jeudi 28 août 2008

L'initiative antiminarets viole les droits de l'homme et menace la paix religieuse»

Eveline Widmer-Schlumpf, venue présenter le message du Conseil fédéral. La Suisse compte trois minarets, à Genève, à Zurich et à Winterthour. Deux autres sont prévus, à Wangen bei Olten (SO) et à Langenthal (BE). (photo: Keystone)
ISLAM. Pressé, le Conseil fédéral a transmis hier son message au parlement. Il recommande le rejet du texte lancé par la droite ultranationaliste, en soulignant notamment qu'il heurte plusieurs valeurs fondamentales. Et qu'il rate sa cible.

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Philippe Leuba refuse de coller des amendes aux mendiants

 

J’ai le sentiment que le canton est confronté à d’autres problèmes de sécurité que la mendicité PHILIPPE LEUBA

 

 


Le but de ma proposition est d’enlever l’intérêt à mendier dans le canton OLIVIER FELLER

Interdire et sanctionner les mendiants: au Grand Conseil, une commission a accepté de renvoyer au gouvernement la proposition du radical Olivier Feller.
Le conseiller d’Etat libéral juge le projet inapplicable et en appelle au respect de l’autonomie communale.
Un article de Mehdi-Stéphane Prin dans 24 Heures.
La mendicité n’a pas fini de mettre en ébullition le Grand Conseil. Après avoir refusé ce printemps la de­mande UDC d’un rapport sur le sujet, une commission vient d’accepter une proposition radi­cale d’interdire de faire la man­che. Le plus surpris de ce re­tournement de tendance est cer­tainement le conseiller d’Etat Philippe Leuba. Le chef du Dé­partement de l’intérieur ne veut pas entendre parler d’une loi cantonale menaçant les men­diants de 90 jours-amendes.
Situation inégale dans le canton

Pour une petite voix, une com­mission a, en effet, décidé de recommander le renvoi de la motion du radical Olivier Feller au gouvernement. Si le législatif confirme prochainement cette position, Philippe Leuba sera alors obligé de présenter un pro­jet pour mettre à l’amende les mendiants. Le magistrat libéral a bien l’intention de se battre contre cette perspective. «Même si je ne veux pas en faire l’affaire de la législature, ce n’est pas au canton de légiférer sur une in­terdiction de la mendicité. Il s’agit d’une affaire communale. Sinon, autant tout centraliser. Les mendiants ne posent tout de même pas les mêmes problèmes à Lausanne, à Renens ou à Gou­moens- le-Jux.» Sur le fond, l’idée de crimina­liser la mendicité ne trouve pas non plus grâce aux yeux de Philippe Leuba. «J’ai le senti­ment que le canton est con­fronté à d’autres problèmes de sécurité que celui-ci. Si nous interdisons, il faudra bien pré­voir une sanction pour les con­trevenants. Comme ils n’auront pas d’argent pour payer une amende, faut-il ensuite les en­voyer en prison?» Bref, le libéral estime une interdiction inappli­cable dans la pratique.
Précédent libéral genevois

«Le but de ma proposition est d’enlever l’intérêt à mendier dans le canton, réplique Olivier Feller. J’ai opté pour une solu­tion efficace, et l’argument de l’autonomie des communes est un faux problème. La Confédé­ration édicte bien des interdic­tions générales pour tout le pays.» En outre, le député radi­cal se défend de chasser sur les terres de l’UDC. «A Genève, c’est un libéral, Christian Lüscher, qui a défendu et obtenu l’interdic­tion de la mendicité.» L’argument amuse le prési­dent du groupe libéral au Grand Conseil, Jean-Marie Surer: «Ce combat a même permis à Chris­tian Lüscher de se faire un nom pour son élection au Conseil national.» En février dernier, lorsqu’il a déposé sa motion, Olivier Feller était encore en pleine course pour la présidence des radicaux vaudois. Pour le député socialiste et membre de la commission, Roger Saugy, l’interdiction de la mendicité s’explique surtout par la volonté de plaire aux électeurs. «Mes petits camarades du centre­droite ne savent plus comment réagir face au populisme de l’UDC. Cette tendance à la su­renchère existe partout, même chez certains socialistes. Je sens également un grand malaise des députés face aux mendiants. Leur image nous gène et nous voudrions la dissimuler. Sincère­ment, une interdiction ne va pas résoudre ce problème de société. Nous allons peut-être avoir plus de musiciens de rue…»

Le dessin du jour

 

Signé Bürki

SIGNÉ BURKI    Philippe Leuba critique la motion d’Olivier Feller contre la mendicité.

