Un sujet du journal de 19:30 de la TSR
mardi 12 octobre 2010
La direction de Frambois a porté plainte contre deux détenus
Placées en isolement, deux personnes sont accusées des violences commises samedi à la prison pour étrangers en situation irrégulière.
La révolte survenue samedi à la prison administrative de Frambois (notre édition d'hier) ne sera pas sans conséquences pour deux détenus au moins. «Ces personnes, qui sont à l'origine des faits, ont été isolées et enfermées en cellule. La direction a déposé une plainte pénale contre elles», indique Nadine Mudry, secrétaire adjointe au Département de la sécurité, de la police et de l'environnement (DSPE). En revanche, impossible de savoir si ces détenus ont été inculpés ou si un transfert à Champ-Dollon est envisagé. Sur l'origine des violences, le DSPE dément toutefois les informations délivrées durant le week-end par la police. Son porte-parole évoquait dans nos colonnes un «antagonisme» entre prisonniers africains et géorgiens. «La tension est montée parce que des personnes sont prêtes à tout pour éviter leur renvoi de Suisse», explique assez laconiquement Nadine Mudry, en précisant qu'il s'agit de deux détenus africains, suivis dans leur révolte par d'autres. Outre des dégâts constatés dans la cuisine de l'établissement, les échauffourées ont occasionné des blessures à deux gardiens, souligne-t-elle. L'un souffre d'une «côte fissurée» et l'autre doit porter «une minerve». Si la secrétaire adjointe se dit préoccupée, c'est essentiellement pour la sécurité du personnel de la prison. «A Frambois, la prise en charge est excellente. Ces événements ne remettent pas en cause le système.» Du côté des organisations de défense des migrants, quelques contacts téléphoniques avec des détenus permettent peu à peu de retracer le fil des événements, bien que des zones d'ombre subsistent. «Selon nos informations, une personne qui venait de voir sa détention prolongée a craqué et a commencé à s'agiter à l'heure du repas, relate Graziella de Coulon, du collectif vaudois Droit de rester. Lorsque les gardiens sont intervenus pour le mettre à l'écart, des codétenus se sont solidarisés et une bagarre a éclaté, puis ont eu lieu des déprédations.» Avant que certains ne réussissent à raisonner tout le monde lors de l'arrivée de la police. A noter que deux députés genevois de la Commission officielle des visiteurs se sont rendus sur place samedi. Contactée hier, la présidente, Loly Bolay (PS), ne souhaite pas s'exprimer avant que l'ensemble de ses collègues soient informés. Il y a tout juste deux ans, la commission réclamait la fermeture de Frambois, comparé alors à Guantanamo.
Olivier Chavaz dans le Courrier
Appel à l’aide
Samedi dernier, les ex-requérants emprisonnés à Frambois dans l'attente d'une hypothétique expulsion ont été à deux doigts de mettre collectivement leur vie (et celle du personnel de la prison) en danger. Brisés par l'incertitude, l'absence d'espoir et l'injustice du sort qui leur est réservé, une partie de ces hommes pourrait bien un jour commettre l'irréparable. D'ailleurs, les tentatives de suicide sont déjà fréquentes.
Ce contexte dévastateur laisse depuis longtemps les autorités de marbre. Deux jours après les faits, la conseillère d'Etat en charge de la sécurité n'a même pas jugé utile de livrer le moindre communiqué ou commentaire succinct sur ce mouvement de révolte spontané. Il faut se battre pour grappiller ça et là quelques informations. A ses yeux, les détenus de Frambois ne semblent simplement pas exister. Au-delà des rares organisations mobilisées pour leur défense, y a-t-il encore quelqu'un, à gauche par exemple, pour s'en émouvoir sérieusement?
Olivier Chavaz dans le Courrier
Les dessous de la révolte des requérants africains de Frambois
Des demandeurs d’asile déboutés se sont révoltés samedi contre leurs conditions de détention. La tension monte. Mais les autorités restent passives. Le malaise à Frambois remet en lumière la problématique des requérants.
«Nous étions comme dans une Cocotte-Minute. La situation ne pouvait qu’exploser.» Ali*, contacté à Frambois, le centre de détention administrative où sont placés des requérants d’asile déboutés en voie d’expulsion, raconte les circonstances de l’émeute déclenchée samedi matin. Des détenus, à bout de nerfs, ont saccagé les locaux, avant d’être maîtrisés par les forces de l’ordre. Bilan: un surveillant avec une côte cassée, un deuxième avec une minerve. La direction de Frambois (GE) a porté plainte contre les deux détenus à l’origine de l’insurrection, placés depuis en isolement.
