lundi 5 octobre 2009

LES MINARETS AD ABSURDUM


29 septembre 2009 - CHRISTIANE IMSAND - dans le Nouvelliste



Une votation chasse l'autre. A peine a-t-on voté sur l'assurance-invalidité qu'il faut commencer à parler du prochain rendez-vous devant les urnes. Le 29 novembre, les Suisses s'exprimeront sur l'interdiction des minarets. L'UDC affûte déjà ses armes. Officiellement, elle veut profiter de l'occasion pour lancer un vaste débat sur les relations de la Suisse avec l'islam. Le problème est que le résultat du vote n'aura d'incidence que sur la police des constructions. Un oui limiterait l'autonomie des communes en la matière, sans répondre aux questions de base posées par une religion dont les valeurs ne sont pas toujours les nôtres, notamment au chapitre des droits de la femme.
C'est comme si l'on s'en prenait aux fabricants de carton d'emballage pour dénoncer les problèmes de surproduction laitière. Les paysans qui vendent leur lait à perte ne méritent pas ça. Les musulmans non plus. Selon cette même logique, on pourrait aussi interdire la construction d'écoles pour empêcher la castagne ou le racket dans les cours de récréation. Et pourquoi ne pas interdire les ordinateurs pour empêcher la cybercriminalité, interdire les voitures pour mettre fin aux rodéos routiers, ou encore interdire les cendriers pour empêcher les gens de fumer? C'est absurde? Oui, mais ce n'est pas moi qui ai commencé!

"Les minarets de la discorde": le débat autour des minarets en Suisse

Extrait d'un article de présentation d'un ouvrage qui vient de sortir de presse et qui analyse les questions autour de la présence de l'Islam en Europe

Cet article accompagne et développe une chronique, plus courte, diffusée le 27 septembre 2009 sur les ondes de la Radio suisse romande (La 1ère), dans le cadre de l’émission Hautes Fréquences. Toutes les deux semaines, Jean-François Mayer y présente une information et réflexion brève sur une question liée à la religion dans le monde contemporain.


... La question du minaret a surgi récemment en Suisse — où il n'existe que quatre minarets, aucun utilisé pour l'appel à la prière — de façon inattendue, et va susciter de vifs débats politiques au cours des prochaines semaines. En effet, grâce à cette procédure politique suisse qu'est l'initiative populaire (si 100.000 citoyens au moins signent une "initiative" pour demander l'inclusion d'une nouvelle disposition dans la Constitution fédérale, ce projet doit être soumis au vote populaire), le peuple suisse sera appelé à voter le 29 novembre 2009 pour déterminer si le paragraphe suivant doit être introduit dans l'article 72 de la Constitution fédérale: "La construction de minarets est interdite."

Un tel débat à l'intersection de la politique et des religions ne pouvait manquer de retenir l'attention de l'Institut Religioscope, dont le siège se trouve en Suisse. L'Institut Religioscope a donc fait appel à plusieurs experts pour éclairer cette discussion et les questions qu'elle souulève. Le résultat est un livre de 110 pages, sous la direction de Patrick Haenni et Stéphane Lathion,Les Minarets de la Discorde(Gollion, Infolio, 2009). Ce volumevient de paraître.

Eclairages sur un débat suisse et européen: tel est le sous-titre de l'ouvrage. En effet, outre les informations et réflexions sur la situation suisse, l'approche choisie intègre ces thèmes dans un cadre plus large. Il n'est guère besoin de rappeler ici que, dans plusieurs pays, les projets de construction de mosquées se heurtent à des oppositions. A travers de tels projets, en effet, l'islam devient visible, mais les musulmans manifestent aussi leur intention de s'enraciner durablement dans l'espace européen. Les réactions ne se réduisent cependant pas à une inquiétude face à l'immigration: les projets de construction d'un temple bouddhiste ou hindou peuvent susciter des oppositions de voisins, mais rarement une levée de boucliers. Il existe une spécificité des réactions face à des implantations musulmanes, qui a certes des racines dans l'histoire, mais s'alimente aussi à des craintes que nourrissent quotidiennement les images que nous transmettent les médias sur les turbulences qui agitent différentes régions du monde musulman.

