samedi 12 décembre 2009

Calmy-Rey calme le jeu sur Al-Jazira

Calmy-Rey calme le jeu sur Al-Jazira

MINARETS | L’interview sera vue dimanche soir par au moins 80 millions de téléspectateurs.

© MATHIEU VAN BERCHEM | La journaliste Khadija Benguenna et Micheline Calmy-Rey.

MATHIEU VAN BERCHEM / PARIS | 12.12.2009 | 00:01

Mission délicate pour Micheline Calmy-Rey, hier au 14e étage de la Tour Montparnasse, à Paris. Dans les studios de la chaîne d’information arabe Al-Jazira, la ministre des Affaires étrangères a tenté de désamorcer la «bombe» du vote sur les minarets. «Je comprends que la population musulmane se soit sentie touchée. Mais ce vote n’était pas dirigé contre les musulmans installés en Suisse», a expliqué la Genevoise. Assise en face d’elle, Khadija Benguenna, journaliste vedette d’Al-Jazira, était venue du siège au Qatar pour l’interroger.

L’enjeu est considérable. 80 millions de téléspectateurs suivront, dimanche soir, l’émission L’invité. «L’impact de ce vote est grand dans les pays arabes, note un journaliste d’Al-Jazira. Les gens sont d’autant plus étonnés que la Suisse avait très bonne réputation.» Qui a organisé l’interview? Officiellement, la Suisse n’a rien demandé. En privé, Al-Jazira se défend d’avoir sollicité l’entretien. On notera que cette intervention suit de quelques jours celle, sur la même chaîne, de l’UDC Oskar Freysinger.

Bilan? «Convaincante»
L’exercice est périlleux. Il faut expliquer le vote du 29 novembre. Tenter de familiariser l’opinion publique arabe avec la démocratie directe. «Faire comprendre que le gouvernement ne peut pas décider de tout», résume la diplomate en chef. S’excuser? Pas question. Calme, mesuré, le ton de Micheline Calmy-Rey se fait plus emphatique. «Personne ne veut de guerre de religion. Nous en avons connu une chez nous. Et c’est un combat permanent pour que les relations soient harmonieuses.»

L’interview s’achève. Verdict de Khadija Benguenna, qui connaît bien la Suisse pour y avoir travaillé dans les années 1990: «Je pense qu’elle a été convaincante. J’espère que cet entretien permettra de clarifier les choses.»

Les 27 veulent fermer la forteresse Europe à double tour

Au cours de ce Conseil européen charnière, où seront discutés des points institutionnels, économiques et environnementaux, les Vingt-Sept devraient adopter le programme de Stockholm. Un article de Fabien Perrier, envoyé spécial de l’Humanité à Bruxelles.

bienvenue en europe

Malgré la crise des dettes grecque et espagnole (voir ci-contre), le Conseil européen des 10 et 11 décembre devrait consacrer une partie de ses travaux à la relève des programmes de Tampere (1999-2004) et de La Haye (2005-2009), qui orchestraient les politiques de liberté, de sécurité et de justice au sein de l’Union. Dorénavant, en la matière, le « programme de Stockholm » sera la feuille de route quinquennale en vigueur.

Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avait expliqué, en juin 2009, vouloir « rendre plus tangibles pour les citoyens les bénéfices de l’espace de liberté, de sécurité et de justice ». Cet objectif est repris au premier des six points qui structurent ce programme. Il est intégré à la partie « promouvoir la citoyenneté et les droits fondamentaux ». Mais d’ores et déjà, « citoyenneté et droits fondamentaux » ne recouvreront pas les mêmes valeurs. En effet, si le traité de Lisbonne rend contraignante la Charte européenne des droits fondamentaux, certains pays (Royaume-Uni, Pologne, République tchèque) ont décidé d’y déroger.

Les autres points concernent l’Europe du droit et de la justice, « l’Europe qui protège » (lutte contre la criminalité, le terrorisme…), l’accès à l’UE (notamment des hommes d’affaires, scientifiques, étudiants), l’immigration et l’asile (« il est nécessaire d’empêcher et de prévenir l’immigration illégale »).

Ce qui se cache sous « liberté, justice et sécurité » est assez loin de ce que ces vocables recouvrent habituellement. L’expression « prévenir et contrôler l’immigration illégale » le confirme. « Une fois de plus, à l’échelle européenne, se dégage cette tendance à tracer un signe égal entre délinquance et immigration », note la députée européenne Marie-Christine Vergiat (GUE-NGL). Elle déplore que « l’UE ne respecte pas les droits fondamentaux » des immigrés et fasse en fait « le jeu de l’immigration clandestine ». Les statistiques confirment son propos. En 2008, sur les 280 000 demandes d’asile formulées, seules 76 000 ont été acceptées par les pays de l’UE. Et depuis, le « pacte européen pour l’immigration », adopté sous présidence française, durcit encore cette politique.