Intégrer par le dialogue

Jacqueline de Quattro, cheffe du département de la sécurité et de l'environnement, est l'invitée de la rubrique Réflexion de 24 Heures.

Jacqueline de Quattro

Il n’y a pas de liberté sans sécurité. Les Suisses, et par­ticulièrement les Vaudois, en sont convaincus. Un mes­sage que j’ai bien entendu. Mon ambition, conjuguée à celle du Parti radical suisse, est de met­tre en place une stratégie natio­nale en matière de sécurité et d’intégration. Une stratégie où le dialogue et l’ouverture l’em­portent sur les idéologies de haine et d’exclusion.
De la parole aux actes. Ce printemps, les radicaux ont mis en place une task force Sécu­rité, que je préside. L’une de nos premières tâches a été de plan­cher sur les questions de la petite délinquance et de la sup­pression des jours-amendes. Une initiative parlementaire a été déposée aux Chambres fédé­rales, exigeant une modification du Code pénal. Le but est de supprimer la peine pécuniaire ou de la rendre subsidiaire à la peine privative de liberté et au travail d’intérêt général.
L’intégration des étrangers est également au centre des travaux de la task force. Nous demandons une loi-cadre sur l’intégration. Une législation qui fixe des standards mini­maux pour tout le pays, tant au niveau des objectifs, des moyens que du financement. Certes, certains cantons comme Vaud ont déjà légiféré, ce qui me réjouit. Mais l’intégration doit devenir une priorité natio­nale.
L’objectif d’une telle loi-ca­dre est de permettre une coha­bitation pacifique, basée sur le respect mutuel des autochto­nes et des populations issues de l’immigration. Une intégra­tion réussie induit des droits et des devoirs. Les migrants ont le devoir de s’adapter aux rela­tions sociales et aux conditions de vie qui ont cours en Suisse. Ils doivent ainsi posséder le niveau nécessaire de connais­sance linguistique. Et les prin­cipes de notre Etat de droit comme notre ordre démocrati­que s’imposent à tous.
Pour les radicaux, l’intégra­tion commence à la naissance ou dès l’arrivée en Suisse. Elle intervient dans le cadre des structures existantes, forma­tion, travail, santé, politique migratoire, sécurité. Pour en­courager cette intégration, des conventions peuvent être pré­vues. L’attribution ou le prolon­gement d’un titre de séjour peuvent être assujettis à la con­clusion d’un tel accord.
Les radicaux veulent collabo­rer avec les associations d’étrangers. Nous sommes per­suadés que ces organisations peuvent apporter une contri­bution importante à l’intégra­tion des étrangers et, par là même, à l’amélioration de la sécurité. Nous voulons les re­connaître comme des partenai­res, tout en les mettant face à leurs devoirs.
Nous appelons les commu­nes à multiplier les projets avec les organisations qui sont re­connues comme des leaders par leurs ressortissants. Les personnes naturalisées doivent aussi être associées, car elles peuvent apporter beaucoup à l’intégration des étrangers de par leur compréhension des deux cultures.
Je souhaite que ces proposi­tions soient examinées attenti­vement par la classe politique. Le Conseil fédéral a annoncé, lors des entretiens de Watte­ville, qu’il présenterait un rap­port sur le projet d’une loi-ca­dre au début 2009. Rappelons­nous qu’agir ensemble, c’est construire la Suisse de demain.

«Ce n’est pas comparable à l’affaire des caricatures»

Tamer AboaleninPour Tamer Aboalenin, correspondant en Suisse d’Al Jazeera, l’initiative populaire «contre la construction de minarets» ne provoquera pas les mêmes réactions violentes que la publication des caricatures de Mahomet au Danemark.
En Suisse depuis vingt ans, il relaie toutefois le malaise que provoque ce texte dans le monde musulm an. Un article signé Romain Clivaz,  pour 24 Heures.
– Le gouvernement s’oppose à l’initiative visant à interdire la construction de minarets. Cette position était-elle attendue dans le monde musulman?

– Oui. La Suisse y est considé­rée comme un excellent exem­ple de respect des droits de l’homme et des minorités. A cela s’ajoute sa caractéristique multiculturelle. Sa neutralité est également appréciée. On n’aurait donc pas compris que son gouvernement accepte une telle proposition. Cela d’autant plus que votre pays défend ces principes sur la scène interna­tionale. A cela s’ajoute qu’ôter un droit uniquement aux mu­sulmans serait perçu comme une injustice. Le gouverne­ment a donc fait ce qu’on attendait de lui.
– Le texte est-il connu?