Les auteurs ont tenté de prendre ces craintes au sérieux et d'apporter des éléments de réponse à de multiples interrogations, en évitant autant que possible la polémique. Outre les articles, quatre portraits présentent des adversaires et des partisans de l'initiative, afin d'illustrer ce qui motive les uns et les autres.

Au départ de l'initiative populaire contre la construction de minarets en Suisse, des réactions locales contre des projets de construction de minarets symboliques (c'est-à-dire peu élevés, non accessibles et non destinés à l'appel à la prière, selon leurs constructeurs) ont uni des personnes inquiètes de cette affirmation de l'islam dans l'espace public. Cela a créé des liens suprarégionaux et a conduit ceux qui s'étaient ainsi rassemblés dans une commune opposition à ces projets à envisager une initiative sur le plan national. L'initiative a été lancée en mai 2007, et 115.000 signatures avaient été recueillies lorsqu'elle fut déposé à la Chancellerie fédérale en juillet 2008.

Derrière l'initiative figurent notamment certains membres et parlementaires de l'Union démocratique du centre (UDC), important parti conservateur, souverainiste et populiste (qui est en pourcentage de voix le premier parti politique de la Suisse), et de l'Union démocratique fédérale (UDF), petite formation politique conservatrice chrétienne (d'inspiration surtout évangélique), à laquelle Religioscope avait d'ailleurs consacré une étude en 2007.

En revanche, le gouvernement fédéral, la majorité du Parlement, les autres formations politiques suisses et les Eglises (y compris les associations faîtières évangéliques) rejettent l'initiative. Bien que cela ne garantisse pas son échec — car il existe des cas où la population suisse a voté à contre-courant des consignes des grandes formations politiques et institutions — il paraît cependant difficile que l'initiative passe, à en croire la plupart des sondages. En même temps, les discussions dans la population montrent que des préoccupations à l'égard de l'islam sont répandues et que les thèmes liés à l'initiative contre la construction de minarets ne laissent pas indifférents nombre de citoyens.

Mais pourquoi s'en prendre au minaret? C'est bien sûr en tant que symbole, et le minaret en arrive à cristalliser toutes les préoccupations qui se manifestent autour de l'islam ou des musulmans. Ce déplacement du débat vers le symbolique retient bien sûr l'attention de certains contributeurs de l'ouvrage. Les auteurs de l'initiative estiment que le minaret n'est pas un symbole religieux, rappellent qu'il n'est pas indispensable à une mosquée, et voient dans cet édifice un signe du pouvoir de l'islam et de sa volonté de domination: en érigeant des minarets, les musulmans manifesteraient d'une certaine façon leur volonté de prendre progressivement le contrôle de l'espace dans lequel ils se sont installés. Derrière le minaret, et les raisons variées pour lesquelles certains citoyens suisses voteront en faveur de l'initiative contre la construction de minarets, c'est la question de l'islam en général et de son statut dans une société occidentale qui se pose en réalité.

Après avoir rappelé la genèse et les enjeux de la construction de minarets en Suisse (J.-F. Mayer), le livre laisse la parole à Rachid Benzine pour présenter en quelques pages le minaret dans l'histoire de l'islam, tout en refusant de se laisser entraîner dans une discussion sur la légitimité religieuse du minaret: car la vraie question "est de savoir comment se pérennisera une présence musulmane désormais enracinée dans un pays non musulman" (p. 30). Stéphane Lathion poursuit sur "le passage à l'Ouest de l'architecture islamique", dont il présente quelques exemples, accompagnés d'instructives photographies.

Un important chapitre signé par Patrick Haenni et Samir Amghar saisissent l'initiative contre les minarets comme occasion de poser "de bonnes questions sur le devenir de l'islam en Europe, les mobilisations qui s'y effectuent en son nom et son rapport à l'Occident" (p. 66). Ce chapitre analyse le dilemme des stratégies islamiques en Occident et des dynamiques sociales marquées par l'occidentalisation, y compris en matière démographique ou sous l'angle des tendances à l'inidividualisation. Il s'agit pour les auteurs de distinguer entre ces niveaux souvent confondus que sont la démographie, la religiosité, le ghetto et le projet politique, alors qu'il s'agit de dynamiques largement indépendantes.