Tout a débuté samedi matin avec une casserole qui a volé dans la cafétéria de l’établissement. Boubacar* est très nerveux. Il ne digère pas une visite chez le juge de paix de Lausanne effectuée la veille, où ce dernier lui a fait savoir qu’il resterait trois mois de plus à Frambois. Excédé, Boubacar décide de tout saccager. Des surveillants tentent de le maîtriser; trois autres Africains se joignent à la rixe, dont Salomon*, déjà deux tentatives de suicide à son actif. L’établissement concordataire abrite dix-huit autres résidents. Et presque tous se mêlent à la bagarre.
Deux surveillants sont blessés. Une employée appelle la police. Boubacar et Salomon décident de se dénuder et de s’enduire d’huile. «Pour que nous ne puissions pas les interpeller. Ils en ont aussi aspergé partout sur le sol», souligne Jean-Philippe Brandt, porte-parole de la police genevoise. «Ils voulaient en fait s’immoler. Heureusement que l’huile ne brûle pas…», déclare un témoin de la scène. Dépêchée sur place avec des pompiers et une ambulance, la brigade de sécurité publique parvient à maîtriser la situation quelques heures plus tard. Sans trop de heurts. Mais les dégâts matériels sont importants.
Selon Jean-Philippe Brandt, la rixe a démarré en raison de problèmes survenus entre un groupe d’Africains au rez-de-chaussée et des Géorgiens au premier étage. «C’est faux!», s’énerve Ali. «Il n’y a pas de racisme entre nous. Les Géorgiens nous ont au contraire aidés. Quand les policiers sont arrivés, ils ont mis leurs matelas et draps dans le couloir et ont menacé d’y mettre le feu s’ils nous faisaient du mal.» En fait, raconte Ali, qui a été menotté après la bagarre, les tensions découlent de sentiments d’injustice.
«Nous les Africains, nous sommes souvent détenus pendant de longs mois à Frambois, parfois jusqu’à dix-huit, alors que les Maghrébins et ressortissants de l’Est partent généralement après deux, trois semaines. On se sent discriminés. Nous ne sommes pas des criminels, juste des gens qui cherchons l’asile. Ces détentions prolongées sont totalement injustes et arbitraires! Ici, nous mourons à petit feu», dénonce-t-il. Voilà qui remet en lumière la problématique des requérants que la Suisse peine à expulser. Et pas forcément à cause de leur attitude récalcitrante: souvent leur pays d’origine rechigne à les reprendre. Ou exige des contreparties. L’Office fédéral des migrations a récemment connu plusieurs couacs avec ses vols spéciaux controversés, depuis la mort d’un Nigérian à Kloten en mars.
La réaction des autorités genevoises? Nadine Mudry, secrétaire adjointe en charge du domaine des migrations au secrétariat général du Département de la sécurité, de la police et de l’environnement, assure que «les violences de samedi ne sont pas liées aux conditions de détention à Frambois, d’ailleurs jamais contestées». «Cette rixe est un événement isolé qui démontre que certains détenus sont prêts à tout pour ne pas être expulsés», dit-elle. Aucune mesure particulière n’est pour l’instant envisagée.
Loly Bolay, députée socialiste et présidente de la Commission des visiteurs du Grand Conseil genevois, ne compte, elle, pas rester passive. Elle s’est rendue samedi à Frambois vers 14h30, après l’intervention de la police. Avec un collègue, ils ont visionné les vidéos de surveillance et interrogé des détenus. Loly Bolay a recueilli la même version des faits que le Temps, qu’une compagne d’un détenu vient aussi corroborer. «Des Africains se sont effectivement rebellés pour protester contre leurs conditions de détention, sources de tensions», dit-elle. Elle proposera cette semaine des mesures au sein de la Commission des visiteurs.
Ces émeutes à Frambois, qui avait déjà des problèmes de personnel au bord du burn-out, étaient prévisibles, souligne une source préférant rester anonyme. Salomon a envoyé le 9 septembre un message désespéré aux autorités dans lequel il menaçait de se tuer. «Si je n’ai pas obtenu ma liberté avant treize jours, je me suicide», écrivait-il au chef du service de l’Office de la population. «Je ne veux plus continuer ce calvaire.»
Salomon a une compagne et un enfant qui vivent aujourd’hui en Allemagne. C’est en voulant les rejoindre qu’il a été arrêté en Autriche, puis expulsé vers la Suisse selon les règles de Dublin qui veut qu’un requérant soit renvoyé vers le premier pays où il a déposé une demande d’asile. Le voilà depuis plus de six mois à Frambois, avec des coûts se montant à plus de 280 francs par jour. «Trois requérants sont restés plus de quinze mois ici», précise Ali. «Frambois est une salle d’attente insupportable», résume le Collectif Droit de rester.
Valérie de Graffenried dans le Temps
*Prénoms fictifs
Le chantage «inconcevable» de la Libye
Le colonel Kadhafi a proposé fin août à l’Union européenne d’arrêter définitivement le flot d’immigrés contre le versement de 5 milliards d’euros. Cette somme est ce que verse l’UE chaque année à l’Afrique pour l’aide au développement.
