans minarets
Paru le Lundi 16 Novembre 2009COMMUNAUTÉ - Les alevis inaugurent à Saint-Gall la première cemevi (maison de réunion) en Suisse. Ils représentent un quart de la population turque du pays.
Les Turcs de Suisse auront un lieu de culte supplémentaire d'ici à la fin de l'hiver, mais ce ne sera pas une mosquée. Les alevis de Saint-Gall inaugureront leur cemevi (maison de réunion), qui sera la première de Suisse, comme le confirme Ismail Atas, membre du comité de la Fédération suisse des alevis et coprésident des alevis au niveau européen. Il est de retour d'Istanbul où il était parti représenter les alevis de Suisse le 8 novembre lors d'une manifestation qui a rassemblé 500 000 personnes – dix fois moins selon les autorités – venues revendiquer leurs droits et la reconnaissance de leur spécificité.
Contre l'initiative
Cela n'empêche pas Ismail Atas de se montrer solidaire de ses compatriotes musulmans sunnites et de préconiser le «non» à l'initiative antiminarets, tout en estimant que «l'Etat doit exercer un contrôle». Il reste que, quel que soit le résultat de la votation du 29 novembre, l'ouverture de Saint-Gall ne sera pas remise en cause: les cemevis ne sont jamais flanquées de minarets, car les alevis ne s'astreignent pas aux prières rituelles des sunnites, pas plus qu'ils ne pratiquent le jeûne du ramadan.
Sur les murs intérieurs de ces constructions circulaires, figurent typiquement les effigies des douze imams, de la lignée d'Ali, gendre du Prophète. A l'entrée parfois, une parole attribuée à Ali est portée en exergue: «Dans la vie, le meilleur guide est la connaissance.» Une devise qu'Atatürk, le fondateur de la Turquie laïque, avait faite sienne. Le service hebdomadaire du jeudi soir est l'occasion d'écouter le prêche d'un ancien (dede) et de se recueillir sur fond de chants mystiques au son de la guitare (saz), avant d'exécuter la danse rituelle (semah) qui réunit hommes et femmes.
Nombreux à Bâle
Ces dernières ne sont pas voilées et, principe d'égalité entre les sexes oblige, elles participent de plus en plus activement à la vie des «cercles» (dernek) de Suisse. Il y en a actuellement dix à être rattachés à la Fédération suisse, alors que trois autres cercles se tiennent à l'écart, «pour des questions de personnes», commente Ismail Atas qui minimise les divergences entre les différents courants constitutifs du mouvement alevi.
En Suisse, les alevis seraient entre 25 000 et 30 000, soit environ le quart des Turcs de Suisse, mais cette proportion est susceptible de varier d'un endroit à l'autre. Elle est particulièrement élevée à Bâle, vraisemblablement proche de 40%, où quatre des cinq élus d'origine turque du Grand Conseil sont alevis.
Mais un fort sentiment d'appartenance réunit les uns et les autres, né d'une histoire qui remonte au moins à l'époque de Haci Bektas Veli, un mystique turc du XIIIe siècle, considéré comme l'un des pères fondateurs de l'alévisme contemporain. Un sentiment d'appartenance dont l'élément religieux n'est que l'une des composantes, pas forcément la principale.
Un million en Europe
Parmi les autres manifestations de la culture alevi, les longues complaintes accompagnées du saz qui célèbrent notamment la résistance à l'oppression à l'époque de Pir Sultan Abdal, au tournant du XVIe siècle. Ou encore le refuge des montagnes d'Anatolie orientale. Longtemps pratiqué dans une semi-clandestinité, l'alevisme connaît depuis une quinzaine d'années une extraordinaire renaissance, en Turquie où ce courant concerne 20 à 25% de la population.
L'alévisme est fortement représenté parmi les émigrés dans l'ensemble de l'Europe où leur nombre avoisine le million, dont 600 000 à 700 000 pour la seule Allemagne (plus du quart de la population d'origine turque). Dans les Balkans, les bektashis historiquement proches des alevis sont nombreux en Albanie et parmi les Albanais de Macédoine, moins au Kosovo où ils ne représentent guère que 5% de la population.
Malgré ou peut-être à cause de leur spécificité, les alevis sont pratiquement ignorés par les commentateurs qui ne savent où les situer. Comment parler de ces Turcs volontiers amateurs de bière qui ne refusent que rarement une tranche de jambon et dont les cercles sont parfois dirigés par des femmes?