Spécialiste du droit des religions, Erwin Tanner consacre pour sa part un chapitre à l'initiative examinée sous l'angle juridique. Il s'interroge sur la tentative d'introduire dans la Constitution fédérale une "norme atypique, de nature très spécifique", visant un type particulier de bâtiment et représentant un article d'exception (p. 71). Il s'interroge aussi sur l'harmonisation avec le droit constitutionnel et le droit international existants. La question de la réciprocité, qui se trouve parfois invoquée, est également abordée par Tanner, toujours sous l'angle strict du droit.

L'une des motivations de ceux qui voteront pour l'initiative contre la construction de minarets est en effet la conscience des difficultés que connaissent des communautés chrétiennes pour ouvrir des lieux de culte ou même mener une vie religieuse normale dans des pays musulmans — l'exemple extrême de l'interdiction de tout lieu de culte non musulman en Arabie saoudite vient à l'esprit. Les responsables du volume ne pouvaient donc manquer de traiter cette question et ont demandé à Laure Guirguis d'éclairer les lecteurs sur la construction d'églises en terre d'islam. Il en ressort une image contrastée, avec de fortes variations d'un pays à l'autre, mais aussi la conscience que les situations dans les différents pays évoqués ne dépendent pas que des textes légaux: plusieurs facteurs jouent un rôle, dont "la nature plus ou moins autoritaire du régime, l'adoption ou pas d'un discours officiel religieux islamique, l'existence d'une opposition islamiste radicale et la stratégie adoptée à son égard, la stabilité économique et sociale du pays, et enfin, le nombre et les caractéristiques des communautés chrétiennes présentes sur le territoire" (p. 90).

Olivier Moos, auteur d'une thèse qui sera soutenue au mois d'octobre sur les discours critiques au sujet de l'islam, consacre précisément à la "nouvelle critique de l'islam" sa contribution. Le sujet est important, car ce discours se trouve en interaction avec les points de vue soutenus par les partisans de l'interdiction des minarets en Suisse. Une redéfinition de la menace en Occident voit l'islam succéder dans ce rôle à l'Union soviétique. Dans cette interprétation, l'islam tend à être considéré comme "le seul critère qui explique les motivations et les pratiques sociales ou politiques des musulmans" (p. 94). Cela offre une grille d'analyse universelle partout où se trouvent et agissent des musulmans. Il est intéressant de noter que cette "approche du fait musulman [...] transcende les clivages politiques et idéologiques traditionnels." (p. 97)

Outre les portraits déjà mentionnés, des encadrés parsèment le livre pour expliquer ce qu'est une initiative populaire, résumer en quelques chiffres la présence musulmane en Suisse et expliquer — sous la plume du chercheur et journaliste égyptien Husam Tammam — comment les médias du monde arabe réagissent au débat suisse.

Comme le suggère la conclusion, toute la démarche du livre consiste à ne pas se laisser entraîner vers un débat sur l'essence de l'islam, mais à prêter plutôt attention aux sociétés réelles. L'Institut Religioscope espère apporter ainsi une contribution utile, honnête et dépassionnée à un débat politique qui risque de se révéler parfois vif et émotionnel.

Minarets: Yves Nidegger joue contre son parti


VOTATION | Le candidat au Conseil d’Etat ne suit pas le mot d’ordre de son parti qui prône le oui à l’initiative.

© Pascal Frautschi | Yves Nidegger

ISABEL JAN-HESS | 05.10.2009 | 00:00

Le candidat UDC au Grand Conseil et au Conseil d’Etat, Yves Nidegger, ne suit pas son parti qui soutient l’initiative antiminarets, soumise au peuple le 29 novembre. Seul à s’être abstenu lors de la dernière assemblée générale de son parti, il précise néanmoins ne pas s’opposer formellement à l’initiative. «Je ne pense pas, et je l’ai toujours dit, que d’interdire les minarets soit la bonne solution. D’autres débats sur les revendications des minorités sont nécessaires.»

«Maîtriser les dangers de l’islam»

L’an dernier déjà, dans un débat à la Radio Suisse Romande, le conseiller national assurait qu’on pouvait «maîtriser les dangers de l’islam par d’autres moyens.»

Si l’homme se démarque de son parti sur cette initiative, il reste dans l’axe politique de sa base.