Cinq milliards d’euros par an pour «stopper définitivement» l’immigration clandestine à partir de ses côtes. C’est l’offre qu’a réitérée la Libye à l’occasion d’une visite d’une délégation européenne à Tripoli. Fin août, Mouammar Kadhafi avait déjà posé cette exigence à son hôte Silvio Berlusconi pour «éviter une Europe noire». Dans un entretien paru jeudi dans Paris Match, le colonel insiste: «Les Africains ont le sentiment qu’ils ont été lésés dans le passé, que les Européens ont occupé leur territoire et pillé leurs ressources. […] Je pense que les Africains sont en train de suivre leurs ressources pillées.» Sans «indemnisation», continue-t-il, les «digues» contenant l’immigration clandestine vont céder.
Un nouveau chantage du chef de la Jamahiriya révolutionnaire? C’est ce que pense Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam). «Le régime libyen utilise la carte de l’immigration, il est très bon négociateur.» La commissaire européenne chargée des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, de retour d’un voyage en Libye, a indirectement répondu au guide lors d’une conférence de presse à Bruxelles: «Cinq milliards, c’est la somme que l’UE donne en totalité à l’Afrique chaque année pour l’aider dans son développement.» Avant de préciser: «Bien sûr, elle n’a pas cette somme à donner à la Libye.» En lieu et place, elle s’est engagée à financer un programme de lutte contre l’immigration clandestine en Libye, doté de 50 millions d’euros.
Richard Etienne dans le Temps
Une église lausannoise occupée pour soutenire les déboutés
Une trentaine de militants de Droit de rester ont investi l'église Saint-Jacques pour protester contre «l'arbitraire» de Berne et du canton.
A l'appel du collectif Droit de rester, une trentaine de personnes ont investi, hier soir, l'église Saint-Jacques à Lausanne. Elles entendent protester contre la reprise des «vols spéciaux» et dénoncer l'attitude des autorités du canton en matière de régularisations. Une poignée de requérants menacés de renvoi figure parmi les occupants.
Paroisse pas au courant
Il est environ 18 h 30 lorsque les militants de Droit de rester arrivent sur le parvis de cette église réformée. Ils ont amené avec eux matelas, couvertures, sacs de vivres; de quoi assurer le nécessaire au moins pour la nuit. Sans attendre, le groupe pénètre dans l'édifice. A ce moment-là, les responsables de la paroisse ne sont pas encore au courant de l'occupation et une militante du collectif suggère d'attendre avant de se lancer dans la préparation du repas. Moment d'hésitation, on sent une certaine fébrilité. «On est là pour s'installer, pas pour se regarder!», tranche une occupante. Peu à peu, l'attente s'organise: les matelas sont acheminés, des tables sont agencées et l'intendance suit. La nuit sera sans doute longue.
Au nom du collectif, Graziella de Coulon explique les raisons de cette occupation, qui renoue avec la pratique d'il y a quelques années, lorsque le collectif luttait pour la régularisation du groupe dit des «523». Avec la reprise des «vols spéciaux», dit-elle, des dizaines de requérants déboutés sont quotidiennement menacés d'expulsion. Parmi eux, il y a des «cas Dublin», c'est-à-dire des personnes ayant déposé une demande d'asile dans un pays de l'Union européenne avant de venir en Suisse.
Refus: des critères flous
Or en vertu de la clause dite du pays tiers, la Confédération n'entre plus en matière sur ces demandes. Ce faisant, elle ne tient pas compte de la situation humanitaire des personnes expulsables et surtout, des éventuels risques qu'elles encourent, estime Droit de rester. Le collectif dénonce aussi «l'arbitraire» de l'Etat de Vaud en matière de régularisation, notamment dans le cas de requérants en Suisse depuis plusieurs années. «On a présenté au canton trente-huit dossiers de personnes répondant aux critères de régularisation fixés dans l'article 14 al. 2 de la Loi sur l'asile. La plupart de ces demandes ont systématiquement été bloquées», s'insurge Graziella de Coulon.
A ce sujet, précisons qu'une interpellation est prévue ce jour au Grand Conseil. Le député d'A Gauche toute! Jean-Michel Dolivo attend des explications du Conseil d'Etat sur les critères appliqués aux demandes de régularisation par le Service de la population.
Pour finir, le collectif Droit de rester entend interpeller les églises, trop timorées à son goût. «Nous demandons refuge aux églises depuis des années, mais celles-ci demandent à pouvoir choisir les personnes qui occuperont leurs locaux. Nous ne sommes pas d'accord avec cette position: les églises doivent prendre leurs responsabilités», déclare Graziella de Coulon.
Arnaud Crevoisier dans le Courrier