Alors que la Suisse se prépare à un afflux massif de réfugiés arabes, un clandestin tunisien témoigne.
Mohamed est clandestin. Il a quitté la Tunisie alors qu’il n’avait pas 20 ans. A l’époque, il avait les mêmes rêves, les mêmes espoirs que les 5500 jeunes Tunisiens parqués depuis plusieurs jours à Lampedusa, au sud de la Sicile. Aujourd’hui, il est en Suisse et, à 30 ans, il n’a qu’un seul message à leur adresser: «Restez en Tunisie, auprès de vos mamans et de vos familles. Ici, ce n’est pas évident.»
Alors que la Suisse et les autres pays européens multiplient les préparatifs face à un éventuel afflux massif de réfugiés arabes, ce clandestin qui habite en cachette à Lausanne a accepté de raconter son parcours. «J’ai grandi à Tunis, commence-t-il. J’ai fui la pauvreté. Je ne pouvais ni manger à ma faim ni m’habiller à mon goût.» Issu d’une famille nombreuse, sans formation, Mohamed avait les yeux braqués sur l’Europe. «La liberté, le travail, l’argent; pour moi, l’Europe, c’était le paradis. Je regardais les séries ou les films à la télévision. Je ne voyais que ceux qui revenaient au pays avec de l’argent. Ils s’achetaient de grosses voitures.» Pensait-il à un éventuel échec? «J’étais, comme tous les jeunes, sûr d’y arriver. Je me croyais plus malin que les autres.»
En franchissant la Méditerranée, c’est l’enfer qui s’offre au Tunisien. «Je regrette chaque minute que j’ai vécue en Europe», lâche-t-il tout en jetant régulièrement des coups d’œil inquiets vers la porte du café. Sans doute cette peur obsédante d’être découvert par les autorités.
Mohamed a une vie des plus précaires. Sans papiers, parlant à peine le français, il est logé par une famille tunisienne et doit se contenter de petits boulots. Travaux de peinture, déménagements et petits nettoyages suffisent à peine à payer son loyer. «Je demande à des amis de m’aider.» Parfois, sa famille restée à Tunis lui envoie de l’argent.
«Je n’ai pas d’avenir, aucune perspective. J’ai 30 ans et je n’ai rien construit. C’est l’échec total. Je ne sais pas si je pourrai fonder une famille un jour. Mes jeunes frères, restés là-bas, sont mariés. Moi, je n’ai même pas 5 centimes en poche.» Mohamed a pourtant une femme dans sa vie. Une Tunisienne qu’il a épousée en Italie. Un mariage religieux seulement. Toujours ces satanés papiers… Pour la voir, il n’a osé qu’une seule fois prendre le risque de retraverser la frontière.
Voilà dix ans que Mohamed galère. Il lui a fallu six mois pour arriver en Italie. D’abord l’avion jusqu’en Turquie. Les Tunisiens n’ont pas besoin de visa. Ensuite, une marche de 21 jours à travers les montagnes pour arriver en Grèce. La police l’a attrapé. Deux mois d’enfermement et tabassage en règle par les policiers. Plus tard, il réussit à passer en Italie, caché dans un camion. «J’ai vendu de la drogue, avoue-t-il. J’ai volé aussi. C’était ça ou je ne mangeais pas. Je ne suis pas fier.» Peu à peu, Mohamed se construit un réseau. Des amis l’ont déposé au Tessin il y a un an et demi. Et depuis, la galère continue.
Désormais, Mohamed en est convaincu: «Il vaut mieux avoir faim aux côtés de sa mère – je n’ai pas vu la mienne depuis mon départ – qu’être affamé tout seul ici.» Mais la honte de l’échec l’empêche de rentrer.
En veut-il aux Européens de ne pas vouloir accueillir les réfugiés? «Je les comprends. Un clandestin doit parfois voler ou faire pire pour vivre, ils n’ont pas envie de ça. Pour moi, ce n’est pas du racisme.» Faut-il une aide internationale pour aider son peuple à se reconstruire? La fierté de Mohamed le submerge: «La Tunisie est un pays riche. Elle peut faire vivre ses enfants, il faut seulement une meilleure répartition des richesses et moins de corruption.»
Fabian Muhieddine dans 24 Heures
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