"Deux en Suisse, c’est assez"
L'opinion de Maximilien Bernhard, secrétaire romand de l'Union Démocratique Fédérale
L'aboutissement de l’initiative antiminarets a fait couler beaucoup d’encre. Rarement le Conseil fédéral n’aura annoncé aussi rapidement son message, soit moins de deux mois après le dépôt. Le gouvernement prétend que l’initiative est incompatible avec la liberté religieuse. A y regarder de près, le texte ne la remet nullement en question, cette liberté étant garantie par l’article 15 de la Constitution fédérale.
L’initiative concerne les articles liés à la relation entre l’Etat et la religion. Il est par ailleurs utile de rappeler que, contrairement aux mosquées, les minarets n’ont pas de nécessité religieuse. Ils ne sont pas cités dans le Coran et ne se justifient donc que pour l’appel à la prière, qui peut se faire, comme c’est le cas à Genève, à l’intérieur même de la mosquée.
Si l’on peut comprendre que le texte suscite un certain malaise dans les pays musulmans, c’est oublier que des chrétiens subissent de nombreuses pressions dans six d’entre eux au moins, dont l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie. Dès lors, l’Union démocratique fédérale estime qu’il est temps pour les pays musulmans de garantir la liberté de croyance sur l’ensemble de leur territoire. Ce principe de réciprocité se justifie d’autant plus en regard des nombreux droits dont jouissent les citoyens de notre pays (quelle que soit leur religion), et s’agissant de la liberté de croyance, de ceux de construire des lieux de culte et de pratiquer leur foi en communauté sans crainte pour leur intégrité corporelle.
La prolifération de minarets en Suisse menacerait la paix confessionnelle. Preuve en sont les levées de boucliers qu’on a observées à plusieurs endroits de notre pays. Il est utile de rappeler que l’Europe s’est constituée sur une base judéo-chrétienne il y a deux mille ans. L’islam, qui est arrivé bien plus tard sur le territoire européen par le biais des flux migratoires, n’en était pas partie prenante. Dès lors, d’un point de vue culturel, on est en droit de se demander si les minarets ont véritablement leur place en Suisse.
Pour certains, l’interdiction des minarets pose un problème philosophique. Il s’agit dès lors de faire une pesée d’intérêts en plaçant cette problématique face au symbole de conquête islamique que représentent les minarets. Le danger d’instrumentalisation de ces derniers par les milieux les plus radicaux est bien réel et pourrait déboucher sur toute une série de nouvelles revendications (abattages rituels, exemption des cours de natation, suppression des sapins de Noël dans les écoles, etc.). Le radicalisme qui s’est manifesté l’an passé à la mosquée de Genève, et qui a conduit des parents à retirer leurs enfants des cours, est un des exemples probants en la matière.
L’UDF reste attachée au principe de liberté de croyance garanti par la Constitution; il doit toutefois être mis en regard des dangers potentiels que représentent les islamiques les plus radicaux et des moyens par lesquels ils exercent leurs pressions. Le minaret en est un. Il convient dès lors de se prémunir en limitant à deux (GE et ZH) le nombre de minarets sur le territoire helvétique.
"Trois raisons de dire non"
L'opinion de Hani Ramadan, directeur du centre islamique de Genève.
Le Conseil fédéral a pris la décision de mettre rapidement un terme à la polémique sur l’initiative contre les minarets, annonçant que son message au parlement serait remis le 15 septembre. Il faut effectivement en finir avec des prises de position qui sont indignes des valeurs universelles que défend notre pays, et cela pour au moins trois raisons.
D’abord, les arguments du Comité d’Egerkingen, à l’origine de cette initiative, sont faibles et grossiers. Sur le site des contestataires, le minaret est présenté comme un symbole de guerre et de conquête. Il exprime «la volonté d’imposer un pouvoir politico-religieux ».
Les initiateurs mettent en garde le peuple contre l’idée «d’ériger, au nom d’une prétendue liberté religieuse, des symboles du pouvoir qui rejettent toute tolérance religieuse». Or le minaret est un élément architectural qui fait partie de la culture islamique, sans pour autant relever d’une obligation religieuse quelconque. Vouloir en faire un symbole politique est une démarche intellectuellement malhonnête, qui prend moins en compte la réalité de l’islam que la volonté de susciter la crainte.
Ensuite, cette initiative entre en contradiction avec l’esprit de notre Constitution. L’ancien juge fédéral Giusep Nay est allé même jusqu’à appeler le parlement à ne pas mettre le texte en votation populaire, le considérant comme anticonstitutionnel. Dans le cadre de l’Etat de droit, tous les lieux de culte devraient être conditionnés par la même réglementation en ce qui concerne leur construction. On ne peut interdire le minaret si l’on n’interdit pas du même coup le clocher, ou alors on cautionne ouvertement une forme de discrimination religieuse inadmissible pour qui possède une once de citoyenneté.
Enfin, cette initiative est mauvaise pour l’image de notre pays. La Suisse doit se donner l’ambition d’être un exemple de coexistence pacifique de toutes les cultures. Comment d’autres interpréteront-ils ce refus des minarets? Comme une mesure qui vise l’humiliation d’une communauté qui, dans sa grande majorité, n’est pas assimilable à l’intégrisme. L’Albanais, comme le Turc, comme l’Iranien, comme le Pakistanais, comme le Sénégalais connaissent tous le minaret qui orne les mosquées du monde musulman. Tous seront pareillement choqués. Quelles réactions viendront par ailleurs de l’extérieur et du monde musulman?
Déjà en mai 2007, notre conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey avait déclaré que cette initiative «met la sécurité des intérêts suisses, des Suissesses et des Suisses en danger», en ajoutant que «la liberté de pratiquer une religion est garantie en Suisse». Parce qu’il est essentiel de refuser les amalgames qui font d’un édifice de foi une arme de guerre, qui conduisent à une forme évidente de discrimination religieuse, et qui sont susceptibles d’alimenter les tensions dont personne ne veut – sauf ceux qui se déterminent politiquement par la peur et la haine –, il faut donc résolument et démocratiquement rejeter cette malheureuse initiative.