Dans une interview accordée récemment à L’Hebdo, Yves Nidegger estime que les affiches de l’UDC pour cette campagne sont «de bonne guerre, car c’en est bien une».

Du côté de la section genevoise, on réitère un soutien inconditionnel à l’initiative et on ne houspille pas le dissident. «Il n’était pas favorable, mais il n’a pas été suivi», relève Eric Bertinat, député et secrétaire général de l’UDC Genève. Le président du parti agrarien, Soli Pardo, précise aussi que l’assemblée n’a même pas voulu débattre avant le vote. «Les 80 personnes présentes avaient déjà fait leur choix.»

Yves Nidegger n’a pas su convaincre. Mais il n’en garde pas moins le sourire. «Ce n’est pas la première fois que je ne partage pas l’opinion de mon parti.»

Les délégués de l’UDC suisse, réunis samedi à Genève, ont soutenu massivement l’initiative antiminarets, à 288 voix contre 3.

Minarets: le malaise derrière le «oui» de l’UDC


Affiches du Comité d’Egerkingen. Sur les seize membres du comité, quatorze sont UDC et deux de l’Union démocratique fédérale. L’UDC insiste bien pour dire qu’elle n’est pas à l’origine de l’initiative. (Keystone)

Affiches du Comité d’Egerkingen. Sur les seize membres du comité, quatorze sont UDC et deux de l’Union démocratique fédérale. L’UDC insiste bien pour dire qu’elle n’est pas à l’origine de l’initiative. (Keystone)

Le parti ne versera pas un seul centime dans la campagne menée par le Comité d’Egerkingen pour interdire la construction de minarets

Un résultat qui ne fait pas l’ombre d’un doute. Voilà la première réaction qui vient à l’esprit en analysant le vote des délégués de l’UDC. Réunis en assemblée samedi à Genève, à quelques encablures de l’unique minaret de Suisse romande, ils ont dit oui à l’initiative anti-minarets par 288 voix contre 3 et 3 abstentions. Mais en y regardant de plus près, cette apparente unanimité présente quelques lézardes. Dans les faits, même la direction du parti est partagée.

Le président Toni Brunner n’a pas dit le moindre mot sur les minarets dans son discours. Il a préféré s’adonner à son jeu préféré: égratigner la ministre des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey. Christoph Blocher, absent au moment du vote, ne cache pas qu’il n’est pas favorable au texte lancé par une poignée d’UDF et d’UDC. Quant à Yvan Perrin, également vice-président, il a voté pour, mais sans grand enthousiasme. «Je ne mènerai pas campagne activement. Je rappelle que l’UDC n’a pas lancé l’initiative. Elle n’est pas non plus responsable des affiches», précise-t-il illico. Il confirme que son parti ne versera pas un centime dans la campagne en vue du 29 novembre. Le décor est planté.

«Comme une corde raide»

Le conseiller national Yves Nidegger (GE) fait partie de ceux qui se sont abstenus. Pour lui, l’initiative a le mérite de lancer un débat, «nécessaire», sur les valeurs de l’islam et sur la place des musulmans en Suisse, mais elle le fait de façon inappropriée. «La minorité musulmane doit en revanche être surveillée. Tout ce qui est petit est chou, même un bébé crocodile. C’est en grandissant que cela peut devenir dangereux», dit-il. «Je me sens écartelé comme un condamné à mort au Moyen Age», avoue de son côté Jean-Pierre Graber (BE). Oui, l’interdiction des minarets peut nuire à la paix religieuse, pense-t-il. Il n’est en revanche pas d’accord quand le Conseil fédéral parle également d’atteinte à la liberté religieuse: «Les musulmans n’ont pas besoin de minarets pour exercer leur foi.»

Invité comme contradicteur, Jacques Neirynck (PDC/VD) a bien senti ce malaise. «Pour l’UDC, il faut soutenir l’initiative, mais comme une corde raide soutient le pendu, pour l’étrangler à petit feu. C’est une partie de poker politique», a-t-il déclaré à la tribune. En clair: le démocrate-chrétien affirme que l’UDC doit soutenir l’initiative pour gagner des électeurs en fédérant les citoyens opposés à l’islam, «mais pas au point qu’elle réussisse, car elle jouerait alors à fins contraires».