L’Europe en construction ressemble toujours plus à une forteresse. Le Parlement européen a souligné, dans une résolution, l’importance d’accorder aux migrants l’accès à la justice, au logement, à l’éducation et aux soins de santé. Il vient, enfin, d’attribuer le prix LUX au film Welcome, de Philippe Lioret. Sera-t-il entendu par les 27 chefs d’État et de gouvernement  ? Il est à espérer, en tout cas, que le message d’humanisme et de tolérance parvienne à leurs oreilles avant 2010.

Des musulmans m’ont aidé à vivre les rites chrétiens

Autrefois ambassadeur en Arabie Saoudite, Guy Ducrey apporte un éclairage personnel au débat sur le refus des minarets en Suisse. A 73 ans, il estime que pour accepter l’islam, il faut d’abord le comprendre. Rencontre chez lui, en Valais. Un article signé Patrick Monay dans 24 Heures.

Guy Ducrey© EDOUARD CURCHOD | Guy Ducrey a conservé de nombreuses photos en souvenir de son séjour de quatre ans à l’ambassade de Suisse en Arabie saoudite.«Une amie d’un cousin du roi faisait de la planche à voile tout en portant le voile. Contrairement à ce que l’on pense souvent, la femme n’est pas du tout anéantie dansce pays.»

Guy Ducrey n’a pas oublié Kihar, ni Omar. Ces deux Saoudiens étaient employés à l’ambassade de Suisse à Djeddah, dans les années 80, lorsqu’il en était le chef de mission. «Mes deux filles ont eu l’idée de faire une crèche vivante pour Noël, se souvient l’ancien ambassadeur. Kihar et Omar ont spontanément proposé de mettre leurs enfants à disposition.» Guy Ducrey tourne les pages de son album de famille. Voici la photo qui avait immortalisé la scène, il y a vingt-cinq ans: deux petits Saoudiens jouent les Rois mages. «Deux autres sont déguisés en âne et en bœuf», ajoute le Valaisan, amusé.

La semaine dernière, au lendemain du vote antiminarets, Guy Ducrey a adressé une lettre ouverte à Kihar et à Omar. Pour leur demander d’accepter le choix des Suisses et leur dire, surtout, «que nous voulons rester leurs amis». Publié dans le Temps, ce courrier a ému bon nombre de Romands. Plusieurs ont pris contact avec l’auteur, pour lui manifester leur soutien. «Jamais aucun de mes articles n’avait suscité autant de réactions», s’étonne le diplomate à la retraite, qui signa des chroniques régulières dans les colonnes du quotidien lémanique, mais aussi du Nouvelliste.

Croix suisse cachée, puis affichée
Guy Ducrey, 73 ans, a conservé toute la prestance et l’éloquence liées à ses fonctions. Catholique, il a vécu quatre ans en Arabie saoudite, avec femme et enfants. Assez pour percevoir les nuances de ce royaume fondamentaliste. Assez pour parler, en connaissance de cause, du monde arabe et de l’islam. «Au début de notre séjour à Djeddah, certaines choses m’ont choqué, avoue-t-il. Lorsqu’un avion Swissair atterrissait, un camion-grue était systématiquement envoyé au bout de la piste afin de cacher la croix blanche sur l’empennage.»

Pourquoi une telle rigueur? Seul le dialogue avec les autochtones lui permettra de comprendre. «L’Arabie saoudite est née d’un compromis entre le tout premier roi et les wahhabites, un peuple très strict avec les règles de l’islam. Tous les souverains suivants l’ont respecté.»

Malgré cette chape d’austérité, Guy Ducrey a apprécié l’accueil «très chaleureux» réservé aux étrangers. Il a été témoin de la «prudente ouverture» voulue par le roi Fahd. «Il a proposé aux ambassades de quitter Djeddah pour s’installer à Riyad, la capitale, qui est plus proche des lieux saints. J’ai inauguré la nôtre le 3 janvier 1985. Quand la télévision saoudienne m’a filmé en train de hisser le drapeau suisse, j’ai pensé à ce qui se passait quelques années plus tôt à l’aéroport de Djeddah… L’évolution était claire.»

A Riyad, la mission suisse renouvellera l’expérience de Noël. «Un employé, Mahmoud, nous a amené un petit âne pour animer la crèche. Et le ministre des Finances a fait venir un sapin par avion!» Autant de gestes qui ont touché M. l’ambassadeur. «Notre imagerie est respectée dans le monde arabe. Tout comme Marie et le Christ. En revanche, les musulmans ne peuvent adhérer à une célébration pascale, car cela touche à un dogme qui différencie notre religion de la leur. Jésus, qui est pour eux un prophète, ne peut en aucun cas avoir été crucifié.»

