Arrestations, détentions arbitraires, expulsions. Les Irakiens qui fuient leur pays et cherchent refuge au Liban ne sont pas au bout de leurs peines. Traités comme des immigrants illégaux, ils vivent dans la crainte d'être arrêtés une fois leur visa expiré. Quand ils en ont un, rapporte notre correspondante. Un article signé Janie Gosselin dans la Presse, Québec.
Amal a fui Bagdad avec ses trois plus jeunes enfants. Elle s'est installée à Sid el-Bouchrieh, en banlieue de Beyrouth, où vivent de nombreux Irakiens. Comme elle, la plupart prennent leur mal en patience. Ils espèrent s'envoler pour les États-Unis, le Canada ou l'Australie, un statut de réfugié en poche.
Ses enfants, âgés de 5 à 14 ans, ne vont pas à l'école. Sa fille de 12 ans reste avec son jeune frère pendant qu'elle travaille comme femme de ménage. Le plus vieux, Fadi, travaille dans une usine non loin de la maison. «J'ai très peur pour lui, je le surveille sans cesse», dit-elle.
Car les jeunes hommes d'origine irakienne sont surreprésentés au centre de détention de la Sûreté générale. Plus fréquemment contrôlés par les autorités, ils risquent davantage de se faire arrêter, faute de papiers en règle.
Il y aurait un peu plus de 45 000 Irakiens au Liban, selon l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). La majorité d'entre eux sont en situation illégale. Ils risquent la prison s'ils sont interpellés par les autorités.
Le Liban n'est pas signataire de la Convention sur les réfugiés. Il n'accorde aucun statut particulier à ceux qui fuient les violences et les persécutions. Seuls les réfugiés palestiniens bénéficient d'une loi leur permettant de demeurer au pays, sous certaines restrictions.
«En général, il n'y a pas de politique pour arrêter les Irakiens systématiquement, note toutefois Nadim Houry, directeur de Human Rights Watch au Liban. Mais il y a quand même des arrestations régulièrement. Les autorités ne veulent pas qu'ils se sentent trop confortables, ils maintiennent le sentiment d'insécurité.»
La prison ou l'Irak
Une centaine d'Irakiens sont actuellement détenus. Au début de 2008, ils étaient plus de 600. Une amnistie temporaire a permis d'en libérer un grand nombre.
Le Liban a ratifié la Convention contre la torture et ne peut renvoyer contre leur gré des étrangers vers un pays où ils risqueraient des mauvais traitements. Plusieurs Irakiens restent emprisonnés bien au-delà de leur peine, faute de solution de rechange. D'autres consentent à retourner dans leur pays, pour échapper à leurs conditions de détention. Une situation que dénoncent les organismes de défense des droits humains.
Dernièrement, six jugements favorables aux détenus irakiens ont été rendus contre l'État libanais. Il y a une dizaine de jours, un juge s'est prononcé en faveur de deux détenus irakiens. Il a condamné l'État à leur verser une compensation financière de 7 millions de livres libanaises chacun (4775$), une première.
«C'est sûr que c'est une victoire, qui montre l'indépendance des juges, souligne leur avocat, Nizar Saghieh. Sauf que les jugements ne sont pas exécutés.»
Les détenus qui ont eu gain de cause en décembre, par exemple, sont toujours emprisonnés. Ils avaient été condamnés à un ou deux mois de prison. Ils y sont maintenant depuis plus d'un an et demi.
Travail au noir
Malgré l'insécurité, des centaines d'Irakiens continuent de choisir le Liban. Il y est plus facile de travailler au noir qu'ailleurs dans la région. La politique et la religion peuvent aussi être des facteurs - la majorité des derniers arrivants sont chrétiens.
L'UNHCR tente de convaincre le gouvernement d'assouplir ses règles et de permettre un asile temporaire. Un comité interministériel qui se penche sur la question des réfugiés irakiens a été formé en avril dernier.
Plus de 8000 Irakiens sont actuellement enregistrés au UNHCR. Cela n'empêche pas leur arrestation, mais rend possible leur relocalisation et leur donne accès à plusieurs services, comme l'éducation et le suivi médical.
L'organisme Caritas coordonne les activités pour les Irakiens dans ses six centres. «Nous visons surtout les familles les plus vulnérables, explique Isabelle Saadé, coordonnatrice responsable du programme pour les Irakiens. Nous leur offrons un suivi médical et scolaire, notamment.»
Rêver d'Australie
Mais faute d'une loi au Liban et en l'absence d'une paix prochaine en Irak, la seule solution durable reste pour l'instant le transfert dans un pays tiers.
«Nous essayons de reloger le plus d'Irakiens possible vers un autre pays, parce qu'au Liban, l'intégration locale n'est pas une option. Le rapatriement n'est pas possible pour la plupart des Irakiens non plus. Il ne reste donc que la relocalisation», précise Laure Chedrawi, porte-parole de l'UNHCR au Liban.
Amal est bien consciente de la situation. Elle ne rêve que d'une chose: rejoindre son aînée, mariée et installée en Australie. «Je ne veux plus jamais retourner en Irak, dit-elle. Les enfants ont peur. Je n'ai plus rien là-bas. Je préfère aller chez ma fille.»