MICHAËL RODRIGUEZ
RENVOI FORCÉ - Alors que toute sa famille vit en Suisse, un jeune Congolais a été conduit hier à Kloten pour être expulsé. L'opération qu'il aurait dû subir à l'épaule a été annulée.
Scène douloureuse hier matin devant le bâtiment de la Police cantonale, à la Blécherette. Une femme originaire de la République démocratique du Congo assiste, impuissante, au transfert de son fils dans un fourgon affrété par Securitas. Le jeune homme, âgé de 29 ans, arrive de la prison de Frambois, à Genève, où il était détenu depuis le mois d'août. Pour lui, Lausanne est la dernière étape avant son expulsion à bord d'un vol spécial au départ de Kloten et à destination de Kinshasa. Le fait que toute sa famille proche soit établie en Suisse n'y aura rien changé.
Opération annulée
Sa situation médicale non plus. Le requérant d'asile souffre d'une luxation de l'épaule, qui se serait produite alors qu'il travaillait dans les cuisines d'un foyer de l'Etablissement vaudois d'accueil des migrants. La semaine passée, il devait subir une intervention chirurgicale à l'hôpital de Monthey. Mais les autorités ont refusé de le laisser quitter Frambois.
Vendredi dernier, la Coordination asile Vaud et la section genevoise de la Ligue suisse des droits de l'homme ont écrit au ministre Philippe Leuba pour lui demander de reconsidérer la mise en détention et le renvoi. La réponse a été négative. «Je me suis renseigné ce matin (hier, ndlr) auprès de mes services, relate le conseiller d'Etat. J'ai reçu la garantie formelle que la situation médicale de cette personne avait été prise en compte.»
«C'est dommageable»
On se souvient qu'en juillet dernier, Philippe Leuba ne s'était pas laissé émouvoir par la situation d'une Equatorienne sans papiers, repérée par les autorités après avoir été grièvement blessée à la place Bel-Air, à Lausanne. Le ministre avait alors déclaré, à propos d'un éventuel renvoi, que «l'on peut très bien voyager avec une jambe cassée». Aux dernières nouvelles, l'Equatorienne s'apprêtait à faire une demande de régularisation humanitaire.
Médecin-chef au Service d'orthopédie de l'hôpital de Monthey, où le jeune Congolais aurait dû être opéré, Cyril Kombot réagit avec prudence: «Cette intervention n'était pas vitale. Mais c'est évidemment dommageable qu'un jeune patient n'ait pas accès à des soins qui auraient pu être bénéfiques.»
Toute la famille en Europe
Hier, la mère du requérant aura finalement pu lui dire un bref au revoir dans les locaux de la police. «Où va-t-il habiter?, s'interroge-t-elle avec angoisse. Nous n'avons pas de maison en Afrique, il n'y a personne pour l'accueillir. Toute la famille est en Europe.» Elle-même vit en Suisse depuis plus de vingt ans. Tout comme le père du jeune homme, elle est au bénéfice d'un permis C. Mais il y a plus: la soeur de ce dernier, née sur sol suisse, a obtenu le passeport helvétique...
Le jeune homme n'a pas eu cette chance. Né en 1979 au Congo, il a déposé une première demande d'asile en Suisse alors qu'il avait à peine 16 ans, relate sa mère. Sans succès. Une seconde demande d'asile, en 2004, a connu le même sort. Invoquant la protection des données, l'Office fédéral des migrations refuse de commenter ces décisions.
Renvois en hausse
Comme il vit depuis plus de cinq ans en Suisse, le jeune Congolais aurait pu déposer une demande de régularisation humanitaire. Mais le canton n'a pas voulu attendre que la démarche se fasse avant de procéder à son expulsion. «Je refuse de différer des mesures qui ont été décidées par les autorités fédérales et confirmées par la justice, rétorque Philippe Leuba. Il est hors de question de créer une zone de non-droit, comme dans l'affaire des «523» requérants déboutés.»
Depuis quelques années, les renvois forcés sont en augmentation dans le canton de Vaud. De 73 personnes en 2007, on est passé à 93 en 2008. L'année en cours ne devrait pas inverser la tendance: au 31 août dernier, 59 requérants d'asile avaient déjà été expulsés.