Une fois intégrés, les préceptes du wahhabisme et de l’islam seront, pour Guy Ducrey, les clés de lecture d’une société complexe. Un monde où cohabitent des courants fort différents. «Chez l’un des cousins du roi, il était exclu que mon épouse soit présente. Au repas, il fallait prendre le mouton avec la main droite, toute boisson alcoolisée était bannie…» Dans sa maison cossue de Martigny, l’ancien diplomate sort d’un carton à chaussures une seconde photo. Et raconte: «Un jour, un autre membre de la famille royale nous a invités. Je l’ai vu faire de la planche à voile en compagnie d’une dame élégamment voilée!» Guy Ducrey l’affirme haut et fort: «La femme n’est pas anéantie en Arabie. Elle a un rôle social important.»

Au Caire, à Ankara ou encore à Ammann, le Valaisan se souvient avoir entendu des cloches sonner dans des églises. A Riyad, l’une de ses connaissances, fils d’un riche marchand, lui a confié avoir appris le Notre Père dans une école religieuse française, à Alexandrie. «Il s’appelait Mahmoun. «C’était un musulman qui pratiquait sa foi comme le font la majorité des Occidentaux: en priant de sept en quatorze…»

Guy Ducrey ne peut nier, pourtant, que les chrétiens ont l’interdiction formelle de s’approcher de La Mecque. «Alors que rien n’interdit à un musulman d’aller visiter le Vatican, s’il en a envie.» De même, édifier une église en Arabie saoudite reste inconcevable. «Je m’étais renseigné à ce sujet à l’époque où un projet de mosquée créait la polémique à Wabern, dans le canton de Berne. Le Ministère saoudien des affaires étrangères n’a jamais répondu à ma lettre.» Il ne pouvait en être autrement, selon lui. «Toujours à cause du wahhabisme.»

«J’ai peur de notre politique d’isolement»
Le refus catégorique opposé aux minarets? Guy Ducrey avoue avoir été surpris et déçu. A ses yeux, ce vote est l’expression d’une peur qui se généralise. «Les sociétés sont de plus en plus mobiles. Les gens sont attirés par le niveau de vie que nous avons ici en Europe, et, hélas, par les bénéfices rapides du trafic de drogue. Il y a un certain désarroi dans la population. Il ne faut pas sous-estimer les craintes liées à l’immigration.» Lui qui a dirigé le secrétariat politique des Affaires étrangères, à Berne, pense qu’ignorer ces craintes serait une erreur. «Il faut y faire face. Ne pas en laisser le monopole à un seul parti. L’UDC va au-devant de cette peur. Je comprends que sa tactique soit populaire.»

Sa carrière diplomatique, longue de trente-sept ans, a mené Guy Ducrey de Roumanie aux Etats-Unis, en passant par la Chine et la France. A ses yeux, l’image de la Suisse ne souffrira pas durablement de l’épisode minarets. «J’ai davantage peur de notre politique d’isolement, confie-t-il. De notre frilosité à l’égard de la construction européenne, dont nous profitons largement au plan économique. L’UDC a beau jeu de haranguer les foules en exigeant que l’on ferme toutes nos portes. C’est impossible, tout simplement.» Parole d’ex-ambassadeur.

Miss France est-elle compatible avec l’identité nationale ?

Malika Meinard, Miss France 2010. Photo Reuters.Le 6 décembre, le site du Point titrait sans rire: «Diversité: Miss France 2010 sacre une métisse kabyle». Pourquoi diable Malika Ménard serait-elle une métisse kabyle? Un prénom arabe, un nom de famille français… Mais comme il s’agit de Miss France, le mythe colonial des kabyles –plus intégrables car plus proches des Européens– n'est probablement pas loin ! Un article trouvé sur le blog Observatoire des questions sexuelles et raciales.

Pourtant, l’article propose une autre «origine»: «Avant de mourir, je rêverais de voir une Beurette devenir Miss France», confiait Geneviève de Fontenay, la mère du concours Miss France, quelques jours avant l'élection. Et d'ajouter: «Le concours Miss France a, en effet, tendance à rebuter les jeunes Françaises d'origine maghrébine en raison du défilé "en maillot de bain", expliquait Geneviève de Fontenay, impuissante à lutter contre les préjugés religieux.» Nous voilà rassurés sur la «diversité»: Malika Ménard serait donc une «Beurette» affranchie des préjugés de l’Islam?

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Pour en savoir plus sur la notion d’identité nationale, voir également les articles suivants:

En Suisse, la droite prépare une votation sur le renvoi des étrangers criminels

Après le choc de la votation suisse contre la construction de minarets, les politiques helvétiques ont les yeux rivés sur une autre initiative populaire portée par l'Union démocratique du centre (UDC, la droite nationaliste populiste), préconisant, cette fois-ci, le renvoi systématique des étrangers criminels. Agathe Duparc dans le Monde.

Le peuple pourrait se prononcer en 2010 sur cet objet qui, s'il est accepté, mettra encore une fois la Suisse en porte-à-faux avec ses engagements internationaux en matière de droits de l'homme. A moins que, chose rarissime dans l'histoire de la démocratie suisse (quatre cas depuis 1891), l'initiative ne soit invalidée par le Parlement.

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