– Bien sûr!
– Y a-t-il d’autres exemples comparables en Europe?
– Non. Les partis d’extrême droite d’autres pays n’ont pas eu l’idée d’interdire la cons­truction de minarets. On est donc d’autant plus étonné que cela vienne de la Suisse.
– Justement, comment cette initiative est-elle concrètement perçue?

– Il n’y a pas eu de réactions directes de la part de gouver­nements. Mais l’initiative a préoccupé l’Organisation de la Conférence Islamique. En fin d’année dernière, cette der­nière a demandé des explica­tions au gouvernement suisse, à l’occasion d’une réunion en Arabie saoudite. Ces explica­tions, convaincantes, ont per­mis aux participants de bien comprendre le système politi­que suisse, les mécanismes de la démocratie directe, ainsi que l’origine non gouverne­mentale du texte.
– Fait-on la différence entre la position du gouvernement et une proposition émanant d’un groupe de citoyens?

– Au début, les choses n’étaient pas claires. Mais maintenant oui. Par contre, les propos outranciers de certains élus, qui considèrent l’islam comme «une déclaration de guerre», et non une religion, brouillent le message des auto­rités.
– Le gouvernement veut aller vite. Notamment pour éviter des dégâts d’image. Avez-vous remarqué de tels dégâts?

– Oui. Beaucoup de personnes expriment leur déception que l’idée vienne de Suisse. Mais il y a aussi des réactions positi­ves. Par exemple, lorsque les gens se rendent comptent qu’une majorité des partis po­litiques est opposée à l’initia­tive. Ou encore lorsque le pré­sident du PDC, Christophe Darbellay, a clairement pris position contre le texte, accu­sant les initiants non pas de vouloir interdire les minarets, mais tous les lieux de culte musulman.
– Un oui aurait-il un coût économique?

– Certainement. Cela ne serait pas bon pour le tourisme, l’horlogerie ou encore les éco­les privées.
– Les débats de votations sont souvent virulents, voire carica­turaux. Une nouvelle «affaire des caricatures» de Mahomet, avec son lot de violences, est-elle à craindre?

– Les deux situations ne sont pas comparables. Dans l’affaire des caricatures, c’était une atta­que directe contre notre reli­gion et la personnalité du Pro­phète. Cette initiative touche certes aux droits des musul­mans. Mais pas au coeur de leur religion. Quant aux intérêts suisses à l’étranger, ils ne sont pas menacés.
– La fille de Muammar Kadhafi a présenté l’arrestation de son frère à Genève comme symbolique du mauvais traitement réservé aux musulmans. N’y a-t-il pas un risque que l’on utilise cette initiative pour mettre la Suisse sous pression?

– On ne peut pas exclure qu’il y ait une instrumentalisation, comme dans le cas de la Libye. Mais il n’y a eu aucune réaction de solidarité en faveur de la Libye. Cela a plutôt été perçu comme une simple application de règles de l’Etat de droit suisse face à un comportement inapproprié. Et non comme quelque chose d’anti-musul­man.

Un texte qui viole la liberté religieuse

L’initiative sur les minarets viole les droits de l’homme, menace la paix religieuse et ne contribuerait nullement à endiguer le fondamentalisme islamiste. Fort de cette conviction, le Conseil fédéral recommande au parlement de rejeter ce texte sans contre-projet.
Le gouvernement confirme une nouvelle fois, dans son message publié hier, tout le mal qu’il pense de l’idée d’interdire la construction de minarets en Suisse.
«Cette initiative populaire apporte plus de problèmes qu’elle n’en résout», a résumé Eveline Widmer-Schlumpf.
Pas question toutefois de temporiser ou d’esquiver le verdict des urnes. Le texte, qui a réuni 113 540 signatures, n’enfreint pas les règles impératives du droit international. Il est donc valable et doit être soumis au peuple, a souligné la cheffe du Département de justice et police.
Le dernier mot reviendra aux Chambres, qui doivent encore se prononcer. La votation pourrait avoir lieu au plus tôt fin 2009. Reste que le texte est incompatible avec plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et du Pacte de l’ONU relatif aux droits civils et politiques. Et le Conseil fédéral de citer en premier lieu la liberté religieuse.
Celle-ci peut être restreinte, «mais à des conditions qui ne sont pas remplies ici.» Une interdiction générale de construire des minarets ne saurait en effet être justi­fiée par la sauvegarde de la sécurité et de l’ordre public.
Elle est également probléma­tique au regard du principe de non-discrimination, puisqu’elle ne vise qu’une religion, et pas les autres. ATS